samedi 7 décembre 2019

Once upon a time in Hollywood. Quentin Tarantino


Je l'ai vu dans l'avion qui m'amenait à Douala. Cela m'a rappelé de grandes heures passées quelque part au-dessus du désert quel que soit le sens, quelles que soient les perturbations atmosphériques, résolument coincé dans ma petite bulle de septième art aussi légère que la façon dont on rentre dans ce Once upon a time in Hollywood. Entre ce démarrage "smooth" et un final réjouissant, je retiens plusieurs enseignements :

D'abord et surtout le premier : Quentin Tarantino n'a pas été aussi en verve depuis belle lurette... C'est un fait. Il continue de creuser son sillon, celui de ces dernières années, d'un cinéma qui par sa magie permet de "ré-écrire" l'histoire, de la ré-enchanter à coup de brillantes envolées visuelles et de grands moments de cinéma alternant mélancolie douce, humour référencé (le western spaghetti en vedette)  et déflagrations brutales comme lors de ce dénouement horrifique, défouloir pas désagréable. J'ai notamment aimé toute la séquence "lynchienne" de Cliff Booth (le stuntman) déposant la jeune femme dans un décor anachronique rappelant le Mondwest de Michael Crichton. Cliff est têtu lorsqu'il décide coûte que coûte d'aller saluer son vieil ami (dont on imagine vite qu'il est désormais réduit à l'état de cadavre au fond d'un lit façon Mulholland Drive). L'atmosphère lugubre de cette séquence pourtant lumineuse et solaire est vraiment réussie, prenante. A vrai dire, j'ai failli penser que le sort de Booth y serait scellé comme celui d'un des héros morts prématurément dans Police Fédérale LA (William Friedkin)... C'est d'ailleurs la seule fois que j'étais flippé pour l'un des personnages principaux et puis non, on finit sur une conversation qui fleure bon la tristesse à l'évocation d'un passé qui est définitivement révolu, symboliquement l'Alzheimer qui a pris fait et cause pour le cerveau ramolli du vieux copain finissant...

Et c'est en même temps la limite du film. Il s'accompagne d'une certaine mélancolie c'est sûr mais pas autant je trouve que dans le brillant Jackie Brown par exemple où la convocation d'un cinéma d'antan se doublait de la réhabilitation d'acteurs qui en avaient fait les grandes heures. C'est pas vraiment le cas ici. Et puis il y a la façon dont Tarantino désamorce par ailleurs les enjeux dramatiques (les personnages incarnés par Leonardo Di Caprio et Brad Pitt ne sont jamais réellement inquiétés ou en danger, ni "chez les Manson", ni à la toute fin lors de l'affrontement) qui me pose problème. Cela tue un peu de ce que le film aspirait probablement à devenir : une sorte de déclaration d'amour à un cinéma qui ne reviendra pas, à cette époque où un genre (le western) se régénérait au contact de la vision créatrice d'un Sergio Leone par exemple, un genre (le film Noir) qui faisait de même grâce au sang neuf apporté par un génie nommé Polanski... Alors de ce point de vue, il manque une dimension plus essentielle, plus existentielle, qui échappe au film en raison de son caractère trop léger, de son côté "farce" aussi... Cela vient encore une fois de cette façon qu'on a de ne pas avoir peur une seule seconde pour les 2 (anti-) héros.

D'ailleurs, le duo n'est pas mauvais, mais il est à mon sens déséquilibré. On a d'un côté un acteur au sommet de son art (Leonardo Di Caprio), absolument génial de contradictions, de souffrance contenue, de manque de confiance, de doute qui finissent par rejaillir en prestation fabuleuse (comme dans cette séquence avec la jeune fille qu'il essaye de monnayer pour obtenir quelque chose...)... Et de l'autre il y a Brad Pitt sur lequel j'ai plus de réserves. Malgré un charisme évident, il ne dégage pas du tout la puissance qu'avait à l'écran le mutique Charles Bronson dans Once upon a time in the west ou le non moins taiseux blondin (Clint Eastwood) dans la fameuse trilogie Léonienne. Je trouve qu'on n'en est trop loin... Quelque chose de curieusement lisse s'en dégage (comme son physique). Or vues les références affichées, j'aurais préféré un Mads Mikkelsen par exemple (époque Valhalla Rising ou Pusher II). Il faut pouvoir donner corps à ce personnage à la fois "cool" et capable de tout... Pas facile à doser.

