lundi 28 décembre 2015

Whiplash


Bon soyons clair, le film gagnerait à être ramassé sur 1h15, à être délesté de ses répétitions (figures redondantes des mêmes souffrances avec pour récompenses les mêmes humiliations sensées élever l'âme et le talent de l'artiste...), de ses fioritures sans intérêt (l'histoire d'amour, la rivalité avec la fratrie dès lors qu'ils ne sont jamais développés) voire de ses rebondissements pas très heureux comme celui de l'accident de voiture franchement too much et qui fait bien plus que frôler le ridicule...

Mais sortis de ces maladresses, l'idée de reprendre les figures de l'entraînement martial de Rocky et de la préparation militaire inhumaine de Full Metal Jacket pour les mettre à la sauce jazz mais du jazz le plus fastidieux, le plus pointilleux, le plus Big Band, le moins poétique est une sacrément riche idée ! C'est franchement efficace surtout pour cette séquence ultime extraordinaire qui finalement se suffirait presque à elle-même tant elle résume tout... La souffrance, l'humiliation, l'entêtement, l'émancipation vis-à-vis du mentor, puis étrangement la reprise en main par le professeur pervers et cette dernière image ambiguë au possible... La victime souriant de nouveau au bourreau comme pour en chercher l'assentiment, l'ultime reconnaissance...

Donc voilà Whiplash est un film plutôt réducteur dans le sens où il ne raconte finalement pas grand chose de la musique en ne se focalisant que sur les rapports maître/esclave mais il n'en contient pas moins cette séquence finale à couper le souffle et qui à elle toute seule calme et pour longtemps le spectateur forcément venu espérer ce genre d'expérience sensorielle sur-puissante ! Et rien que pour cette chute mémorable Whiplash a grandement le mérite d'exister ! 

Mister Babadook


Franchement beaucoup de qualités ce Mister Babadook... D'abord une vraie recherche en termes de rythme et de mise en scène qui le distingue de ses contemporains trop souvent taillés dans le même matériau, trop souvent à la recherche des mêmes éternels effets pour faire sursauter... Ici pas du tout, d'abord parce que la réalisatrice entretient dans un premier temps savamment le mystère quant à la "réalité" de ce Mister Babadook... Et à vrai dire, tant qu'il demeure une figure de l'esprit, un prétexte aux déchaînements de folie de cette mère de moins en moins rassurante, le film appuie là où ça fait mal en se rattachant brillamment à de fiers aînés comme Shining, en lorgnant avantageusement du côté de la maltraitance et du dérapage progressif du personnage de la mère vers une folie potentiellement meurtrière.

Le dernière ligne droite est en revanche plus décevante voire carrément ratée dès lors qu'en revenant errer du côté des fantômes du passé l'on vient nous expliquer que ce Babadook ne serait que l'esprit du papa décédé revenu frapper à la porte des siens avec des intentions finalement pas si voraces... Mouais, c'est qu'à vouloir courir tous les lièvres à la fois le film perd du coup en intensité et rate franchement son atterrissage.

Mais Mister Babadook reste un audacieux et joli film d'horreur, avec de vraies intentions en termes d'écriture et de mise en scène et qui entend - c'est tout à son honneur - ne pas tout sacrifier au sempiternel spectacle trop souvent recherché dans ce type d'exercices... Pour cela je trouve que louable est son intention comme le résultat obtenu au moins jusqu'au choix malheureux de rebondir vers un surnaturel hélas superflu...

The Dark Valley


Première heure assez extraordinaire de mon point de vue. Le mystère plane sur ce village comme lors de l'incursion d'une âme vengeresse dans L'Homme des hautes plaines... Il y a un côté polar figé dans les limbes glacées de ce petit monde rocailleux, enneigé qui fascine d'autant plus que la mise en scène se met toute entière au service de l'étrangeté du propos...

J'aime également cette image renversée (comme au fonds de l'objectif d'un appareil photo) du western traditionnel puisque l'action se déroule ici dans les Alpes et le visiteur arrive précisément du grand Ouest Américain... Ce qui ajoute à cette atmosphère si particulière et pour tout dire savoureuse, envoûtante.

La deuxième heure est en revanche vraiment trop longue pour ce qu'elle a à offrir c'est à dire plus grand chose de mystérieux, deux trois règlements de compte expédiés (on sent d'ailleurs que le réalisateur prend peu de plaisir à filmer cette succession de révélations ultra attendues) et paradoxalement étirées sur près d'une heure... Alors qu'on a compris depuis longtemps ce qui se tramait par ici...

Peut-être aurait-il fallu rester dans la veine fantastique du chef d'oeuvre de Clint Eastwood qui fustigeait davantage la communauté qu'une famille en particulier... La complicité, la non assistance à personne en danger devenant aussi coupables au yeux du fantôme que le crime lui-même... Pour un film qui au lieu de rester nimbé de cette magie qui l'accompagnait depuis le départ finit par s'achever comme un petit western lambda sans grande épaisseur... Mais pour cette première heure du tonnerre qui culmine avec une mémorable descente de troncs pris dans les brumes des sommets, The Dark Valley vaut tout de même le coup d'oeil !

jeudi 24 décembre 2015

Le beau monde


L'éternelle, l'amoureuse lutte des classes... Je t'aime mais somme-nous fait l'un pour l'autre si ma mère regarde TF1 le samedi soir en province et la tienne Arte en tricotant des vêtement pour une prochaine exposition branchouille à Paris ? Sommes nous réductibles à nos petites extractions sociales ? Nos sentiments sauraient-ils prendre le pas sur le milieu familial et ses fatalités ? Bon, autant dire tout de suite que sur ce thème revenons éternellement à Splendor in the Grass (Elia Kazan), rien de plus beau, rien de plus fort ! Ici le traitement et le jeu des acteurs sont pauvrement téléphonés, forcément prévisibles et ne menant jamais qu'à de petits lieux communs qu'on a vu venir depuis belle lurette. Tiède et triste là où la passion devrait mener à du fort, de l'exacerbé, des sommets d'intensité furieuse...

Bande de filles


Voilà ce que se présentait comme un beau sujet casse gueule. On vous prend une héroïne française d'origine africaine se débattant avec trois copines dans une cité au milieu de bon vieux trafiquants et autres machistes de bas étage... Et forcément elle va y laisser un peu de son innocence en quittant un foyer familial vulgairement résumé à un grand frère pas compréhensif. Alors comment dire, ces filles n'existent au final tellement pas, elles sont à ce point de petites façades sans profondeur que c'est à se demander si Bande de filles ne manque pas cruellement de respect pour ses propres sujets... Tout est binaire, léger comme un playback au ralenti de Rihanna, souvent clipesque et sans consistance, caricatural et j'en reviens donc à l'éternelle question soulevée par un cinéma français où on laisse faire n'importe quoi avec un matériau aussi faible sous prétexte que les intentions (louables) du projet se suffiraient à elles-même. Et bien non !

lundi 21 décembre 2015

The Guest


Faut clairement le regarder au 1000ème degré tellement on surfe sur l'atmosphère des nanars et séries B des années 80. L'objet décolle d'ailleurs un chouia quand la fille contacte la police et que ça commence à dégénérer sévère en défouraillant à gogo... Egalement petit moment agréable à la fin dans ce simili "train fantôme" façon là encore qighties à fond... Mais bon entre nous comme divertissement horrifique on a vu tellement mieux y compris dans les années 80 que je ne saurais trop conseiller de passer allegro son chemin...

