vendredi 24 mai 2013

Miss Bala. Trop, c'est trop !


Aïe... Cruelle 60ème minute au cours de laquelle Cendrillon transforma son carrosse en citrouille ! Bon ça avait pas forcément commencé sous les meilleurs auspices, pas bien finaud l'engin, mais comme on dit faut donner sa chance au produit. Quand le ridicule surgit dans un film pareil, en général la messe est dite une bonne fois. Et cette 60ème minute est comment dire ... rédhibitoire : un enchaînement abracadabrantesque qui voit notre belle ingénue (dans une imagerie vue basse de la Belle et la Bêêêête) envoyée transférer des sonnantes et trébuchantes de l'autre côté de la frontière et qui, prise entre 2 feux à son retour, fait l'objet d'une attention presque maternelle de la part de son bourreau persuadé de pouvoir l'amener dans les temps et en un morceau à son concours de miss avec une idée derrière la tête encore moins crédible... Il fallait être sacrément défoncé pour écrire un truc pareil. Trop c'est trop. Même en matière de narco-traffic. Un bon nanar mexicain.

mercredi 22 mai 2013

Le Sixième sens. Manhunter. Michael Mann. Iron Butterfly

J'aime bien la critique de POSITIF de juin 87 "On oubliera vite ce petit psycho-thriller, ou, pour ne pas abuser des mots étrangers, ce psycho-frileur", z'étaient déjà très portés sur l'exception culturelle française en matière de choix des mots... 


Plus sérieusement, ils avaient vu juste. Manhunter est un (télé)film assez quelconque, mal fagoté, qui a pris un gros coup de vieux à mon avis en raison des tics professionnels de Michael Mann venu à l'époque de la série TV - tout est bien trop daté.

Bon Mea Culpa  Je viens de le revoir, et je dois bien avouer qu'en dehors de l'acteur principal complètement fadasse et sans le moindre charisme, il y a quand même beaucoup de bonne choses, une ambiance horrifique assez réussie, un coté malsain qui fonctionne plutôt bien sans pour autant racheter les nombreux petits défauts...


Mais il restera surtout un moment inoubliable, je le confesse : L'immortel In a gadda da vida couvrant les hurlements de la jeune aveugle. Quand on passe du Iron Butterfly, personne ne vous entend crier. RESPECT !


Only God Forgives. Santa Sangre. Jodorowsky.


Voilà ce que j'ai écrit dans un mouvement d'humeur après une première séance dérangeante :

"
Quelle claque visuelle et sonore, quel inégalable sens de la mise en scène mais, mais, mais, mais un petit détail me chiffonne quand même... Où est passé ce fichu scénario Nicolas ? Je veux bien plonger corps et âme dans ton film, ressentir un peu d'émotion mais il m'aurait fallu quelques biscottes de plus sur cette fichue famille où l'on envie son frère aîné rêvant de meurtre, où l'on tue le père, où la mère émascule à l'envi... Une forêt de symboles passionnants certes, mais sur du papier glacé aussi beau soit-il ça ne me suffit pas. D'ailleurs, quel intérêt d'évoquer combats de boxe thaï, trafic de drogue, prostitution et proxénétisme, amour platonique et impuissance, passifs familiaux et liens du sang et j'en passe et des meilleures si on ne fait qu'effleurer tout ce beau linge pour rester dans de l'atmosphérique ascendant nébuleux ? Quant à Ryan Gosling, point faible du film ? je veux mon neveu, il ne faut pas confondre "à la dérive, en attente de quelque chose, quelque part" et inexpressif. Son regard nous charrie clairement des rafales toutes molles de vide intersidéral. Il en découle une difficulté à s'en approcher ne serait-ce qu'un tout petit peu... Tu vois, fan de la première heure, je suis resté sur ma faim. Mais allez rien que pour la mise en lumière et musique de Bangkok et de certains personnages, il faut quand même aller le voir. Nicolas, faut se reprendre mon vieux, pas le moment de mollir. Tu sais ce qu'on dit maintenant : ONLY FANS FORGIVE !"


Et puis je l'ai revu, et j'ai cette fois été emporté. Only God Forgives a quelque chose à dire. D''abord parce que les influences évidentes (le Jodorowsky de Santa Sangre, le Kubrick de Shining, le Lynch de Mulholland Drive ou de Sailor et Lula, j'ose même le Bunuel d'Un chien Andalou) n'ont rien d'un hasard et permettent de cerner les intentions secrètes du réalisateur lorsqu'il opte pour une forme cauchemardesque, onirique. Une plongée dans les tréfonds d'un subconscient. Celui du personnage principal. Le film peut alors dissiper son propre mystère sur ses fins dernières. Une lecture naturaliste en eut été la dramatique montée en puissance d'un Pusher II vers son apothéose mythologique : le fils tue le père. Mais Only God Forgives se place à dessein sur un autre terrain, plus incertain, dans les circonvolutions du cerveau de Julian, pour mieux éclairer le chemin qui le mènera d'insondables ténèbres, sa prison mentale et physique, vers la libération de son âme une fois le cordon définitivement coupé. Inépuisables et jouissives lectures !