Voilà, c'est pour cela que malgré la bonne impression générale, le sentiment que Tarantino retrouve de l'allant, du jus, je regrette qu'il ne sache résister à proposer quelques moments inutiles (le passage avec Bruce Lee sans grand intérêt, pas vraiment drôle non plus)... Quant à ce climax attendu, il est certes réussi (les héros sous acide qui n'ont peur de rien et font le ménage en 2 temps 3 mouvements) mais pèse finalement assez peu par rapport à la durée excessive d'un film un peu trop bavard. Je crois que Tarantino aurait gagné à lui consacrer plus de temps, 45 minutes peut-être, pour mieux déconstruire le film en le faisant passer de la fresque ample et digeste au huis-clos horrifique et étouffant...

Il aurait même pu aller plus loin : Empêcher la mort de Sharon Tate et puis pendant qu'on y était celle de Bruce Lee qui ne se serait pas blessé au dos pendant un exercice de muscu son fameux "good morning", à l'origine de sa prise de cortisone puis de sa mort, James Coburn et Steve Mc Queen ne portant finalement pas son cercueil 4 ans plus tard... Et pourquoi ne pas empêcher les morts injustes d'Otis Redding en 67 ou Rocky Marciano en 69 (leurs avions respectifs ne s'écrasant pas grâce à la prouesse d'un pilote providentiel ce jour-là) ou celles, plus suspectes, de Brian Jones en 1969 ou d'Albert Ayler en 1970... Enfin celle de n'importe quel habitant des hauts de Hollywood (il suffirait de consulter les archives nécrologiques de l'époque pour redonner vie à l'une de ces victimes malheureuses)... Il aurait ainsi rendu palpable dans un générique de fin ce que le cinéma peut littéralement pour le réel empêchant la fatalité de se faire jour et nous offrant une galerie de portraits  ridés, vieillis de toutes ces femmes, de tous ces hommes encore bien vivants aujourd'hui (en n'oubliant pas d'inclure naturellement River Phoenix...).

C'est pourquoi mon sentiment c'est que le Once upon a time... du titre affichait des ambitions trop grandes pour l'univers parfois "potache" de Tarantino. Je reste persuadé qu'il y a plus de résonances et de résurgences de ce cinéma d'avant-hier, des Don Siegel et des Sergio Leone,  dans ce qu'un Clint Eastwood continue généreusement, humblement, de nous donner film après film... Le seul véritable héritier de ces grands moments pour moi, c'est bien lui. Et personne d'autre. Profitons-en !

samedi 30 novembre 2019

La Mule. Clint Eastwood


J'ai bien entendu les critiques... Longueurs, répétitions malvenues... Mais quel est le sujet du film de Clint Eastwood au fond ? C'est le travail, la performance, la répétition des efforts et des jours qui se succèdent, on upgrade l'outil de travail, l'actionnaire est toujours dans un lieu tranquille coupé des réalités et parfois, il a même su garder une forme d'humanité lorsqu'il invite ses "meilleurs éléments" pour les remercier à sa façon... On sait ce qu'on perd, jamais ce qu'on retrouve... C'est ce que le changement brutal de patron et de consignes mettra en lumière.

Quant à cet homme qui n'a pas assez vu sa famille, qui a été si longtemps tellement absent, il s'en rend compte le jour où il revient s'occuper de la mère de ses enfants alors qu'il est bien sûr trop tard et qu'on n'achète pas le temps déjà perdu...

On est en plein dans une réflexion sur le travail et sur ce qui nous fait vivre. Qu'on vende des livres, des cigarettes, des armes ou qu'on fasse passer de la drogue... On est là pour la même chose ; "gagner sa croûte"... Si tout se passe bien, on aura un nouveau téléphone, un nouveau véhicule flambant neuf pour remplacer l'ancien, le cortège  de regards admiratifs des petits jeunes qui préparent la commande, de ceux qui la réceptionnent, les remerciements des copains qu'on peut aider à défaut d'être là tout simplement... Les cadeaux remplacent le temps promis et jamais donné. On se donne l'illusion que cela suffira à nous racheter de nos manques. Et en cela le rythme du film se prête parfaitement à en faire la démonstration. De même que le face-à-face entre le jeune flic et la vieille mule devient un sommet philosophique sur les priorités à ne jamais perdre de vue dans la vie. 

Par ailleurs, ce monsieur "d'un autre temps" qui prend son temps, butine, s'arrête dans le meilleur fast food du Nouveau Mexique, est une divine tortue qui défie les lois du lièvre, du capitalisme de l'accélération permanente, de la ligne droite, de l'encéphalogramme plat.