Shrew's nest


Toujours intéressant de se pencher sur l'exercice de style horrifique en essayant de le réinventer... Espace clos, maladie empêchant un personnage de sortir d'un appartement la confrontant à son père décédé lors de visions cauchemardesques... Il y a toujours dans ce genre exploratoire une recherche formelle du côté de la mise en scène et narrative au niveau du point de vue afin de savoir ce qui est réel et ce qui l'est moins... Mais le film n'accouche hélas de rien de bon. Il ne fait que se reposer sur des petits effets sanguinolents à deux balles et n'arrive jamais à la cheville d'un Misery ou d'un The Others voire d'un Psycho (on est amené à penser par moments que l'une des deux soeurs fait exister l'autreque l'on sent affleurer question thématique. Bref grande et forte déception avec une impression de vacuité totale pour finir.

samedi 19 décembre 2015

Refroidis


Polar des neiges et de l'extrême nord du continent européen qui bénéficie d'un décor et d'une image dépaysants au possible, d'une mise en scène élégante et racée, d'une stylisation qui fouille du côté d'un burlesque bienvenu : l'arrivée sur l'écran des annonces cartoonesques des morts successives et surtout l'entêtement d'une intrigue creusant l'absurde de situations s'enchaînant sur des malentendus pour semer la mort ici et partout. Reste qu'au delà de ce croisement surprenant entre les frères Coen et Kaurismaki, la pauvreté des dialogues, la caricature omniprésente et le côté souvent prévisible de situations qui sont sensées ne pas l'être appauvrissent un "concept" plutôt novateur et rafraîchissant comme un saut pieds nus dans la bonne poudreuse. C'est pour cela qu'au final je reste partagé... Mais sans révolutionner un genre, le voir ne fera pas de mal et donnera même pas instants de belles sensations.

jeudi 17 décembre 2015

The Leftovers




















Ouïe ouïe.... Dans cette période où la mouvance des partants / revenants semble avoir fait les choux gras des séries TV, l'impression qui prédomine c'est que de petits malins se sont mis en tête d'exploiter à fond le filon fantastique pseudo existentialisto-mythologico-religieux (Les Revenants, Lost, etc) où on navigue à vue sans scénario avec des images d'Epinal éparpillées de l'asile à la secte, du voeu de silence au gourou guérissant à coups de hugs méchamment sucrés, d'animaux mystérieusement assassinés à des comportements border line en société etc etc...). C'est franchement la quintessence de tout ce qui était déjà catastrophique dans Lost mais qui cette fois saute vraiment au yeux...

mercredi 16 décembre 2015

Acquitted


Petite série policière nordique pas inintéressante sur le papier parce qu'elle fait ressurgir les démons du passé dans un petit village marqué par une de ces histoires qui pèsent sur les consciences locales... Village d'autant plus agréable à découvrir qu'il est planté dans un décor assez fascinant (on pense à la petite ville montagneuse des Revenants). Oui mais les problèmes pleuvent à verse autour : en dehors du petit frère, tous les personnages sont d'abord trop propres sur eux, des gravures lisses et plates sorties d'une telenovela colombienne, dont l'acteur principal qui a franchement avec ses trois expressions perdues dans le vague le charisme d'une huitre d'eau douce ? C'est assez regrettable... Et puis il y a l'indigence des dialogues et de beaucoup de situations dont la fameuse résolution qui est pourtant la seule chose qui nous tienne vraiment accroché au fil de l'histoire mais franchement on pourra rater la fin, rien de mémorable ou de renversant... 

Slow West


On sent un film calibré pour Sundance. Film indépendant et qui s'assume comme tel. Le risque en échappant aux codes au sein d'un genre, c'est de délester ce dernier de sa force ou de son âme... C'est ce qui arrive parfois au film dans ses creux, dans ses tentatives d'incursion dans une sorte de burlesque désincarné (on pense à Kaurismaki ou plus exactement Jarmush si on doit rester sur une filiation plus évidente). Dans ces moments-là, le film se traîne un côté réchauffé qui nous le rend peu sympathique. En revanche les 20 dernières minutes sont assez joliment orchestrées jusqu'à une forme d'apothéose là encore toute en délicatesse, déflagrations étouffées, non dits, rendez-vous ratés...  Pour cet étonnant final Slow West peut se regarder avec intérêt.

jeudi 10 décembre 2015

Un homme très recherché



Voilà un film choral d'espionnage qui présente l'intérêt de se pencher sur de vrais personnages, d'essayer de les faire exister mais il y a dans le traitement quelque chose de massif et lourd et pas très alerte à l'image du personnage principal... Ca avance un rythme d'une tortue sous anxiolytique et pour arriver à un climax qu'on voit quand même arriver d'assez loin compte tenu des allers et retours permanents entre la poignée de personnages centraux faisant battre le coeur du film.

Mais pour le soin apporté à la psychologie des personnages, le film se défend néanmoins et peut même se regarder en imaginant ce que cette mise en place pourrait donner par exemple à l'échelle d'une série TV qu'on se verrait décliner à partir de ce joli point de départ. Trop light et lent pour un film mais appétissant dans la perspective d'une série.

mardi 8 décembre 2015

Night Call


Le personnage principal est antipathique et caricatural à ce point qu'on a même pas envie de faire l'effort de suivre ses pérégrinations nocturnes et morbides. C'est d'ailleurs le souci, je repense à l'excellent Maniac (le remake) qui apportait plein de choses innovantes dans le traitement et de la complexité au personnage avec entre autres une petite histoire d'amour venant auréoler ce dernier d'un tant soi peu d'humanité...

Ici le héros est objectivement monolithique, répète et répète sans cesse les mêmes âneries sur l'appât du gain et son petit rêve américain... Une fois que les problématique est posée au bout de 5 minutes le film en devient une extension géante et prévisible qui hélas finit par gonfler sévère le spectateur devant son écran. Même les rapports de force avec la productrice sont binaires et pas crédible un instant... 

Il y a bien une scène à sauver c'est celle du restaurant où vont affluer par l'entremise du reporter obsessionnel flics méchants et futures victimes mais là encore encore eut-il fallu un Brian De Palma derrière la caméra pour immortaliser un tel moment... En l'état c'est filmé platement et sans une once de génie.

Bref on peut tranquillement oublier / effacer Night Call...   

vendredi 4 décembre 2015

Interstellar. Christopher Nolan


Intesrstellar n'est franchement pas terrible mais pas complètement nul pour autant. Je pense en particulier à de beaux moments d'émotions - le sujet s'y prête grandement il faut bien dire. Premier moment fort c'est évidemment le départ du père dans une première partie très inspirée de L'étoffe des héros, (l'échange de montres comme l'anecdote du chewing-gum dans le film de Philip Kaufman). Premier chapitre qui est aussi le moins réussi parce que sonnant faux en tout point. Un toc qui va culminer dans une décision assez grand guignolesque d'aller sauver le monde aux confins de l'espace en deux temps trois mouvements, moment de bascule qui ne convainc pas une demi seconde. Mais bref passons sur la vraisemblance...

Puis c'est la longue ligne droite, boursouflée, indigeste dans l'espace où jouant à saute-moutons de planète en planète, une longue errance s'achève par un combat avec un super méchant (Matt Damon n'y croit guère en passant) digne d'Incassable ("Oh mais que votre bonheur m'exècre c'est pourquoi nous allons rester là et je vais tous nous tuer beuh") pour des sommets de ridicule qu'on voit venir en plus de très très loin, parce qu'ils marchent longtemps je peux vous dire... Heureusement ce long tunnel flasque, indigent est émaillé du visionnage de videos envoyées de la terre par les enfants qui ont grandi et forcément ces moments-là vous tirent les larmes comme le lait d'un vache sur le point d'expulser ses petiots, ou pour prendre une image qui parlera aux téléphages comme quand un héros de Koh Lanta se voit remettre une lettre ou une vidéo sucrée d'un proche accompagnée d'un musique genre l'Ave Maria de Schubert... Ca marche toujours ! 