J'ajoute ici des notes intéressantes sur Santa Sangre que je viens de revoir. Only God Forgives est dédié à Jodorowsky, pas un hasard. La parenté avec Santa Sangre est proprement hallucinante. Quelques idées familières dont ce dernier déborde :

Drame familial. Une mère est mutilée par son mari qui lui coupe les deux bras avant de se suicider. Le fils traumatisé, Fenix, en devient schizophrène et tombe sous l'empire de sa mère dès lors qu'elle est physiquement diminuée, devenant même son "bras vengeur" (il accomplira sous sa dictée quelques basses besognes). Elle exerce un contrôle tyrannique sur sa vie au point de lui intimer l'ordre de supprimer sa jeune fiancée sourde et muette Alma (avec laquelle il entretient une relation purement platonique). Il se retrouve alors face à un choix cornélien qui va lui ouvrir les yeux sur son absence d'identité, son statut de marionnette aux mains (paradoxalement les siennes) de cette mère castratrice. Il tranche en faveur d'Alma et tue sa mère. Libéré, ses dernières paroles sont aux policiers venus l'arrêter qui l'exhortent à mettre les mains en l'air : "My Hands, My Hands" alors qu'il contemple, soulagé, ses propres mains convaincu qu'elles sont enfin redevenues les siennes. 

Le film dans son ensemble fonctionne comme un long voyage au bout de la nuit dans l'esprit du héros qui comme son prénom l'indique, Fenix, peut avec le meurtre de sa mère renaître de ses cendres. Cela éclaire d'un jour différent Only God Forgives qui le rend dès lors moins prétentieux, plus attachant qu'on a pu le dire ou le le laisser croire. Parce que voilà une déclaration d'amour, un hommage sans réserves à Jodorowsky, jusqu'au bout des ongles et des mains de Julian (et de NWR qui sait par la même occasion rester lui-même) qui, on l'imagine, est pour quelque chose dans la mort de sa mère... Ce qui interroge sur la réalité du policier lorsqu'il supprime la mater. Est-ce le policier ou une projection mentale de Julian pour se libérer de toute culpabilité ? Dans le cas où une schizophrénie est en place chez Julian (avec cette lutte intérieure entre le gentil fils mutique et soumis d'un côté et le déchaînement de violence incarné par le mystérieux tueur) on peut imaginer que c'est sous cette identité que Julian finit par se libérer en tuant sa propre mère (ce qui accréditerait la thèse d'une parenté jusque-boutiste avec Santa Sangre). A cet effet la main de Julian tendue sur la nuque de sa fiancée à la sortie du restaurant est l'exact cliché renversé de la main du tueur plantant son arme dans la gorge de la mère de Julian. Un indice visuel qui peut aider dans notre compréhension du film.

Et pour revenir à ce qui est reproché au film, son caractère terriblement hermétique, une forme d'autisme dans l'absence d'émotions transmises, cet univers à la fois clos et anxiogène, tout est vrai lors d'une première vision d'un film qui ne se donne pas facilement. Une fois le parallèle établi avec Santa Sangre, le coeur d'Only God Forgives se met à battre, chaque porte, chaque zone d'ombre dans les cauchemars de Julian deviennent des trappes secrètes vers le film de Jodorowsky qui font remonter, circuler l'émotion recherchée par tout cinéphile en apportant des éclairages salutaires sur un film en forme de sentier lumineux de rédemption.

samedi 18 mai 2013

Fight Club. L'hôpital et la charité.


Le plus mauvais film du grand David Fincher ? je crois que oui même si heureusement le bonhomme s'est rattrapé depuis. Il fallait s'en douter dans une période où la mode était au twist lourd et sonore (The game du même réalisateur mais tant d'autres depuis Angel Heart jusqu'au Sixième sens en passant par Usual Suspect). Et voilà le premier problème : un film censé dénoncer les machiavéliques subterfuges d'une méchante société de la réclame entièrement tournée vers le profit pour nous maintenir dans un état cataleptique devrait a minima éviter le conformisme absolu pour l'époque d'une forme d'attrape-nigaud comme le twist. Déjà, le film malhonnête, utilisant les mêmes ficelles que la pub la plus vendeuse pour une lessive répond à la question "comment se tirer une balle dans le pied ?".

