jeudi 29 février 2024

Anatomie d'une chute

La dernière image ? Probablement ce moment père-fils dans la voiture qui dit les choses (la voix du fils sur les lèvres du père), le non-dit, la culpabilité du père, ses envies secrètes peut-être, tout ce moment émeut sincèrement. Beau passage, comme la longue séquence de dispute est également à saluer.

Le film dans l'ensemble est de bonne facture. Il est bien construit, bien joué, porté surtout par une actrice fantastique. Mais cela méritait-il une Palme d'Or ? Autant de prix reçus ici et là ? Je ne pense pas.

Ce que je peux regretter ou déplorer d'abord c'est le travail sur l'image. Une image fade, un manque objectif d'ambition sur le plan esthétique, servie par une mise en scène statique. On sent que la réalisatrice s'appuie beaucoup sur le dispositif texte / acteurs. Le cinéma c'est aussi de la mise en scène. C'est une ambition formelle malheureusement absente ici, deux séquences mises à part via le flash-back narratif (la dispute et le tête à tête dans la voiture). Pour ne reprendre qu'un exemple, Shining est immense pour tout ce qu'il met en branle sur le plan de l'utilisation des lieux, de la steadycam, des plongées, de la structure en chapitres, de la musique, d'un cinéma mental (le labyrinthe comme circonvolution du cerveau d'un écrivain s'écrivant à l'écran, y projetant ses propres culpabilités surgies du passé) qui exulte, émerge d'un fonds et d'une forme. On notera d'ailleurs que le scénariste ici emprunte allègrement le postulat de départ du roman de King (l'enfant "pas normal" en raison d'un traumatisme issu du passé et dont le père se sentirait coupable. Un père qui cherche à retrouver l'inspiration comme écrivain dans un cirque enneigé, la solitude disséquée de ces 3 personnages...).      

Je regrette par ailleurs le manque de nuances sur la psychologie de certains personnages. L'avocat forcément sympathique, intelligent, séduisant. Amoureux même. L'adversaire à la cour, franchement agaçant, antipathique. Tous les experts à charge ou décharge sont aussi à l'avenant, très voire trop caricaturaux. et puis au final cette femme accusée à tort et dont tout finit par démontrer l'honnêteté, les valeurs morales le courage quand on finit par se convaincre que le problème venait plutôt du côté du mari dépressif.... Un homme défaillant parmi tant d'autres.

Enfin et c'est peut-être le plus regrettable : ce couple revient dit-on sur les terres du mari. Soit, mais de voisinage, d'amis d'enfance, rien... Pas même de "qu'en dira-t-on ?" au village tout proche où l'on fait ses courses. Pas de parents d'élèves pour témoigner, pas de copains du fils, Pas de collègues profs du père ? Non, juste un vague psy qui viendra témoigner. C'est maigre. Je veux dire que cette situation de deux "créateurs" manifestement à l'aise materiellement (il faut pouvoir nourrir un aussi gros chien) chacun avec ses petites ambitions d'écrire dans un lieu aussi lambda que ce chalet de montagne, c'est finalement pauvre, c'est faible, c'est bien trop léger. Comme les enjeux dérisoires : "Je veux du temps pour écrire... et ben vas-y qu'est-ce qui t'en empêche petit d'homme ?" Bourgeoisie quand tu nous tiens... Et les parents des deux côtés ? Et les frères, et les soeurs ? Rien non plus... C'est comme si ce monde clos se limitait au père, à la mère au fils, au chien, au chalet. Et pis voilà. Bien trop peu. Il aurait été tellement bien d'avoir droit au chapitre de l'enterrement pour scruter, comprendre les forces en présence, apréhender au plus près les deux familles, le climat, les reproches, les haines larvées, les voisins... Juste d'un mouvement de caméra ample mais au plus près. Silencieusement. 

Pour exister, un monde doit vivre, s'étendre, abattre ses propres murs, dépasser sa réalité, donner à voir par tous les moyens possibles imaginables autre chose que ce qui nous est dit ou seulement suggéré. Ces personnages même un an après de longues enquêtes n'existent au fond que par le truchement de la machine-justice, qu'en suivant scrupuleusement son fil vers un jugement qui tombera, prévisible.

Anatomie d'une chute (titre hideux en passant) n'est donc pas si mal, se révèle sérieux, sagement appliqué, plutôt bien joué (surtout l'actrice principale), mais sans grand génie, pâtissant d'une image quelconque, de personnages souvent lisses et d'une intrigue finalement binaire où il manque beaucoup de choses (d'ambiguité ?) pour être véritablement transporté... Peut-être y manque-t-il la folie et le vertige d'une chute, une vraie !

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