Enfin la dernière partie me semble être la plus intéressante, la plus Spielbergienne (époque AI) celle qui tente le plus d'approcher la poésie de l'Odyssée de l'espace sans jamais y parvenir hélas mais en réservant une très grande scène je trouve, celle des retrouvailles entre le père et la fille alors que tous les repères spatio-temporels ont volé en éclats...

Pour ces trois moments lacrymaux le film est touchant, pour le reste c'est Klug et compagnie, pas crédible et surtout interminable avec des seconds couteaux cantonnés à servir la tambouille en étalant ici et là des définitions de trous noirs et moins noirs tout droit sortis de Wikipedia... Pas bien passionnant comme cette scène complètement premier degré qui nous restitue la théorie des cordes depuis l'intérieur de cordelettes mollement élastiques ressemblant étrangement à des étagères de bibliothèque, ce qui permet bien pratique de faire le lien avec la chambre d'enfant de la petite Murphy... Vous avez dit métaphysique ? Ne serait-ce que pour la dimension surhumaine et poétique probablement recherchée, rendez-nous Kubrick par pitié !

Attaque ! Robert Aldrich



Attaque ! s'affranchit des codes habituels du film de guerre, y tisse son propre monde habillé de fascinants lieux clos (le bureau confiné où se joue une partie de cartes mémorable, la maison en ruines, la cave) où l'on s'enlise irrémédiablement. Si on y regarde bien, chaque lieu recèle sa part d'ombres et de références littéraires. Dans cette cave où va se jouer un drame digne du Crime de l'Orient Express, l'on va même jusqu'à penser à Huis Clos de Sartre, le climat étouffant rejaillissant sur le spectateur comme sur les personnages rendus hystériques par la guerre. Robert Aldrich est alors dans la forme de sa vie parce que voilà ce qu'on peut appeler un auteur, un vrai, qui donne dans un cadre balisé sa propre partition créant même par moments le climat d'un film d'horreur. Je pense à cette dernière ligne droite hallucinante où Jack Palance n'aura jamais été aussi effrayant (lui comme son ombre portée dans cet escalier descendant à la cave). Dimension cauchemardesque renforcée par la métaphore de ce zombie littéralement revenu des morts pour assouvir sa vengeance. Son expression n'a-t-elle d'ailleurs pas influencée le personnage de flic vengeur dans Maniac Cop, on y retrouve ces mêmes angles, cette même folie, cette haine si visible de Jack Palance dans un baroud d'honneur pour se faire justice puis l'obtenant par des voies insoupçonnables... 

Attaque ! est aussi pour son propos à montrer dans les écoles, dans les entreprises, à se mettre en famille parce qu'il enseigne mieux qu'aucun autre qu'il ne faut jamais prendre pour argent comptant ce que nous impose une hiérarchie, qu'elle soit une fonction (la fameuse qui ne fait heureusement jamais l'homme), une autorité morale ou religieuse ou bien sûr la figure tutélaire familiale j'a nommé le père... Même celui-là, faut-il vraiment lui obéir aveuglément lorsqu'il vous demande de sauter d'une falaise sur le seul motif qu'il est le père et qu'on doit lui faire confiance ? Par les temps qui courent, un tel message ne fait pas de mal... Son jugement et rien que son propre jugement. Voilà une arme fatale et un beau vecteur de liberté, comme le film !




dimanche 29 novembre 2015

Mad Men Saison 1


Côté atmosphère, tout est là. Côté personnages, c'est pas mal non plus. Avec je précise deux derniers épisodes absolument renversants notamment une séquence de présentation d'un produit baptisé Carrousel qui est une conclusion splendide de cette saison 1.

Il faut dire que le sujet permet élégamment de croquer simultanément plusieurs personnages, une jolie brochette, dans une vie de bureau consacrée à l'art de divertir les gens ou plutôt de les pousser à la consommation. Voilà d'ailleurs une riche idée que de se choisir pour cadre une époque fascinante, juste avant que n'émergent les premiers exploits de la Beat génération, et voir naître la société de consommation que l'on connaît, à travers un rêve américain en marche... L'avantage c'est de faire avancer des personnages alors qu'ils se débattent dans un monde auquel il faut trouver un sens, après les guerres successives qui viennent de s'enchaîner.

A vrai dire, j'ai plus à redire sur le piège de la stylisation d'une époque et celui de la métaphore qui parfois se prend les pieds dans le tapis.

Côté stylisation, elle peut parfaitement rappeler celle d'un OSS 117. Mais ce qui fait le bonheur des films d'Hazanavicius, c'est précisément le décalage opéré via l'humour parfois potache qui donne le change, casse la perspective et surtout de fait évite tous les écueils du registre Melo. Or dans Mad Men, en mettant en valeur sans véritable distance les atmosphères, les tenues, les accessoires, les mégots fumants, le bruit des glaçons dans le whisky, le risque est toujours de tomber dans une forme de déclinisme, de mélancolie larvée, de nostalgie d'une époque terreau fertile des conservatismes de tout poil, où des films comme Amélie Poulain ou Les Choristes en France se sont par exemple goulument engouffrés ces dernières décennies. Ce n'est pas le cas, mais parfois on peut se demander si cette reconstitution n'a pas quelque chose d'enviable, comme exilant les parfums du paradis perdu. Et ça soulève la question de savoir ce que veulent vraiment raconter les auteurs.

Autre réserve : coté métaphore, développer des intrigues et des personnages perdus dans des volutes de superficialité peut aussi finir par poser problème. Derrière les mimiques l'on aurait voulu connaître un peu mieux ces personnages, que leur intérieur se lézarde et s'offre davantage... La série semble prisonnière de ce postulat que chacun sent bien en fort intérieur que la vraie vie c'est quand même autre chose (comme ce clochard venu chez le héros du temps où il était encore enfant). Et qu'à se frayer un chemin personnel, égoïste dans le vaste monde on finisse par s'égarer... 

Sur ce type d'univers et de démonstration, j'aime par exemple la radicalité d'un Profit ou la profonde originalité d'une série comme The Affair qui en tournant autour des mêmes sujets consacre de vrais immenses personnages d'apparence frivole et d'intériorité bouillante, pris dans les mêmes tourbillons de faux semblants de mensonges, de trahisons... Avec en filigrane dans Mad Men le monde de la publicité et dans The Affair les ravages de l'auto-ficton sur les personnages qui inspirent l'histoire d'un romancier à succès. Mad Men est très belle série, léchée, assez prenante pour trois ou quatre personnages essentiellement. Mais n'y manque-t-il pas non plus le cynisme totalement assumé d'un House of Cards dans sa première saison qui reprend ce genre de parabole autour d'une trajectoire individuelle dans un monde politique qui sonne le creux partout et tout le temps ?

Je crois pour finir que Mad Men est peut-être après tout typiquement le genre de série bien de son époque, plaisant à son auditoire privilégié, aux CSP+, à ceux qui travaillent, aux diplômés, aux publicitaires d'aujourd'hui. Car chacun d'entre eux finira par y trouver un raffinement confinant à une forme de noblesse, y verra de l'espoir et l'humanité derrière des postures pourtant cyniques et froides au premier abord... Parce que c'est ce qu'on retiendra au final... Que derrière des gars sans foi ni loi, sans colonne vertébrale, et sous le veston, il y a quand même un petit coeur qui bat, des questions profondes même lorsqu'elles ne sont d'effleurées et donc de l'humanité à revendre pour rassurer tout ce beau monde... Revendre, rassurer ? Rassurer pour mieux vendre ? Tiens donc, quels que soient les détours, tous les chemins mènent à Mad Men.


mardi 24 novembre 2015

Métamorphoses. Christophe Honoré


Louable intention que d'evhémériser la mythologie la plus impénétrable, la plus poussiéreuse, la déambulation de Dieux parmi les hommes... Le ridicule n'est hélas jamais loin... Tenues vestimentaires de Jupiter, acteurs faiblards, enjeux qui ne dépassent jamais l'envie qu'on sent chez le réalisateur de transmettre au plus grand nombre, de partager, de démocratiser un truc par essence chiant à faire découvrir...