Mais Fight Club va plus loin. Avec son esthétique de clip video et ses personnages trempés dans du cliché gras (le mou du genou face au rebelle survolté), il nous sert exactement ce qu'il essaye vainement de dénoncer... l'infâme soupe à base d'excès concassés d'une société de consommation devenue folle mais qui sait user de stratagèmes pour mieux nous maintenir dans une léthargie béate. Et oui, Fight Club est un blockbuster musclé trempé dans de la provoc pour créer le buzz, débordant de rebondissements et d'effets spéciaux (la séquence finale),  taillé pour aller chercher de juteuses parts de marché en s'appuyant sur les 2 acteurs les plus bancables de l'époque... Il fallait oser ! L'hôpital qui se fout de la charité en somme.

Je rappelle d'ailleurs à toutes fins utiles que la paternité de cette idée d'un personnage créé de toutes pièces par le cerveau malade d'un personnage schyzo revient à Richard Wright dans son unique et fabuleux roman Portrait d'un jeune homme qui se noie. Rien à voir avec ce rebondissement à deux balles qui nous découvre sur une caméra un Edward Norton en train de se mettre des pions dans la face, tout seul, comme pour nous montrer prosaïquement le chemin : "il faut vous réveiller, mettez-vous de bonne claques dans la gueule et tout ira bien"... Et je ne parle même pas du pitch désarmant comme un lieu commun "Le narrateur, sans identité précise, vit seul, travaille seul, dort seul, mange seul ses plateaux-repas pour une personne comme beaucoup d'autres personnes seules qui connaissent la misère humaine, morale et sexuelle. C'est pourquoi il va devenir membre du Fight club, un lieu clandestin ou il va pouvoir retrouver sa virilité, l'échange et la communication". Une espèce de promesse rêvée pour des milliers d'ados en mal d'émotions fortes et angoissés à l'idée d'entrer dans la vie active... Pas étonnant que le film soit "culte" pour des générations d'adolescents.

NOTES APRES REVISIONNAGE Je viens de le revoir 25 ans plus tard. Je ne l'avais pas revu depuis sa sortie ciné. J'adore Fincher et je n'ai pas grand chose à redire sur la mise en scène, l'atmosphère générale du film, ses lieux interlopes, la voix off, les silhouettes dans la nuit. Tout cela reste intéressant et immersif. Mais je ne retire rien de ce que j'ai pu dire et ressentir à l'époque. Quelque chose ne tourne pas rond et je pense pas qu'au personnage principal. Il y a dans Sixième sens sorti la même année ou les Autres d'Amenabar une façon aisée de valider les choix narratifs en les reprenant au début, en les revisionnant. Ici franchement trop de choses interrogent ! On se demande vraiment comment se manifeste pour le monde extérieur la schyzophrénie notamment lorsque Tyler et lui parlent ensemble en présence de tierces personnes (dans l'avion, dans l'habitacle juste avant l'accident, tant d'autres fois) sans que cela n'éveille aucun soupçon nulle part ? Même qund il s'achète à manger ? Comment par exemple fait-elle (sa dulcinée)  pour ne jamais se rendre compte plus tôt qu'il est complètement cintré, qu'il parle tout seul ? D'ailleurs comment peut-on le voir dans sa cuisine quand il est au même moment en train de s'éclater au-dessus avec elle. Facilité scénaristique pour nous la faire à l'envers.  Comment malgré sa folie évidente parvient-il à enrôler des gens dans tout le pays jusqu'à des postes clés dans la police ? Enfin comment n'est-il pas suivi médicalement ? Ne prend-il aucun medoc ? N'a-t-il aucun parent, frère ou soeur ou camarade d'école, ami d'enfance ? Mais un bon boulot de courtier en assurance, ça oui... C'est mépriser tous les gens psychotiques qui souffrent et qui souffrent socialement. On finit donc en découvrant le pot-aux-roses par réaliser à quel point rien ne tient vraiment la route dans cette histoire de Big Chaos. On peut donc être inadapté aux autres, au monde mais le dirigier comme une multinationale. Par ailleurs, pas de police, pas de filature malgré le nombre de recrures, tout est parfaitement normal dans ce no man's land aux abords de New-York où ça s'agite comme dans une fourmilère, comme avant une insurrection. Par ailleurs, quand on aime comme c'est mon cas la boxe anglaise et qu'on sait le peu de coups qu'il a fallu à Michael Watson ou Gerald Mc Clellan pour finir tétraplégiques, on ne peut que trouver irrévérencieux, fantaisistes et pour tout dire malsains ces interminables bastonnades et giclées de sang sur le rythme effrenné d'une musique bien trop répétitive et qui imprègne tout le film de façon agaçante. Là encore on est dans une complaisance et une outrance malvenues. Bref, Fight Club est à mes yeux un vrai faux pas de Fincher, il est malin, il est fourbe, il est le stigmate d'une époque clinquante comme un spot MTV, démonstratif et conçu pour fasciner les ados... Sinon pourquoi finir sur du Pixies quand en face on devine déjà sous les décombres à venir la mort certaine d'innocents au mauvais endroit, au mauvais moment...  