Le film est donc à dévorer comme cela, comme un joli conte raconté par un sage, un génie que je ne cesserai de défendre jusqu'à mon dernier souffle.

jeudi 5 septembre 2019

Poirot & co


Ma petit chérie de bientôt 10 ans a avalé la saga Harry Potter. Soit... Par la suite, j'ai testé les intrigues policières, les énigmes insolubles, les crimes presque parfaits... On en est alors passé par Agatha Christie (Mort sur le Nil, Le crime de l'Orient express, 10 petits nègres, Meurtre au soleil) Alfred Hitchcock (Le crime était presque parfait, Alfred Hitchcock présente) et même Columbo. Elle adore.

Voilà tout récemment qu'un ami me conseille la série TV Hercule Poirot avec David Suchet. Et bien je conseille vraiment. C'est ludique, on suit avec délice les investigations de Poirot et l'on ne manque jamais d'être surpris lorsque vient l'heure des révélations.

Je crois qu'il y a là le coeur vibrant de tout ce qui nourrit l'imaginaire d'enfants (de grands enfants que nous sommes tous) désireux de résoudre des mystères, des énigmes... Et 9 ou 10 ans, c'est un peu l'âge idéal pour s'y plonger avec délectation. 





lundi 26 août 2019

La Route Sauvage


Le film est dense et captivant jusqu'à la fuite du jeune homme et de son majestueux compagnon de route. C'est alors que les choses se mettent à ronronner comme dans un script se voulant soudain trop aimable et "rebondissant"...

Mais jusque là, les personnages, très peu lisibles dans leurs intentions, tour à tour ambigus, attachant, odieux (l'emblématique personnage campé par un Steve Buscemi retrouvé) rendent cet univers profondément respirant / captivant. Il y a certes les petits défauts du début comme l'annonce maladroite / téléphonée du drame qui va frapper le père, mais cela n'entache pas une immersion réussie me concernant.

Je n'ai pas plus de reproche à faire quant aux tics généralement reprochés au film indépendant US (lenteur revendiquée, naturalisme, pas d'effets clinquants, recherche d'une authenticité de l'univers retranscrit à l'écran) et qui sont suffisamment gommés pour ne pas retenir l'attention.

Ce qui est en revanche plus dérangeant, c'est cette nécessité qu'on sent palpable d'émailler la partie "road movie" de petits évènements surprenants pour mieux faire passer la pilule : je pense à la mort du cheval évidemment mais aussi à la rencontre avec ce type dans son van qui va extorquer de l'argent au jeune héros. Je trouve ça trop lisible sur les intentions. Ca ressemble à un énième écueil avant la rencontre finale avec la tante perdue de vue depuis si longtemps... Sorte de course de haies dont on voit venir les obstacles jusqu'au franchissement de la ligne.

Mais en dehors de ces réserves, le film délivre beaucoup d'émotion, de jolis moments d'introspection au grand jour et fascine pleinement au moins jusqu'à cette échappée belle...

dimanche 25 août 2019

3 Billboards


Beaucoup de talent ce réalisateur dont j'avais déjà apprécié le travail pour son fort sympathique et néanmoins audacieux Bons baisers de Bruges.

Il y a déjà de louable cette envie de mettre les projecteurs sur une Amérique rurale, folk et country, un peu oubliée du grand rêve US, mais ayants préservé des valeurs et les relents d'un racisme ordinaire nourri probablement par la peur de se voir disparaître comme ces vielles affiches 4*3 d'un autre temps.

La mise en place est également savoureuse. 3 panneaux publicitaires  qui ne servent plus à rien ni personne sur un chemin de traverse, peu emprunté vont constituer le déclencheur d'une suite d'évènements plus curieux, dramatiques et surprenants les uns que les autres... Effet domino, engrenage quelque peu fatal où les meilleures intentions pavent idéalement l'enfer... Cela occasionne quelques idées d'anthologie comme ces lettres du Flic condamné qui à leur tour ont un effet inattendu sur le déroulement de l'intrigue. C'est ce qui permet à de nouvelles alliances de se nouer alors qu'on pensait à la mise en place d'un piège inéluctable (l'amertume et le désir de vengeance pour moteurs)...

Restent des problèmes à mes yeux : les hasards "forcés", propulsés par l'écriture (il est dans le commissariat quand elle décide d'y mettree le feu, un violeur vient chez elle pour  semer le trouble, le flic repenti se trouve par hasard assis à un café derrière le supposé criminel... Ces éléments affaiblissent le film, ce sont des "trucs"de scénariste pour faire avancer une intrigue dans le sens voulu et on y perd un peu hélas de la magie de ces évènements qui se succèdent de façon un peu imprévisibles poussés par la volonté de personnages qui changent à toute vitesse et nos sentiments avec.