Je repense à des films comme les Visiteurs du soir qui d'une certaine façon explorait cet entrelacement d'histoires charnelles ou non entre hommes et formes déifiées... Cela reste un chef d'oeuvre parce que la mythologie y servait de prétexte pour faire passer des messages politiques, à l'époque d'actualité (au coeur de l'occupation), parce qu'il y avait par ailleurs un dialoguiste,  un vrai, de sublimes musiques et de flamboyants acteurs ! 

Avec Métamorphoses, on finirait même par trouver les lieux et les étranges postures un peu vides d'une série comme les Revenants... Le lac, la ville engloutie, le fusil sur l'épaule, des meurtres entre personnages désincarnés, une trame qui se déroule du coup sans véritable enjeu dramatique puisse les personnages n'existent jamais... Même cause, mêmes effets ?

mercredi 18 novembre 2015

Mommy. Xavier Dolan


Xavier Dolan a un sacré talent pour filmer. Là dessus je n'ai rien à redire. Des images léchées, une atmosphère parfois ouateuse et poétique (les ciels de traîne, les glissades soft en roller ou en caddie) parfois brutale et sombre (la violence de la scène qui précède la rencontre avec la voisine). Mais cela suffit-il à accoucher d'un grand film ?

Certes on sent des influences... Mais derrière une esthétisation digne d'Eléphant (que je ne porte d'ailleurs pas dans mon coeur), il y a je trouve surtout des idées plates, je pense par exemple à ce moment où le jeune homme hurle liberty sous le regard goguenard de sa mère et de la copine à vélo.

Il y a aussi ces longs intermèdes musicaux (musique permanente et qui finit par apparaître comme une béquille bien utile au film) qui sont d'une maladresse sans nom. Notamment une projection mentale de la maman sur la future vie épanouie de son fils dont l'ambiance rappelle furieusement ces publi-reportages pour une assurance, faisant défiler les pires clichés de générations se succédant au rythme de leurs moments fortiches... L'idée est noble, pas le résultat à l'écran. Parce qu'on l'a trop vu, que c'est par essence le chemin de la facilité.

L'hystérie est par ailleurs utile ou nécessaire sur un sujet pareil (la normalité et ses frontières jamais nettes) mais pas l'hystérisation à outrance qui devient artificielle quand tous les personnages sont border line, parce que plus rien n'émerge, plus rien ne dépasse... La folie finit par égaliser le film de bout en bout... On finit par attendre à reculons la prochaine éruption de l'un des trois personnages... Et l'on finit inexorablement par s'éloigner, par rester si loin d'Une femme sous influence, probablement un des modèles de Mommy.

Je pense qu'il manque surtout de l'expérience (de la vie, pas du cinéma) à emmagasiner pour ce jeune homme à qui on garde malgré tout sa sympathie et son admiration pour l'envie, le jeune âge et le talent qui ne fait pas de doute. Mais son grand film attendra encore...

mardi 17 novembre 2015

The Salvation


C'était appétissant cette incursion du cinéma danois dans le western avec des gueules aussi charismatiques que celle de Mads Mikkelsen. Et pourtant, le résultat est fort décevant malgré une tentative de soigner l'image et de se rattacher à des références incontournables du genre (Il était une fois dans l'Ouest avec le terme éternel de la vengeance explorée). Mais rien à faire, ça ne fonctionne pas côté scénario ni côté esthétique (hélas bien trop léchée) qui se raccroche plus à un univers publicitaire qu'à de glorieux aînés. Mauvais western donc, bien trop sage et sans le génie nécessaire pour exciter notre curiosité... Parmi les dernières tentatives de renouvellement du genre, dégustez plutôt Séraphin Falls voire le très novateur Young Ones.

lundi 16 novembre 2015

Homesman. Tommy Lee Jones


Un bon point ? Homesman est un western original avec des faux airs de convoi funéraire. Trois femmes un peu givrées sont escortées par une quatrième femme qui ne l'est pas beaucoup moins, certes courageuse mais passablement dépressive... Cet asile ambulant n'oublie pas les personnages masculins en la personne de ce type un peu border line, un peu miraculé, un peu bandito, un peu vénal, mais finalement très humain ... Tommy Lee Jones lui prête ses traits et doit prendre un malin plaisir à incarner cette brutasse épaisse au grand coeur. Il est comme les autres à la dérive et sera à l'origine de deux des grandes séquences du film : celle de la rivière où les femmes cintrées retrouvent momentanément la raison pour rappeler leur bienfaiteur à ses plus élémentaires devoirs. L'autre culmine dans cette froide vengeance où une maison bourgeoise brûle dans la nuit ses occupants avec sans que jamais le personnage principal n'exprime le moindre remord. Moment cruel d'une grande ambiguïté. Entretemps on aura subitement vu disparaître un autre personnage central (joliment campé par Hilary Swank) dans un moment surprenant mais finalement assez factice compte tenu du peu qu'il nous est donné à connaître de l'héroïne en question.

Voilà pour les belles curiosités du film qui pour le reste est assez mou, à sens unique, et qui finit surtout à l'image de ses personnages par s'égarer en perdant son spectateur. Le final n'a objectivement plus grand chose à offrir de beau ni de grand... Il est arrivé, se sépare de ces 3 femmes et repart comme il est venu l'argent en poche et la chanson au bord des lèvres, oubliant au passage la stèle funéraire qu'il était censé ramener avec lui... Bof prévisible et finalement regrettable.

jeudi 12 novembre 2015

La vie sauvage. Cédric Kahn


On sait déjà que Cédric Kahn est un bon cinéaste. Un super faiseur avec souvent un regard, un supplément d'âme. Vie sauvage commence même sur les chapeaux de roue avec une première séquence qui met immédiatement dans l'ambiance. Mathieu Kassovitz est bon, même très bon dans une forme de sobriété qui cache bien la folie douce et coercitive du personnage à l'égard de ses deux marmots et plus largement du monde extérieur qu'il rejette avec force.

La faiblesse du film se situe davantage dans le jeu des deux garçons devenus grands, particulièrement l'aîné. Ce qui sur ce genre de sujet est franchement gênant. Céline Saillette n'est pas transcendante non plus la faute probablement à un abattage qui peut finir par perdre le spectateur d'un film à l'autre... On la voit sûrement trop, c'et sel problème. Sur un sujet pareil peut-être aurait-il mieux valu s'appuyer sur des visages moins connus même si encore une fois rien à dire coté Kassovitz !

Le film a également une fin étrange, pas follement réussie, trop abrupte. Bon mais c'est pas mal, pas inintéressant et on pourra donc le voir sans déplaisir. Mais rien d'immortel dans nos mémoires. Et encore une fois chapeau Kassovitz qui prend de l'épaisseur à chaque nouveau film malgré une chevelure ici qui lui va pas de façon démente. Francis Lalanne sors de ce corps :)

Les âmes noires


Pas mal du tout surtout en raison d'une atmosphère de film d'horreur excellemment rendue lors de deux moments clés : La ruelle mal éclairée puis l'immeuble désaffecté... Deux moments délicieux qui rendent justice à  mise en scène par ailleurs sèche et tranchante du film.