Holy Motors. Leos Carax



Leos Carax aura mis le temps à comprendre que la vocation première du cinéma est de nous faire rêver. Holy Motors est de cette étoffe soyeuse dont se parent les songes. J'ai d'ailleurs après coup la délicieuse impression d'avoir pu observer  la loupe et en toute liberté les pérégrinations urbaines d'un magicien pas dissimulateur pour un sou et disposé à me dévoiler ses trucs, à m'expliquer ses tours de passe-passe. Parce que son sac à malices est cette Limousine, luxueuse arrière boutique qui nous devient peu à peu familière, c'est la condition pour entrer en symbiose avec le film et ses personnages. Au final, des tranches de vie inégales mais qui touchent, transportent, font écho à nos propres souvenirs (de vie et de cinéphile). La bonne idée ayant été de situer l'histoire dans un cadre séduisant (le film de genre) et de la baigner dans une atmosphère fantastique. J'ai pensé dans le désordre à Kubrick, Godard, Lynch, Cronenberg, et surtout Gilliam.  Mais Leo Carax est assez grand, plus besoin de personne pour occuper tout l'écran ! Holy Carax...

L'armée des morts. Zack Snyder. Dawn of the dead. George A Romero


Jamais facile de s'attaquer à un monument, comment fait-on pour ne pas décevoir ? Y a t-il une recette ? Zack Snyder la eu l'audace et l'intelligence de reprendre deux marqueurs forts du film de Romero à savoir le climat (claustro) et le lieu (supermarché).



Pour le reste, il pose habilement sa patte, réinvente, donne vie à des personnages fouillés, puissants (l'héroïne bien sûr), manie subtilement la citation au-delà du film de "zombie" (The Breed, Invasion of the Body Snatchers, Cannibal Holocaust,...) et nous laisse sur le derche, sonné, quand les lumières se rallument... Il faut dire qu'au milieu de séquences mémorables surnagent une introduction et un épilogue qui à eux deux atteignent des sommets de cinéma.

Ce serait donc ça le secret en matière d'adaptation et de remake : vénérer l'original mais pas trop, pouvoir oser tuer le père avec l'immense respect qui lui est dû... Zack Snyder a brillamment réussi son oedipe. Je déplore simplement qu'il n'ait pas retrouvé cette folle inspiration depuis...

Cosmopolis. David Cronenberg. Accident de parcours !



Mais quelle mouche a piqué Cronenberg ? Lui qui a longtemps excellé dans une vision organique et charnelle de l'avenir (Scanners, Videodrome, Existenz...) illustrant divinement la décrépitude de l'ère moderne à travers nos chairs décomposées (Dead ringers, Crash, The Breed, la Mouche...) s'essaye soudain au film d'auteur glacé, bavard, théorisant et d'un abominable sérieux... Et d'où viendrait cette idée tendance que pour décrire un monde devenu fou et déconnecté du réel il faille faire un film carré, empesé, aseptisé, froid et coupé de ses spectateurs ? Cosmopolis est un naufrage cinématographique autant qu'une regrettable erreur de casting. Un seul réalisateur aurait peut-être su adapter le roman fleuve de Don Delillo à sa façon unique : Terry Gilliam. Il suffit de revoir Brazil pour s'en convaincre...

The tree of life. Terrence Mallick. Le début de la fin...


Il y a dans Tree of Life des moments de grâce inouïe, chez Terence Mallick une capacité hors normes à filmer, à sonder l'âme, et dans le même temps quelque chose d'imparfait, d'inabouti.

Au final, je retiens l'émotion maintes fois suscitée et pourtant... Me restent en travers de la gorge ces personnages à peine dessinés, vite expédiés. Le "working man" stéréotypé joué par Sean Penn, caricature d'une légèreté incroyable (costard, lunettes de soleil, marchant seul dans les allées d'un centre d'affaires)... Vraiment dommage.