Mais il reste de tout cela des moments d'une intensité dramatique rare (le rapprochement des deux "héros" dignes par les lettres posthumes suite au sacrifice du jeune flic dans le commissariat, sauvant le fameux dossier mais y laissant littéralement la peau de son visage).

La fin, énigmatique, laisse ouvertes toutes les possibilités d'épilogue à un film qui surnage par cette volonté de mettre et remettre les personnages et leur libre arbitre au coeur du moteur de l'intrigue.

samedi 10 août 2019

Climax. Gaspar Noé


Un bien beau gâchis ! Il y avait pourtant de belles choses à faire et explorer dans ce lieu isolé, qu'on imagine à la faveur du premier plan perdu dans des décors enneigés. Une fête de fin de tournage ou de fin de répétition pour un spectacle... Une mise en abyme possible... Des acteurs prisonniers de leurs rôles... Des histoires d'amour dans la réalité prenant le contrepied de l'histoire écrite et incarnée pendant les répétitions... La culture urbaine se heurtant puis se mêlant à une école de pensée plus classique voire rigoriste de la danse contemporaine... 

L'entrée en matière est d'ailleurs très intrigante. Cette silhouette vue du ciel qu'on imagine bas et lourd et qui avance péniblement dans la poudreuse. Puis elle s'écrase de façon inesthétique sur le dos un peu à l'image du film. Tout me semble résumé dans ce premier travelling. On entre par des bouts de casting (comme pour un rôle) où la jeunesse d'aujourd'hui semble intelligemment radiographiée par petits bouts de phrases, éléments de langage, expressions de visage... On se dit qu'il y a de la vérité qui s'en dégage.  Mais on déchante rapidement à mesure que le message du film se résume à des panneaux venant porter jusqu'au spectateur (un peu neuneu ?) des phrases définitives plus creuses les unes que les autres : "Naître est un privilège", "vivre est une impossibilité collective", "le film est un film français et fier de l'être", "il est dédié à ceux (mais pas celles, pourquoi ne pas féminiser ???) qui nous ont fait" mais voici venir le meilleur pour la fin : "Mourir est une expérience extraordinaire" (Ah bon ? tu en sais quelque chose Gaspar ?)... On imaginerait presque des messages comme à l'époque en exergue de Sheitan : "Ne leur pardonnez par car ils savent ce qu'il font" ou comme celui que je propose maintenant "c'est au pied du mur qu'on reconnaît le maçon", "c'est avec l'eau du corps qu'on sort l'eau du puits", "c'est l'homme qui a peur, sinon il n'y a rien"... Tout ça passerait comme une lettre à la poste  !!! Parce qu'afficher des mots nus, mis bout à bout quand on avait les images et la liberté d'un film pour le dire, c'est assumer au fond sa propre vacuité. Cela confine au ridicule et enlève à Climax, à son univers, toute sa complexité...

Dès lors que la Sangria se révèle frelatée ou mélangée à je ne sais quelle drogue, Gaspar Noé ne nous épargne aucune idée monstrueuse et donc foncièrement moralisatrice... Et oui... Le message qui s'incarne à l'écran, c'est pour résumer : ne prenez plus ces merdes sous prétexte de vous faire plaisir car si vous le faites, vous allez lyncher l'un de vos potes et jeter dans la neige par -10 degrés, vous allez enfermer un gosse dans un local haute tension et le laisser griller une fois la clé perdue... Vous allez mettre des coups de pied dans le ventre d'une nana enceinte qui poussée (entraînée ?) par le foule va finir le travail toute seule... Vous allez mettre le feu aux cheveux d'une autre copine dans la cuisine et en rire bruyamment et j'en passe et des meilleures...

Gaspar Noé se vante sur un panneau de mettre en scène la vraie France d'aujourd'hui sur fond de drapeau bleu blanc rouge (pour pas être lourd ni redondant). Or ce qu'il oublie de faire c'est d'aimer ses personnages (ceux qui nous ont titillé lors des castings du début), de résumer tous ces danseurs à des paumés plus obsédés par le cul que les hardeurs les plus aguerris et surtout "plus décérébrés tu meurs" (ce qui aurait été le bon titre pour le film à mon avis)... Oubliant la danse, leur passion, les raisons pour lesquelles ils s'y sont adonnés... Au lieu de cela, des cris, de la pisse sur le parquet, des coups de boule, des insultes, du sang qui coule, des corps qui vrillent et l'individu qui disparaît, se dissolve dans le groupe. Circulez y a rien eu à voir...