En revanche, même s'il est convaincant, le dénouement qui rappelle grandement celui de Nos Funérailles n'en atteint pas la puissance digne d'une tragédie grecque simplement parce que qu'ici la déflagration finale apparaît davantage comme un twist un peu artificiel alors que dans le chef-d'oeuvre d'Abel Ferrara c'est le résultat d'un long processus, d'un interminable accouchement dans l'indicible douleur.

Mais c'est franchement pas mal du tout, ça se laisse voir, il y a beaucoup de talent derrière la caméra mis aussi devant : quelques excellents acteurs !

mercredi 11 novembre 2015

La prochaine fois je viserai le coeur. Cédric Anger


Le cinéma français a toujours vingt wagons de retard... C'est désespérant... Surtout quand on pense à des films comme Zodiac ou Gone Girl qui ont en la matière tellement innové sur le fonds comme sur la forme.

Sur le sujet il vaut mieux revoir l'abyssal et vertigineux Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon d'Elio Petri. Film d'autant plus génial qu'il explore les méandres d'un crime passionnel sur lequel enquête son auteur, un homme de pouvoir et d'appareil... C'est quand même autre chose. Côté serial killer vu de l'intérieur, vaut mieux relire Un tueur sur la route de James Ellroy. Et je n'évoque même pas la délicieuse deuxième saison de Dexter qui installait cette atmosphère schizophrénique tout en donnant à comprendre (une série permet ce genre de développements) un peu des motifs et vieux démons du personnage principal.

Ici on est constamment à hauteur du vue de ce gendarme sans relief, lisse, exprimant si peu et dont on ne saura jamais rien si ce n'est une attirance pour les asticots, les fouets, les armes à feu, le barbelé et les bains d'eau glacée (tiens donc) ainsi qu'un dégoût probable pour les animaux domestiques... De caricature en caricature (dont le costume, dont les intonations vides) toute complexité s'évapore et l'on reste avec un truc faible, binaire (à l'image du jeu de Canet) et noyé de musiques lourdes. Voilà donc un film sans grand intérêt.

Ah si ! Un seule scène vaut le détour : cet arrêt en pleine forêt pour observer un cortège de biches, faons, chevreuils, cerfs allant s'abreuver quelque part au coeur de la nuit sous les yeux ronds de quatre gendarmes ahuris... 

samedi 7 novembre 2015

Ma vie avec Liberace. Steven Soderbergh


J'ai longtemps pensé que le meilleur de Soderbergh se trouvait quelque part entre Solaris et The Informant voire Sex, Lies and Video tapes... Jusqu'à ce que je découvre Ma vie avec Liberace. Franchement, je rêve que les cinéastes français encroûtés dans des bios bien sages, ternes et fadasses (je pense aux deux derniers consacrés à YSL notamment) se matent ce film incroyable, fable universelle qui prend pour prétexte la vraie vie d'un génie du music hall made in US pour accoucher d'un objet magique, fascinant de bout en bout, aux inépuisables lectures. La comparaison fait mal, très mal, avec ce que le cinéma hexagonal peine si souvent à produire...

Au rayon des influences, on y verra une sorte de Cinderella Man post-soulier. avant que le film ne finisse par lorgner de façon jubilatoire du côté de La Mort vous va si bien : la chirurgie esthétique, les pilules magiques, les dormeurs aux yeux ouverts, le régime California et la mort qui déjà rôde...

Et quelle idée géniale de faire appel à ces deux acteurs épatants : on parle quand même des héros virils de Basic Instinct ou Bourne Identity. Imaginez le travail insensé d'adaptation pour le spectateur ! Autre trouvaille : caractériser la nostalgie ou la mélancolie des eighties en faisant appel à deux de ses icônes : Rob Lowe et Dan Ackroyd  ! Voilà qui réchauffe et je ne reviens même pas sur le projet si particulier qu'a du constituer le film pour Michael Douglas quand on sait par quels gravissimes problèmes de santé il est passé... Que dire enfin de cette idée géniale d'un chien aveugle dépendant de son maître... Baby Boy Ô Baby Boy !

Pour le reste ce film est géant de bout en bout et nous amène l'air de rien (c'est sa force) sans aucune lourdeur jusqu'à des sommets de cinéma, jusqu'aux réflexions passionnantes autour de l'amant devenu le frère, l'orphelin devenu l'adopté qui devant modifier son visage va finir par tout perdre en restant là, penaud, saturé de coke, avec des traits qui ne sont plus les siens... D'ailleurs toute cette approche du film lorsqu'il détaille les penchants fétichistes de Liberace nos amène sur de bien nobles territoires... Le Portrait de Dorian gray, et bien sûr El de Bunuel. voire carrément Chaplin pour certains passages musicaux... Je pourrai ne jamais m'arrêter, j'ai trouvé ce film fabuleux. ample, généreux, intelligent, fin, grandiose. Soderbergh je te le dis, tu es grand !

Retour à Ithaque. Laurent Cantet


La question se pose pour commencer de savoir si Retour à Ithaque n'aurait pas été mieux taillé pour le théâtre. Je pense notamment à ces dialogues longuets et parfois creux de la première partie, qui dans un cadre différent, pourrait avoir un impact autrement plus puissant (tout dépend alors des acteurs qui les portent en live).

En même temps on y perdrait sûrement la sensation agréable éprouvée d'avoir passé 2 heures à La Havane au milieu de gens que nous serons probablement bientôt, les yeux rivés sur le rétroviseur. Parce que Retour à Ithaque vaut quand même le détour, pour l'émotion qui circule entre les scènes de danses avinées sur un morceau des Beatles, autour de la confrontation de deux générations évoquant le Cuba d'aujourd'hui (le fils qui se tape l'incruste inopinément avec sa copine)... Autant de petits moments précieux mais trop rares à mon goût. Quant à ce dénouement aux aurores, il est émouvant et dit beaucoup de ces retrouvailles entre grands brûlés de l'existence, victimes du régime spécial qui les a ratiboisés, réduits à de vulgaires rats de laboratoire, mais il a en même temps quelque chose de trop programmatique, attendu... 

Je maintiens donc que le contexte se prêterait idéalement à à ce qu'on en tire une pièce où chaque nouvelle représentation donnerait l'occasion d'une nouvelle confrontation alcoolisée entre vieux potes et qui se poursuivrait jusqu'au bout de la nuit, bien après que le rideau soit tombé, sur une improbable terrasse où l'on étoufferait de rire et de larmes en noyant sa vie dans un bon vieux rhum...

lundi 2 novembre 2015

Young Ones. Jack Paltrow


Et ben dis donc... Je m'attendais à rien du tout avec ce Young Ones (titre d'ailleurs très énigmatique) un peu comme lorsque j'avais découvert par hasard le sublime Seraphim Falls. Je le mettrais pas au même niveau mais que de belles promesses ! D'abord un univers fascinant. On est à mi chemin entre le western et l'exploration gourmande et vénale de la surface de Mars à la recherche de ressources naturelles. Autant dire le premier western martien. C'est toute l'ambition et toute la réussite de Young Ones.

Je ne suis en revanche pas fan du chapitrage (une des maladresses du film) qui assèche l'objet filmique et fait ressortir la faiblesse du tronçon central (trop elliptique et pas assez clair sur les motivations du jeune loup ambitieux qui rappelle au passage vaguement celui des Moissons du ciel...). Chapitrage qui passe également sous silence, et c'est fort dommage, la jeune fille, personnage clé mais cantonné à un rôle indigne de faire-valoir. Bon alors c'est vrai il s'agit d'un western, genre masculin par excellence, mais tout de même...

Toujours est-il qu'on sera passé au cours du premier chapitre par des ambiances qui rappellent tantôt Rencontres du troisième type (la base d'extraction de l'eau éclairée de nuit par de puissants projecteurs), tantôt l'atmosphère sèche et impitoyable du premier Mad Max. J'ai aussi pensé avec délice à Apportez moi la tête d'Alfredo Garcia, au Bon la Brute et le Truand voire à La Prisonnière du désert pour un plan en particulier. Bref, respect coté influences !