Terrence Malick a probablement vu trop grand, trop théorique aussi, en ne faisant confiance qu'à son sens inné de l'image. Il manque de ce fait une singularité, un ancrage, un enracinement dans le réel pour que le film prenne une toute autre dimension. Un défaut qui semble s'aggraver dans son dernier opus A la Merveille. Signe inquiétant ? Je m'interroge...

Et je repense à son chef-d'oeuvre à mes yeux (Les moissons du ciel). Je me rappelle qu'il doit son insolente réussite à un vrai scénario et de vrais personnages... Comme quoi !

Billy Budd. Terence Stamp. Peter Ustinov


A voir absolument. Huis clos maritime, Billy Budd est génialissime à tous point de vue. Le grand, le très grand film de Peter Ustinov. Mise en scène, dialogues, jeu des acteurs (et quel Terence Stamp au début de sa belle carrière !) , progression de l'intrigue, tout est parfait... Le coeur du film bat autour de la violence que se livre un jeune "blanc bec" pour essayer d'exister par-delà les règles coercitives et le régime militaire auquel il est censé se soumettre à bord en sa qualité de matelot, impérieuse condition à ses yeux pour éclore au monde comme un homme nouveau, affranchi de ses chaînes (réelles et mentales). Une oeuvre évidemment puissamment allégorique de ce qu'est le passage rituel à l'âge adulte, le deuil de ce qu'on fut avant.

mercredi 15 mai 2013

Melancholia. Lars Von Trier. Sursaut d'humanité. Sommet de cinéma



Je suis souvent resté sur ma faim devant les films de Lars Von Trier, trouvant toujours quelque chose à redire sur ci ou ça, ici et là... Du coup j'ai jamais vraiment compris qu'on puisse crier au génie... Jusqu'à Melancholia. Il faut bien une première fois. Je pense qu'il va s'imposer sur la durée comme un monument du 7ème art et dans le même temps comme le plus grand film de son réalisateur.




Inspiré, profond, emprunt de grâce, d'une puissance sensorielle rare, d'une réflexion parfaitement sentie sur notre monde en décrépitude. La preuve aussi que ce réalisateur sait aimer ses personnages malgré leurs vices de fabrication, leur humanité si imparfaite.

Et puis tiens, si tout devait s'arrêter demain, que de nouvelles formes de vie débarquaient sur une Terre ravagée, je crois que voir ce film serait un des moyens les plus beaux qui soit pour appréhender au plus près l'inextricable complexité de ce que fut l'humanité.


Voilà pour moi le film qui en 2012 eut largement mérité la Palme d'Or. Même évidence que Mulholland Drive en 2001...


Collateral. Michael Mann. Thriller et Monde du travail


Mémorable ! Collateral s'achève sur une grande tirade du personnage incarné par Tom Cruise. Il évoque ces gens (nous tous, toi, moi, lui, elle) qui prendront bientôt le métro, la gueule enfarinée, la tête basse, sans même remarquer le maccabée pourrissant sur pied juste à côté.



Voilà qui résume la portée de ce fabuleux thriller. Collateral transcende le genre auquel il appartient parce qu'il nous parle d'un sujet très clair : le travail qui avilit, qui enchaîne, ses effets collatéraux (sans jeu de mots) sur celles et ceux qui en dépendent pour vivre.



Une femme travaille très tard dans une grande société alors qu'elle pourrait être chez elle, bien au chaud sous les draps. Elle est d'emblée ce personnage dédié corps et âme à son travail, prisonnière d'une tour de verre à une heure où d'autres dorment déjà... Elle est déposée par un chauffeur de taxi qui rêve de créer sa propre entreprise de location de limousine (Là encore problématique d'un employé, qui subit une situation professionnelle en attendant mieux). Un troisième personnage est tueur à gages. Il est désenchanté, sans scrupules et sans illusions. Il est fidèle à son employeur et va toujours au bout de ses contrats.

C'est ce subtil trio nocturne de personnages "au travail" qui donne à ce thriller crépusculaire une dimension allégorique sur-puissante. Entre les deux personnages masculins s'installe d'ailleurs peu à peu une relation ambigue, emprunte d'empathie, de respect, d'amitié. D'admiration aussi lorsque le tueur à gages (jusque-boutiste, prêt à tout pour accomplir sa tâche) reconnaît au chauffeur le courage d'avoir su briser ses chaînes lorsqu'il décide de voler au secours de cette working girl, bien décidé qu'il est à prendre enfin son destin en main pour ne pas finir comme toutes ces dépouilles anonymes écrasées par le petit matin dans une rame de métro...


Bref très grand thriller autour des ravages de la grande ville sur l'individu venu y trouver son salut. Et plus grand rôle de Tom Cruise. Phénoménal !