C'est con parce que Gaspar Noé a tellement de talent derrière la caméra qu'on finit par se dire que ce qui lui manque aujourd'hui c'est de trouver son "âme soeur" en la personne d'un scénariste comprenant ses obsessions et capable de mettre au service de ce talent unique, de ce regard singulier une histoire qui permette au film et au spectateur de décoller ensemble... C'est tout ce que je lui souhaite. Sincèrement.

Parce qu'en l'état, la portée de Climax se révèle minuscule. Une quelconque propagande émanant de services de communication du Ministère de la Santé publique à destination de notre jeunesse pour l'inciter à ne plus prendre de drogue... Je vais d'ailleurs le montrer à ma fille dès ses 12 ans tiens... Rien de plus efficace. Parce que c'est vraiment tout ce qu'il en reste. Un vulgaire film de sensibilisation aux effets néfastes de toutes les drogues sur le cerveau et le comportement. Alors que merde, le lieu et l'histoire (un spectacle, une chorégraphie, des acteurs, pourquoi pas un tueur en vadrouille comme dans le génial Bloody Bird de Michele Soavi, bref du cinéma, on voulait et on aurait mérité du cinéma...) aurait pu accoucher (l'accouchement, l'avortement, sujets évoqués sans finesse tout au long du film) d'un bien bel objet...  Au lieu de cela, Gaspar Noé nous offre un film mort né. Comme avorté sur grand écran et s'achevant d'ailleurs sur une énième image pourvue d'une explication en 3 lettres (au cas où on se soit pas rappelé de l'anecdote des gouttes LSD pour les yeux du début...) comme les enfants qui veulent tout souligner ou répéter alors que le message est déjà passé... Triste et dommage.

jeudi 8 août 2019

Donkiyote


A mes yeux, la parenté est limpide. Lost in La mancha. L'histoire d'un film ou d'un voyage qu'on a rêvé de faire et qui ne se fera pas pour x raisons... La santé d'un protagoniste, les moyens financiers qui viennent à manquer... Mais le film pose justement la question suivante : le bonheur est-il dans la destination, dans l'accomplissement d'un rêve ? Ne serait-il pas plutôt dans le chemin que nous sommes incités à faire aux côtés de Manolo, Gorrion et un jeune chien fou ?

Le temps se dilate et Manolo nous enseigne justement le prix de ces instants qui s'éternisent sur un bac, sur un chemin sous la pluie... Et même si son corps et son coeur (usés, fragiles) lui rappellent en permanence que tous ces instants finiront par devenir des impossibilités, il sait d'autant plus les savourer. Attendre. Ecouter. Sentir la brise lui caresser les joues, laisser le chant des grillons, les cris chaleureux de Gorion ou les aboiements réconfortants du petit chien écervelé le bercer, nous envelopper avec délicatesse. Tant que le trio est là, bien vivant, sous nos yeux, on revit avec eux et un souffle de liberté, de joie intense, vient jusqu'à nos coeurs émerveillés pour nous faire ressentir la saveur de ces instants présents qui s'éternisent sur la route menant à l'océan.

Pas étonnant d'ailleurs que le voyage s'achève sur cette plage, comme les 400 coups, comme tous ces fabuleux films racontant l'enfance, la jeunesse éternelle qu'immortalise ce dernier plan face puis dos à l'Océan...

Manolo, tu es inspirant et ce Donkiyote est un bien beau voyage à tes côtés !      

mercredi 7 août 2019

Midsommar. Ari Aster


Autant le dire d'emblée, Midsommar a beaucoup à donner. Il est généreux dans ce qu'il nous propose de penser avec lui. Il est aussi pénétrant pour les images qu'il imprime durablement en nous. De quoi hanter nos nuits pour un sacré bout de temps... Il prophétise ce que ce monde est en train de devenir. Sous prétexte de vouloir retrouver un lien immémoriel - supposément rompu par notre faute - avec la nature, le cosmos ou l'au-delà, il décrypte comment l'enfer est toujours pavé des meilleures intentions. A vouloir suivre un chemin qu'impose l'encombrant passé, le poids de traditions ancestrales, on finit haché menu par les protocoles, les folklores, les processions, l'application rigide, aveugle et un peu ubuesque de préceptes d'un autre temps conduisant nécessairement à l'intolérance la plus abjecte, à une forme d'inhumanité si vous préférez, où chacun disparaît derrière le masque, le costume, le rôle qui lui est assigné dans cette vaste mascarade à visée "lobotomystique".