Et pour parler franc, si on faisait un blind test sur le film en prétendant qu'il s'agit du dernier opus de Paul Thomas Anderson, certains crieraient probablement au génie, vantant le dépoussiérage manu militari et fort réussi d'un genre, de plusieurs genres même... Mais s'agissant d'un petit nouveau (Jack Paltrow) il est souvent plus facile d'émettre des doutes (quand on ne sait pas trop quoi penser du film) et de concentrer les critiques sur le sentiment diffus d'avoir entre les mains l'archétype du film indépendant US manquant de corps et d'élan vital... Et bien je ne suis pas d'accord, malgré il est vrai un chapitre 2 plus faible (beaucoup trop de pistes explorées comme celle de l'endettement du père décédé ou celle de la marchandisation de vies humaines et ce bébé comme monnaie d'échange) l'ensemble est quand même de sacrée facture et surtout ultra cohérent jusqu'à un authentique dénouement de film noir avec vengeance Léonienne à la clé.

Evoquons d'ailleurs la mise en scène d'une qualité, d'une exigence qu'on voit assez rarement au cinéma... Ainsi que le scénario, brillant, nouveau, rafraîchissant... Comme cette histoire de robot remplaçant une mule et devenant la mémoire vive de toute une famille, l'album animé de ses souvenirs... Très fort ! Bref, Young Ones ose, explore tout en rendant hommage... Ce n'est pas la moindre de ses qualités. On sent comme je le disais plus haut des influences telles que celles de George Miller, Sergio LeoneSam Peckinpah ou des Frères Coen pour la dernière ligne droite. Cette dernière ligne droite qui par la séquence d'exploration "de l'autre côté" reprend là encore les codes visuels de Spielberg époque AI.

Rien que pour ces innombrables et belles surprises, il faut découvrir ce Young Ones (objet filmique innovant et généreux) et suivre de près la trajectoire de ce Jack Paltrow dans les années à venir.

Elle l'adore


Comme chaque fois, l'insubmersible Sandrine Kiberlain fait plus que tirer son épingle du jeu malgré un personnage archi bancal de fan - esthéticienne - mythomane... On a tiré le jackpot, fallait franchement oser de la part des scénaristes, comme il fallait oser le chanteur à succès qui envoie sa fan - esthéticienne - mytho chez sa soeur en Suisse pour faire disparaître un corps (wtf) ou comme ce couple de flics tout droit sortis d'Un gars/Un fille dans un commissariat... Idée bien pratique pour faire avancer le film vers un dénouement "moins crédible tu meurs" ... Voilà, voilà, que dire de plus ? Ben pas grand chose parce qu'il n'y a pas grand chose à retenir de ce film si ce n'est encore une fois le talent intact de Sandrine Kiberlain. Fantastique quel que soit le film, quel que soit le rôle, quelle que soit mon humeur ;) Je l'adore, c'est une certitude.

Une nouvelle amie. François Ozon


Décidément rien ne change jamais vraiment entre le spectateur que je suis et les films de François Ozon. Sorte de désamour qui se répète.... Une nouvelle amie ne déroge pas à la règle. Ca commence pourtant fichtrement bien avec une atmosphère léchée, cinéphile même, lorgnant du côté de l'obsession hitchcokienne, ça termine plutôt à la façon d'un Parle à elle qu'on aurait mixé avec Tout sur ma mère d'Almodovar. Et c'est bien là le problème. Entre les deux, Ozon ne trouve jamais sa propre voix. Et son film n'a au final ni l'étrangeté fétichiste du grand Alfred ni la sève follement charnelle du grand Pedro. On se retrouve avec un gloubiboulga de phrases creuses et d''intrigues emberlificotées tournant autour d'éternels effet de miroir "je t'aime en fait mais toi tu aimes la femme en moi et finalement on aimait tous les 2 feu ma femme et peut-être même que toi tu l'aimais au-delà de ce que Platon préconise parce qu'à travers moi c'est elle que tu continues d'aimer"... Burp, c'est l'indigestion de postures un peu vaines. Le film peine donc à convaincre surtout lorsque démarrent les séquences de shopping frôlant le ridicule (voix fluette de Duris dans un ascenseur puis ricanements complices puis enchaînement de moments fleurant bon le Pretty Woman du film d'auteur). Et puis franchement, par les temps qui courent, quelle idée de nous pondre un film où de jeunes gens vivent dans des maisons de 400 mètres carrés, peuvent s'arrêter de bosser comme ça du jour au lendemain en claquant des doigts et dont les obsessions se limitent à aller se faire épiler le bas du dos et s'acheter des fringues après une partie de tennis ???? Etre à ce point coupé du vrai monde, ç'en est presque indécent... Enfin ça n'est que mon avis. A noter tout de même une jolie prestation d'Anaïs Demoutier, très très convaincante, le petit rayon de soleil du film.

dimanche 1 novembre 2015

Hercule


C'est vrai, on partait de loin mais, toutes proportions gardées, ce Hercule est franchement une bonne surprise. D'abord parce qu'il a le bon goût de ne durer qu'1h30, ce qui s'apprécie par les temps qui courent (3h10 l'interminable Winter Sleep). Ensuite parce qu'il prend le sujet par le bon bout à savoir la lecture evhémériste du mythe. Je m'explique. On va s'intéresser à l'homme derrière la légende, le mercenaire de chair et de sang qui aura inspiré la figure légendaire. D'où cette introduction savoureuse où l'on découvre que la mythologie est une histoire racontée par des hommes à d'autres hommes pour les distraire, les faire rêver ou comme ici pour gagner de temps lorsque sa propre vie est en jeu... Rien ne désigne évidemment dans le film un prétendu fils de Zeus. Ce sont ses authentiques exploits qui façonneront sa légende, une force physique mais surtout mentale qui lui viennent on le comprend vite de la rage invraisemblable qu'il tire de la mort de ses proches (sa femme et ses enfants). A l'heure de la consécration des Super Héros de tout poil, je trouve appréciable que le réalisateur et les scénaristes ne soient pas tombés dans ce piège, dans cette facilité pour aborder le sujet herculéen. Ce qui permet mine de rien de dépoussiérer un sujet qui l'était justement,déjà poussiéreux et désuet...

Voilà. Hercule est donc sans grande prétention ni fabuleuse ambition mais il est un sympathique divertissement, ce qu'on appellera une jolie surprise, qui pour une fois ne nous prend pas complètement pour des demeurés. et fait au passage un tout petit peu réfléchir quand à la fabrication des mythes fondateurs...

vendredi 30 octobre 2015

Leviathan


Leviathan aurait vraiment mérité la Palme d'Or en 2014 ! Un morceau de bravoure, de tragédie Grecque ou plutôt Ukrainienne aux accents bibliques, où le drame inéluctable, fruit amer ou pourri de la victoire infâme du fort sur le faible, se noue sournoisement à l'abri des regards mais dans la lumière crue d'une justice aveuglée, aux ordres. La justice des hommes corrompus. Celle de Dieu n'est pas en reste et pour cause, "la vertu ne se décrète pas, n'exige aucune contrepartie, ton chemin de croix sera celui de la rédemption" susurre le croyant à l'incroyant jusqu'à ce que ce dernier courbe complètement l'échine et finisse comme ce squelette de baleine ou cette épave de bateau... Ironie du sort, sa maison sera finalement remplacée par... Une église. Habile façon de rappeler que les écrits saints sont aussi les premiers arguments commerciaux pour faire prospérer une foi dont les promoteurs (les mêmes qui détiennent le pouvoir) exploitent sans vergogne la fragilité d'hommes brisés. C'est ainsi que notre héros va payer sans broncher pour un crime qu'il n'a pas commis. L'enfer c'est parfois la religion. Tout dépend de ce qu'on en fait, de ce qu'on lui fait dire. La satire est l'une des redoutables armes de Leviathan, critique à peine voilée d'une religion d'Etat, d'une croyance érigée en cadre dogmatique qui va donner bonne conscience au bourreau lorsque le moment sera venu d'écraser le citoyen comme un vermisseau. C'est pourquoi derrière son ineffable noirceur le film réveille les consciences, nous ouvre les yeux, nous fait réaliser combien les donneurs de leçons, les chantres de la morale (religieuse en l'état) sont souvent les mauvais payeurs, parce que toujours du coté des puissants. Jamais des faibles... 