Lost. L'arnaque ultime


Et vas-y que je te mets du gros survival de chez Koh Lanta (les "tête de l'avion" jaunes et les "queue de l'avion" rouges puis la réunification sous l'oeil de la production de l'émission "Dharma"...) et des mystères épais comme les secrets bien gardés de Secret Story (j'ai tué mon beau-père, j'ai volé de l'argent, mon père m'a pris un rein, mon père s'est tapé ma femme...). Voilà comment fonctionne Lost parce que les scénaristes sont partis de ce triple principe : on crée des personnages avec chacun un passé bien traumatique pas piqué des vers. On leur assigne ensuite des missions (le principe d'une liste avec des objectifs) et on ajoute pour finir des énigmes à résoudre (sous forme de combinaison de chiffres, de recherche de lieux secrets, etc.) Vous êtes alors dans la mouvance la plus limpide des télé-réalités à succès de ces dernières années. Ni plus, ni moins. C'est le téléscopage de ces volontés divergentes qui va provoquer les dommages collatéraux attendus car susceptibles de faire avancer l'intrigue. C'est pour cela qu'on a l'impression que l'histoire progresse à vue, sans écriture préalable. Car le scénario s'est évidemment perdu en route (a-t-il jamais existé ?) tout comme les malheureux héroïno-spectateurs accrochés à leurs dosettes 6 longues saisons pour que dalle.

On ne peut pas faire preuve d'indulgence pour une telle entreprise de destruction de nos neurones... Une série qui ne fait qu'appliquer cyniquement la loi fondamentale du capitalisme consistant à appâter pour mieux affamer. Les producteurs ont raisonné comme la grande industrie du tabac. Créer de la dépendance avec du vide déguisé en sens caché. Je te jette des bouts de mystère sans queue ni tête toujours plus nombreux que leurs résolutions, ce qui va te maintenir hypnotisé devant ta télé jusqu'au réveil douloureux, ce fameux épilogue censé nous rendre un peu plus intelligents et qui révèle l'incroyable arnaque dont le spectateur a été victime de trop longues années durant.

Lost est le pire mirage, le plus cynique des dispositifs qu'une série TV ait osé mettre en place pour lobotomiser le spectateur. Le plus dur pour beaucoup maintenant, ça va être de décrocher.

Pas perdu pour tout le monde, apparemment..





The Descent. Neil Marshall. Guerre des sexes. Matriarcat

Dans The Descent, un postulat me fascine d'entrée : le genre masculin est au pire en voie de disparition, au mieux en pleine dégénérescence...


Le seul homme on va dire "normal" du film (pour reprendre une expression chère à François Hollande) finit transpercé par un tube d'acier au bout de quelques minutes faisant d'ailleurs écho à une séquence mémorable du Quatrième homme (Paul Verhoeven) qui dépeignait une veuve noire et la façon cruelle et morbide qu'elle avait de zigouiller ses amants les uns après les autres. D'ailleurs se met immédiatement en place les codes d'un matriarcat qui va prendre tout son sens lors de la descente en rappel de ce groupe de femmes aux allures de commando dans une grotte sans fonds.

Neil Marshall est par ailleurs un vrai grand cinéphile. Il a l'élégance de distiller ses références avec parcimonie et intelligence à mesure que l'on s'enfonce d'un genre (le survival en milieu naturel) vers un autre (le film d'horreur pur et dur, avec adversaires en chair et en os mais déshumanisés) : Ainsi retrouve-t-on dans le désordre des clins d'oeil à Carrie, Evil Dead, Alien, The Thing, Massacre à la tronçonneuse, Delivrance et même Zombie... Jouissif petit jeu de décodage entre les plans.

Rarement film d'horreur aura d'ailleurs si bien marié l'efficacité requise (frayeur absolue garantie, ne pas voir ce film au cinéma serait un crime de lèse-majesté) à une vraie réflexion sur les phobies les plus répandues (peur du noir, du vide, d'étouffer, de se noyer, d'être dévoré dans l'obscurité...).

L'idée géniale vient encore une fois de ce que les personnages principaux sont des héroïnes et que symboliquement elles se débattent face des "hommes du dessous", des "sous-hommes"... Car après tout, l'horreur mise à part, l'idée d'un groupe de femmes sportives, modernes, indépendantes, "avec des couilles" se retrouvant aux prises avec un genre masculin dévoyé, hideux, vivant dans l'obscurité, ça ne vous rappelle rien ? Ca s'appelle la guerre des sexes, deux sexes qui plus que jamais se cherchent dans une société qui mue à toute vitesse. Terriblement d'actualité. Une guerre de toute éternité  dont personne ne sortira indemne.