La partie américaine est une entrée en matière savoureuse. Elle nous fait entrer par la lorgnette du film indépendant américain. Mieux, du film d'auteur, du drame intimiste. On commence quelque part entre Woody Allen, les Frères Farrely et Larry Clarke. mais l'horreur n'a eu besoin de personne, elle s'est invitée comme souvent, sans prévenir... Lui veut casser, elle est amoureuse. Lui veut partir avec ses potes en Suède. Elle est angoissée, a peur d'être quittée ou que sa soeur borderline déconne... Mais elle est combattive, elle est forte, ce qui la rend d'ailleurs un chouia antipathique aux prémices de l'histoire. Un chagrin d'amour se profile et paf c'est le drame atroce, inacceptable, qui se produit sous nos yeux. Tous les ingrédients sont alors en place pour accoucher d'un grand film.

Toute la lente immersion dans l'horreur qui va suivre dès lors qu'on débarque en terre inconnue pour les héros, est, c'est ma réserve principale, bien trop longue. D'abord parce qu'une fois les vieux tombés comme des merdes de yak de la falaise, on est déjà affranchi sur ce qu'il adviendra des pièces rapportées made in US. Or la réaction de ces petits héros-fétus de paille à beaucoup d'égard est  hors de propos. Même dans le cadre d'une tradition européenne séculaire obscure et fascinante pour un américain (découvrir les Encierros de Pampelune, ok passe encore !!!), il y a trop de repères à l'heure de la mondialisation, un bon sens, des lois, des prisons, des suicides légaux ou non qu'on encadre et cette histoire de limite d'âge, pour que ne résiste pas longtemps l'indignation et la révolte même pour le cerveau de jeunes américains sous l'emprise d'acides ou de cannabis... On n'est quand même pas invité au coeur de l'Amazonie pour voir mourir une civilisation restée miraculeusement préservée des ravages du progrès. Dans pareil cas (la Suède, le copain de fac qui nous a invité, les familles respectives forcément au courant, les réseaux sociaux etc.), on est poli, on se serre les coudes, on fait front et on s'arrache dignement sans demander son reste... Question de stratégie à mettre en place. Il n'est de bonne compagnie qui ne se quitte, même fasciné par les restes d'un cerveau du troisième âge étalés sur une roche plate. Or ici rien ne se produit et c'est l'attention du spectateur qui décroche immanquablement. Face au malaise ressenti dans mon fauteuil de spectateur, je me dis que cette bande de petits inconscients n'est en fait imprimée sur la pellicule que pour parachever un seul but : permettre au programme Midsommar de se dérouler tranquillement, sans accroc, de façon linéaire jusqu'à un dénouement attendu. Et c'est précisément la faiblesse de ce tunnel qui commence à la mort de ces deux "périmés" selon les croyances locales : on pense d'ailleurs à Children of the Corn et sa limite d'âge rédhibitoire ou aux Révoltés de l'an 2000 et sa société insulaire fondée par des enfants allergiques à l'âge adulte et à tout ce qui l'incarne.

Car ce qui fait le sel d'une narration à mes yeux, c'est le grain de sable, un rouage qui se grippe dans la belle machine,  un changement imperceptible de paradigme ou de point de vue... Et le dérèglement, c'est justement la vie, non ?  Il n'y a rien de moins trépidant qu'un programme qui se déroule sans anicroche jusqu'à un dénouement attendu. C'est la raison pour laquelle me semble-t-il le film paraît si long. On ne me dira pas que pas une personne de cette communauté (je pense à ses plus jeunes membres) n'aurait pu avoir l'envie de s'extraire de la masse informe, de se prendre d'affection (l'une des jeunes femmes éprises, un jeune rebelle cachant bien son jeu au sein de la communauté) et de vouloir sauver l'un des invités par amour ou esprit chevaleresque ? L'amour inspiré ou l'impérieux désir de désobéissance peuvent faire faire des choses insensées. Entre nous, Je n'ai pas non plus goûté les gros plans insistants sur la bouillie de visages déchiquetés. On s'éloigne de la poésie ambiante et l'on se rapproche de la complaisance d'un Gaspar Noé lorsqu'il reste planté avec sa caméra sur un visage se réduisant à l'état de miettes sanguinolentes sous les coups répétés d'un extincteur... Mais passons sur ce qui peut légitimement énerver ou décevoir...

Heureusement le film se veut film d'épouvante et drame mais aussi souvent comédie assumée qui propose des moments vraiment hilarants, ce qui est aussi rare que précieux (je pense ici à l'incapacité d'un Xavier Nolan autre jeune réalisateur porté aux nues ces dernières années, à saupoudrer ses histoires pesantes d'un humour ou d'une distance toujours salutaires). Restent particulièrement en mémoire la scène où le spectateur comprend que l'héroïne est invitée en Suède à contre-coeur par le petit ami et ses acolytes ou à cette scène d'"accouplement" mémorable dont  je ne dévoile rien ici...