Du côté des influences, j'ai également pensé à la légende Arthurienne. Pas que pour ces décors grandioses qui finissent par nous convaincre que l'homme moderne est né quelques part sur les rives de la mer de Barents. Aussi pour le héros Kolia qui me rappelle cet Arthur de devoir ne voyant pas Guenièvre s'amouracher de Lancelot (pourtant son premier défenseur, l'avocat venu de Moscou) bien trop occupé qu'il est à préserver l'unité de son royaume : la maison héritée de plusieurs générations, les souvenirs, son sang. Sur cette terre du bout du monde on l'imagine bien s'écriant après le verre de trop "Une terre, un roi". Quel rôle pourrait alors jouer son fils, Mordred alias Roma, dans la décomposition du foyer familial ? Celui d'un adversaire en devenir ? L'un des responsables indirects de la tragédie à l'oeuvre ? Certainement et ces multiples grilles de lecture disent d'elles mêmes toute la grandeur du sujet, des sujets du film se débattant pour s'arracher au joug d'un destin malicieux, au sens de messager discret, invisible du "mal". Sorte de visiteur du soir indélicat et difficile à repousser comme lors de cette incursion nocturne et menaçante d'un maire aviné dans les retranchements de Kolia.

Alors certains auraient eu le malheur de comparer cet immense film à Winter Sleep ? Invraisemblable ! Leviathan se construit avant tout sur le réel, sur des personnages qui existent dans une géographie mais surtout dans une société, sous l'autorité d"une administration centralisée, tentaculaire (l'allusion du titre) dont les rouages létaux apparaissent rapidement. Des personnages y affrontent le vrai monde et ses vissicitudes, ses injustices comme une deuxième nature. Leviathan aborde d'ailleurs les grandes questions existentielles via le genre (toute la deuxième partie, la mort, le fil policier, le maquillage d'un meurtre froid, d'Etat, en meurtre passionnel, la reconstitution puis les conséquences sur la vie en morceaux de tous les personnages) alors que Winter Sleep malgré  l'intérêt philosophique et sociologique qu'il présente en reste sous la forme d'un huis clos au statut de pensum bavard sur les difficultés inaliénables du couple ou de la famille, le tout à travers le regard d'un homme embourgeoisé et perdu dans un projet littéraire d'état des lieux du théââââtre Turque, rien que ça  !!! Non, avec Leviathan, c'est bien le cinéma qui vient à notre rencontre, le vrai, total, à l'état brut et qui vous saisit à la gorge comme les goulées de Vodka coulant dans le gosier de personnages en sidération devant les coups durs, les vents contraires, mais qui tiennent debout, coûte que coûte, en essayant modestement de préserver ce qui subsiste en eux de dignité humaine. Un peu comme des roseaux qui plieraient sans rompre espérant sereinement le jour où le destin aura le bon goût de déraciner le chêne (le puissant, l'Etat, la religion) pour lui ôter un peu de son insolente superbe, de cette morgue hautaine et insultante qu'il étale depuis trop longtemps... 

jeudi 29 octobre 2015

Near Death Experience


Drôle (façon de parler) mais en regardant l'affiche j'ai d'abord pensé au Vélo de Ghislain Lambert parce que ce Houellebecq a comme ça la dégaine d'un Benoît Poelvoorde sous anxiolytique. Et c'est d'ailleurs le premier choc en découvrant le film. Michel Houellebecq, une voix, un texte, un corps, un visage, une présence. Tout cela. Il incarne littéralement le film à lui tout seul. Révélation sur un voyage au bout de soi-même qui tient sur les frêles épaules d'un seul homme.

Alors oui certains n'aimeront pas, c'est sûr, y verront comme moi des facilités ici et là (l'humour potache pas toujours bienvenu) mais franchement que le courant passe chaque fois que cette voix résonne sur une ombre portée ressemblant à la silhouette torturée d'un Nosferatu en plein jour, ou sur ce moment de questionnaire de call center récité platement, comme un robot, alors que la caméra s'enroule autour d'un fourmi torturée, le cul écrasé sur le bout d'un bâton... La magie opère souvent comme cela sur des musiques divinement choisies, l'émotion passe avec force chaque fois que l'on ressent les enjeux finalement existentiels du film... Puisqu'on est ici quelque part entre Gerry et Into the wild, mais là où ces derniers rataient complètement leur coup (trop théorique et stylisé dans un cas, trop puéril et adolescent dans l'autre), Near Death Expérience par sa poésie tour à tour désespérée, loufoque, par sa simplicité aussi parvient à montrer que la vie c'est aussi retrouver ces moments simples où l'on communie de nouveau avec le présent, le vrai moment présent. C'est peut-être là, dans cet éloge d'une lenteur délectable retrouvée, que se niche l'espoir jamais vaincu.

Pour prendre une dernière comparaison, le parallèle est assez évident avec Tree of life, cette tentative trop désincarnée de Malick de vouloir poétiser la vie, ou de chercher à percer les petits secrets si bien gardés de la beauté du monde. Là où ce dernier péchait notamment dans le choix d'acteurs bien trop "gravures de mode" et dans des voix off finalement assez creuses, Delepine et Kervern ont l'idée géniale de faire du visage si imparfait de leur personnage principal un paysage à lui tout seul, un territoire grouillant de poésie éclairée. Ils mettent surtout dans sa bouche des mots savamment choisis, de la matière littéraire quoi, de la vraie... C'est un des miracles du film qui parvient à nous donner le sentiment d'être un lecteur et de voir les visions de l'auteur, du narrateur s'incarner sur l'écran. Alors je vois venir certains qui me rétorqueront que c'est alors le Tree of Life du pauvre en somme... Et bien je crois que je verrais plutôt ça comme un compliment à vrai dire. Une fausse ambition dans le désert mais une vraie humilité appréciable. Near Death Expérience en regorge.

La dernière séquence, sublime, rappelle combien Houellebecq aura follement incarné 1h30 durant le spleen Baudelairien, cette petite tortue achevant à son rythme une course vitale contre la précipitation, contre toutes les vitesses mauvaises conseillères, puis qui franchissant la ligne fait sa confession détachée, sereine, libre, profonde, nous livrant le fameux secret du bonheur terrestre contenu dans le poème Elévation.

Comme ce dernier envol par delà l'asphalte brûlant d'une route de montagne. Encore ! Encore !

Elévation




Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,

Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par delà le soleil, par delà les éthers,
Par delà les confins des sphères étoilées,



Mon esprit, tu te meus avec agilité,
Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde,
Tu sillonnes gaiement l'immensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.



Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides;
Va te purifier dans l'air supérieur,
Et bois, comme une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides.



Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse
S'élancer vers les champs lumineux et sereins; 



Celui dont les pensers, comme des alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
- Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes!