Et c'est là une portée allégorique qui sublime le film à mesure que l'on s'enfonce dans la grotte et dans l'horreur... Ou qu'une héroine s'extraie de la terre comme un nouveau-né d'un ventre maternel.   

Incontestablement le plus grand film d'épouvante depuis... très longtemps.




mardi 14 mai 2013

Confession à un cadavre. The nanny. Bette Davis. Seth Holt (1965)


Encore un de ces films et de ces réalisateurs (Seth Holt) oubliés, sous-estimés, à réhabiliter sans tarder...


Le pitch ? Un petit garçon de 10 ans rentre à la maison après un séjour en hôpital psychiatrique. Une nounou est dépêchée pour s'occuper de lui...Une atmosphère fantastique tirant sur l'horreur. Pour les amateurs, Les Innocents (Jack Clayton) ou Le Corrupteur (Michael Winner) sont deux films auxquels on pense immédiatement. Bette Davis est fabuleuse dans ce rôle d'inquiétante nounou.


Alors un seul conseil : Foncez dévorer ce bijou d'épouvante et de cruauté qui reste d'une étonnante modernité à tous points de vue : mise en scène, narration, progression de l'intrigue...


dimanche 12 mai 2013

Match Point. Woody Allen. Grand cru 2005.


Woody Allen est comme le bon vin. Et il aura fallu attendre 2005 pour goûter son plus grand millésime. La perfection. Il n'ira pas plus haut.

Bien sûr on pense en le dégustant au Barry Lindon de Stanley Kubrick, aux Chemins de la haute ville de Jack Clayton, à ces trajectoires singulières d'arrivistes célestes... Et puis vers le milieu du film on identifie une nouvelle référence. Evidente ! Hitchcock et son Inconnu du Nord Express.

Franchement, je ne sais pas comment traduire ce que ce film pèse et pèsera dans l'histoire du cinéma. Ces hommages si gracieusement rendus, ces fabuleux contrastes entre élégant cynisme à l'anglaise et cruauté abrupte, brutalité soudaine, comme autant de détonations dans l'âme... Il y a aussi pour la première fois chez Woody Allen l'épaisseur de vrais personnages de fiction, une matière sociale et politique comme l'affectionne tant Ken Loach.

Décidément, Match Point est d'autant plus jubilatoire que personne n'aurait pu imaginer Woody Allen capable d'un pareil cadeau. Et pourtant, il en est bien le divin créateur !



The Suspect. The Dark Mirror. The Killers. Robert Siodmak

Le nom de Siodmak est indissociable de son film le plus célèbre The Killers/Les Tueurs (Ava Gardner, Burt Lancaster),  film à mon sens surestimé. Un bon film noir, de facture classique, mais sans le génie et/ou la vision qui lui auraient permis de traverser les décennies sans encombres. or il a objectivement vieilli...


J'ai en revanche une tendresse particulière pour The Dark Mirror/Double Enigme qui l'air de rien est beaucoup plus ambitieux et moderne (sur le plan de la narration) qu'on ne voudrait le croire. Et qui d'ailleurs me semble avoir beaucoup influencé David Cronenberg pour Dead Ringers/Faux Semblants et Paul Verhoeven pour Basic Instinct.


Mais si je devais au final ne retenir qu'un film, le plus abouti, à mes yeux son indépassable chef d'oeuvre, ce serait The Suspect/Le Suspect. Charles Laughton y donne sa pleine mesure - pas loin d'être son plus grand rôle. Le scénario et les dialogues laissent pantois. La réalisation et le jeu des acteurs sont aussi sobres qu'ils sont brillants. Tout y est parfait. Même le timing. Voilà pour moi l'aboutissement en matière de film noir et le sommet de l'oeuvre du grand Robert Siodmak.




vendredi 10 mai 2013

The Funeral. Nos Funérailles. Abel Ferrara. 1996. L'invasion des profanateurs de sépulture.



Pour moi et jusqu'à ce jour le chef d'oeuvre d'Abel Ferrara. Un deuil se révèle être le détonateur d'une déflagration familiale beaucoup plus vaste. Des acteurs en état de grâce et un final paradoxalement intimiste qui vous laisse physiquement et moralement sur le carreau.



Tout l'intérêt provient à mes yeux de ce processus invisible du film au travail, une contamination lente et inexorable qui se propage au sein d'un famille dès lors que les digues ont lâché avec la mort du petit frère chéri. Pas étonnant qu'Abel Ferrara se soit consacré en son temps au remake de L'Invasion des profanateurs de sépulture (Don Siegel), la métaphore de ce qui l'y a intéressé devient limpide : comment devient-on étranger à sa famille, à soi même, à ce qui fait de nous ce que nous sommes, viscéralement ? Pour moi, la véritable adaptation et synthèse du film de Siegel par Ferrara, la voici dans toute son insondable humanité.