Enfin et c'est le dernier point : La mise en scène, et ses intentions comme l'utilisation prodigieuse de la musique. Il y a du Stanley Kubrick dans cette approche qui vient avec la forme idéalement épouser le fond. La forme ? Un film de genre au climat d'épouvante mais qui fait surgir le malaise, la peur ou l'effroi en plein soleil, dans la lumière crue la plus rassurante et un décor on ne peut plus apaisant - qui peut d'ailleurs évoquer une forme d'Eden immaculé. La forme toujours ? Un voyage sans retour au coeur d'un trip hallucinatoire dont les prouesses visuelles viennent accompagner puissamment la montée d'acide vécue par l'héroïne jusqu'à son grand rire communicatif du dernier plan. Car ce long cauchemar n'en était-il pas justement un, tout simplement ? Dès lors qu'elle a consenti à prendre cette drogue à leur arrivée, ne sombre-t-elle pas dans cet état qui va l'amener à exorciser son passé (à la façon des initiés de l'Ayahuasca se libérant à travers son expérience de toutes les pesanteurs et douleurs du passé). Ainsi le bad trip naît-il au moment elle ne se sent pas bien, qu'elle se lève et marche, inquiète, pour mieux se laisser porter au fil d'une aventure qui fait dès lors office de chemin de rédemption pour parachever le deuil, le faire, brûler le passé, revivre enfin... Raison pour laquelle elle apercevrait à un moment fugace sa maman, raison pour laquelle dans cette cahute au chapeau pointu on croirait deviner juste avant sa mise à feu la silhouette de ses parents parmi les empaillés du jour... Son rire final, c'est donc la libération et le début de sa descente vers un futur qu'on lui souhaite plus heureux, plus harmonieux, plus apaisé.

C'est ainsi que j'apprécie le plus ce film. Comme une fable, une réflexion, une parabole sur le deuil, et doublée, à travers le chemin semé d'embûches de la personne en souffrance forcément fragilisée, d'une critique sans fard de toutes les formes d'embrigadement auquel sont livrés les plus manipulables en de pareilles circonstances. Le clin d'oeil intelligent à une oeuvre telle que The Wicker Man est révélateur de cette volonté me semble-t-il.

Pour conclure et résumer mon sentiment : Quelques longueurs liées à un problème de déroulement trop linéaire de l'intrigue une fois sur place, quelques facilités aussi (l'insistance et une possible complaisance à disséquer les chairs sanguinolentes), mais il reste dans ma mémoire et dans l'ensemble un bien beau film ambitieux, au matériau complexe, truffé d'idées innovantes et qui peut autoriser plusieurs visionnages pour en apprécier toute la richesse.







mardi 6 août 2019

The Rider. Chloé Zhao



Je découvre le cinéma de Chloé Zhao. Elle a un talent fou. Tout paraît simple, fait avec humilité, sans forcer le film à charrier son émotion vers le spectateur. Elle porte un regard puissamment attentif sur le monde, sur ses personnages qu'elle aime sans les juger, qu'elle explore sans intrusion ni indécence, mettant en scène une histoire aux accents universels qu'elle dramatise sans jamais chercher le sensationnalisme. Et puis elle réussit ce que peu ont réussi au cinéma : mêler matière documentaire (les personnages principaux sont incarnés par des acteurs qui ont traversé dans la vraie vie ces mêmes épreuves) et fiction avec ce sens inné du cadre et de la recherche visuelle qui vient raconter sans le dire tout ce que le mythe de l'Ouest américain, celui qui nous a tant fait rêver, a de crépusculaire, de presqu'oublié...

Je navigue avec le personnage principal dans cette recherche de sens perdu en rapport avec une passion qu'on ne peut plus exercer (le peintre devenu aveugle, le guitariste ou le sculpteur privé de ses deux mains...). Une passion qui dans le cas présent est éminemment liée aux codes de cette société patriarcale (le cowboy érigé en modèle absolu) où la jeunesse doit éprouver sa virilité, se mettre à l'épreuve face à la nature sauvage qu'on voudrait pouvoir dompter. Une jeunesse qui dans son sentiment d'invulnérabilité et de toute-puissance va chercher à domestiquer (le débourrage, symboliquement) ce qui ne le sera jamais : le mystère de cette mère nature qui reste inaccessible pour les mortels finissant à leurs dépends par comprendre qu'ils sont de papier ou de verre, aussi fragiles qu'un arbrisseau dans la tempête...