     Charles Baudelaire


mercredi 28 octobre 2015

Party Girl


Le risque avec Party Girl, on le sent dès les premières minutes c'est de sombrer dans la facilité d'un striptease géant (la célèbre émission belge) mais avec l'accent alsacien... C'est d'autant plus palpable que l'installation se fait in vivo dans un cabaret. autour d'un coin paumé après la frontière. Et ce qui n'arrange rien c'est que les premiers échanges, marqués par une vraie faiblesse des dialogues jusqu'aux présentations au sein de la famille de l'héroïne continuent de laisser à désirer. Le fait d'avoir à faire à des amateurs en matière de jeu y est probablement pour quelque chose et dessert le film, c'est en tout cas mon ressenti, dans un premier temps...

En revanche, malgré ce côté bancal que l'on retrouve aussi dans certaines séquences inabouties (je pense au pétage de plomb lorsqu'elle retourne au cabaret pour lequel une actrice aurait probablement mieux fait vivre la scène d'hystérie, je pense aussi à la scène tournée à la façon d'Une femme sous influence avec les copains du mari qui veut pas qu'elle fume... trop courte malgré un gros potentiel dramatique et burlesque), le film gagne en sympathie sur la durée. On est finalement traversé de beaux sentiments notamment lors de la séquence lumineuse et poétique des ballons dirigeables, puis lors de celle, simple et chaleureuse, du mariage (l'intervention émouvante des quatre enfants en particulier).

Malgré une narration prévisible et des dialogues, acteurs et séquences de qualité fort inégales, le film finit donc par être hyper attachant et s'achève en apothéose sur cette scène finale où l'on comprend qu'elle gardera fièrement et divinement son mystère, restant aussi insaisissable et indéchiffrable que ce visage qui exprimait si peu. A voir donc ce Party Girl d'autant que ça fait du bien tous ces visages inconnus et cette fraîcheur, cette innocence même que l'on sent chez les créateurs et qui est honnêtement vivifiante.

Her. Spike Jonze



Her est avant tout une intéressante incursion dans la comédie romantique par le très subtil truchement de l'anticipation. Riche idée mais au fond pas si neuve puisque les vioques dans mon genre ont eu le plaisir d'y goûter avec Une créature de rêve ou Electric Dreams dans les années 80 puis avec l'excellent Denise au téléphone dans les années 90. Ce dernier creusait d'ailleurs intelligemment le thème du repli sur soi par la faute des nouvelles technologies dites de communication. Syndrome paradoxal. Et stigmatisait par là un refus d'engagement en matière de sentiments, pathologie des temps modernes.

Outre cet argument, j'apprécie dans Her le fait que s'agissant d'un film US le puritanisme tellement ricain y trouve une illustration charmante dans la dématérialisation du corps de l'autre. Ou comment rendre palpable l'horreur qu'on peut en certaines extrémités y exprimer pour tout ce qui ressemble de près ou de loin à des poils ou à des sécrétions corporelles ! Une dématérialisation qui commence dès lors que l'on applique à l'autre sa propre grille d'exigences. Exemple avec cette très jolie scène de rendez-vous à l'issue duquel elle lui demande d'utiliser sa langue pour le baiser mais pas trop, juste un peu, à moitié... On n'est évidemment déjà plus dans la rencontre amoureuse mais dans l'exposition de son cahier des charges amoureux, dans l'étape "tue l'amour" où nos conditions rêvées sont posées au partenaire... Autre illustration symptomatique de cette recherche effrénée d'une forme maladive de perfection (évidemment pas de ce monde) : ce jeu video où l'on campe une mère qui pour marquer des points doit nourrir intelligemment ses enfants et les déposer à l'école avant les autres parents... Tant que Spike Jonze explore cette réflexion sur une idéalisation forcément déceptive du rapport à l'autre, tant qu'il évoque l'air de rien les difficultés du rapport amoureux propres à notre époque, le film fait mouche, il est même souvent poétique grâce à ses échanges délicieux entre un homme plutôt discret, timide, et une voix chaude.

Le film est moins convaincant sur d'autres aspects, notamment sur la personnalisation de l'Ordinateur qui dans son phrasé comme dans le contenu de ses propositions semble trop souvent prisonnier de formules, d'incantations un peu vaines, ne se targuant que de préoccupations très, trop humaines "Je sais bien que je n'ai pas de corps" ou "on fait moins l'amour ces derniers temps...". Déclamations qui tombent à plat parce qu'on saute artificiellement l'étape de la conscience de soi, du questionnement métaphysique. D'autres scènes comme celle du pique-nique par exemple ne fonctionnent pas beaucoup plus ("et alors qu'est-ce que tu aimes chez Samantha ?", question posée par le couple d'amis ou "Tu te tapes ton ordi ?" réaction outrée de l'ex adulée) du fait de dialogues qui ont quelque chose de trop littéral... Ce sont des phrases qui pourraient se révéler drôles dans du théâtre de boulevard ou dans une vraie comédie burlesque mais qui fonctionnent beaucoup moins dans ce registre poético-réflexif fait de sentiments (vrais ou simulés d'ailleurs), de questionnements sur nos addictions, sur nos manques affectifs, et sur les solutions au rabais envisagées pour contourner une difficulté fondamentale à nous engager... Cela procède je crois d'un décalage pas toujours heureux entre l'univers et ce qu'on veut faire dire aux personnages.

Mais le vrai tournant raté du film me semble surtout se situer autour de la fameuse colère de Samantha ("Ta gueule" ose-t-elle même s'écrier). A partir de là, je rêve de basculer dans quelque chose de beaucoup plus angoissant. Du côté de ces atmosphères étranges où tout devient possible. Parce que le sentiment amoureux peut faire faire n'importe quoi. Précisément. Je me dis qu'on pourrait alors découvrir le vrai visage d'un gars inquiétant qui parle tout seul, qui cause aux arbres ou avec sa poupée gonflable... Cela pourrait révéler un personnage sous influence aussi effrayant que l'obsessionnel metteur en scène de ses fantasmes dans Le Voyeur. Mais on pourrait tout aussi bien montrer comment naît la relation abusive dans laquelle la voix va se révéler envahissante, pressante, manipulatrice, jouant avec plusieurs coups d'avance (des milliers peut-être) et pour cause, elle est un ordinateur... Elle peut alors apparaître comme menace multiple (une voix d'homme, d'enfant, un cri d'animal) et omniprésente, elle peut s'immiscer dans sa vie privée, dans ses choix, le faire chanter, elle pourrait même le mettre en concurrence avec l'un de ses fameux 641 autres amants (comme elle l'évoque vers la fin) mais rien de tout ça, on reste pour finir sagement dans une relation qui s'étiole (comme notre attention) pas vraiment de son fait à lui (le personnage central est d'ailleurs trop mou de ce point de vue) mais par sa volonté à elle de s'émanciper... S'émanciper de qui, de quoi ? Ce n'est pas clair... Pour aller où ? Ce n'est pas clair non plus. Cela affadit la seconde partie qui finit par ronronner malgré de belles idées comme le savoureux plan à 3 ou les vacances en amoureux à la montagne alors qu'il part tout seul !!!

Restera donc le beau message que véhicule le film sur ces vies par procuration que favorise un soit disant progrès (son métier à lui l'illustre bien d'ailleurs, écrire les histoires des autres, être la voix des autres) qui finit par nous renfermer sur nous mêmes plutôt que de nous ouvrir sur le monde. Mais  Denise au Téléphone ne le faisait-il pas mieux passer ce message parce que justement de façon plus cruelle, froide et cynique et sans pathos ? La naissance du sentiment amoureux dans Her, parce quelle a justement lieu, aurait probablement mérité d'être le point de départ d'une histoire beaucoup plus irrationnelle, inattendue, frissonnante, humaine comme seul l'amour sait en créer... C'est ce qu'on pourrait appeler le bug sentimental du film !