Loin devant Les Affranchis et autre Casino, le "film de mafia" trouve ici l'un de ses plus beaux emblèmes que je range immédiatement aux côtés du Parrain (Francis Coppola). C'est aussi l'occasion de redécouvrir l'incroyable acteur qu'était Chris Penn, disparu trop tôt. 



jeudi 9 mai 2013

The Devils. Ken Russel. Oliver Reed. Vanessa Redgrave. 1971



Adapté de l'oeuvre visionnaire d'Aldous Huxley, The Devils est un festival d'ingéniosité, de folles trouvailles visuelles, d'une intensité rare, d'une noirceur totale.



De quoi sublimer la plus impitoyable, la plus limpide dénonciation de toutes les formes d'intolérance religieuse. Plus que jamais d'actualité par les temps qui courent. Oliver Reed et Vanessa Redgrave forever !



mercredi 8 mai 2013

Hana Bi. Takeshi Kitano. Sonatine

Sonatine avait été une révélation pour moi... Jeux d'enfants, silhouettes juvéniles, éclatantes chemises à fleur, décor idyllique, tout contrastait visuellement avec la cruauté de l'intrigue, l'inéluctable et sanglant règlement de compte qui se préparait. Des figures de style habilement contournées dans une mise en perspective qui faisait de ce film un choc.


Avec Hana Bi, Kitano creuse la même veine mais atteint au sublime.. Il a tenu ses promesses, Le résultat est un feu d'artifices de toute beauté.



lundi 6 mai 2013

Night moves. La Fugue. Arthur Penn. Gene Hackman grandiose. 1975



De tous les hommages au film noir, Le Privé (Robert Altman) en tête, Night Moves est à mes yeux l'un des tous meilleurs.

A la fois singulier dans sa narration indolente mais tout en ruptures, changements de rythme, il sait rester fidèle au genre auquel il se réfère et à l'époque qu'il dépeint (libération sexuelle des early 70s). Tout s'y enchaîne subtilement : le privé désabusé se rebiffe à mesure que l'intrigue se complexifie, la dimension personnelle empiète progressivement sur l'enquête. Gene Hackman est en outre impérial en type d'abord dépassé puis aussi héroïque qu'inconsolable. A noter par ailleurs d'étonnants seconds rôles, dont Melanie Griffith et James Woods à leurs débuts...

Rien à faire, Night Moves est un chef d'oeuvre mélancolique et désespéré. Et quel score !

samedi 4 mai 2013

Les Proies. The beguiled. Don Siegel. Clint Eastwood. 1971

The Beguiled surprend, étonne, émerveille parce qu'il n'est jamais là où on l'attend. Un film de guerre ? pas vraiment... Un drame psychologique ? Pas que... Meilleur film de Don Siegel ? Pour moi, oui. Plus grand rôle de Clint Eastwood ? Incontestablement. Son rôle le plus complexe, son personnage le plus tortueux, le plus ambigu aussi... Sur fonds de guerre de sécession qui fait rage dehors, la vraie guerre se déroule au calme, à l'intérieur, entre les murs (en apparence rassurants) d'un couvent tenu par des femmes à l'inquiétante psychologie. La guerre des sexes au diapason d'un matriarcat, voilà le sujet des Proies, sacré grand film timbré.



vendredi 3 mai 2013

Bullhead.



Bien sûr, il y a quelques faiblesses et maladresses sur lesquelles on peut revenir : d'abord l'intrigue policière liée au trafic d'hormones pas assez dense à mon goût, portée par des personnages un peu légers, trop caricaturaux (le couple de garagistes, la femme flic et son collègue homosexuel). En bref, pas assez "lourd" pour faire un juste contrepoids au drame intime de Jackie. Ca déséquilibre le tout car cette intrigue "secondaire" trahit dans le même temps sa raison d'être : le prétexte au malentendu dramatique (très scénarisé) de la scène finale.

Cela étant dit, le film est un coup de poing dans les parties. Réussir à faire exister à l'écran ce personnage à la fois animal (silhouette, regard) et castrat, parvenir à l'humaniser, c'est un pari 100 fois réussi. On sort de là groggy avec l'envie de savoir ce que ce jeune réalisateur belge a encore dans le ventre à nous donner.

Et ça n'est pas un mince compliment que de trouver à sa réalisation, à son univers même, un je ne sais quoi de Nicolas Winding Refn. Chapeau bas l'artiste !