Sûrement quelques maladresses comme l'évocation trop directe de la perte de la maman (le recueillement sur la tombe, figure imposée) ou celle du western par l'accessoire pistolet qui ne s'imposait pas forcément - le western coulant dans le veines de ce film sans qu'on ait besoin de souligner quoi que ce soit. Mais que c'est beau, que la portée du film dépasse largement le cadre du drame d'un cowboy (Rodeo Boy en l'occurence) privé de sa raison de vivre et ramené à la nécessité de retrouver un chemin susceptible de lui donner encore un peu l'envie de se battre : être présent pour les siens, pour ceux qui sont restés : sa soeur et son père. Le voyage vaut le détour. D'autant que l'on sent à chaque plan l'odeur de la mélancolie la plus profonde, celle suscitée par une Amérique longtemps érigée en rêve sur grand écran et soudain en train de disparaître inexorablement sous nos yeux...        

jeudi 25 juillet 2019

Parasite


Je l'ai vu hier dans les meilleures conditions possibles. Cinéma. VOST. Et bien je ne comprends pas. Je ne comprends pas cette pluie de louanges. Je trouve l'ensemble tellement prévisible, pas fin, dénué du talent qui irradiait dans Memories of murder, Mother voire The Host...  

Le film est d'abord sur le plan de la mise en scène assez quelconque si l'on excepte le segment de la découverte des sous-sols de la maison (très Dariargentesque époque Phenomena) et la scène d'inondation dans le quartier où vit la famille Shameless - Quand on a vu la série avec William H Macy on peut trouver à juste titre au point de départ narratif de Parasite comme des airs de déjà vu. La scène introductive est d'ailleurs emblématique de ce que sera le film. On est clairement dans une bouffonnerie où les personnages sont aussi caricaturaux que les Groseille dans la Vie est un long fleuve tranquille. On est dans le parfait archétype du théâtre de boulevard avec beaucoup de provocation, de la vulgarité assumée, des dialogues interminables et où les personnages sont tellement campés dans une posture qu'ils semblent assurés de ne pas évoluer ou si peu... D'ailleurs, dans leur trou à rats, ce qui ressort de cette famille c'est... la solidarité. Bien sûr ! On vit avec peu mais on vit sans accroc, avec une parfaite complicité de tous les instants. Pas une querelle, le parfait amour en famille... Etrange raccourci.

Une fois leur forfait imaginé en toute simplicité et l'intrusion "familiale" achevée en deux temps trois mouvements avec une facilité déconcertante (ils font chacun preuve d'un parfait sang froid, ne sont jamais mis en difficulté par leurs hôtes d'une naïveté confondante) ils ne vont plus faire qu'accentuer une trajectoire sans aucune alternative possible vers la thèse défendue par le film que je résume ici :

"Que vous partiez d'en bas, que vous profitiez brièvement d'un concours de circonstances pour vous élever socialement, vous restez ce que vous êtes, votre odeur / extraction vous trahira toujours, cette promotion n'est qu'une illusion, vous êtes et restez parmi celles et ceux qui vivent en bas..."

Dans Théorème, l'intrusion de la pièce rapportée bouscule les codes et transforme de l'intérieur la famille... Dans The Servant, on est pris dans une jeu de manipulation où les tenants et les aboutissants comme notre perception évoluent au gré de l'intrigue... Ici, le grain de sable qui peut faire point de bascule, c'est le retour improbable de l'ancienne intendante qui va on l'espère ouvrir une nouvelle perspective (on pense à un changement de paradigme, un retournement bienvenu vers un genre différent, l'horreur ?) et puis non... Ce basculement n'est là que pour révéler un petit secret de polichinelle et pour mieux ramener les anciens et les nouveaux employés vers leur condition commune de "gens du dessous", accentuant par là-même la pente narrative vers un dénouement où on va nous rappeler que c'est toujours les plus démunis qui payent les pots cassés... Et que c'est même leur sens de la solidarité qui les perdra : tout s'enraye en effet quand la famille Shameless se met d'accord pour aller donner à manger à l'ancienne intendante et son mari malade.

Pendant ce temps, on a essayé de nous faire croire que cette famille pleine aux as (dont le "chef" est forcément quelqu'un qui pour réussir dans les affaires a du savoir à tout le moins faire preuve de cynisme et de méchanceté pour s'élever socialement) est toute gentille, toute innocente, n'a aucune vie sociale, aucun autre moyen pour s'entourer de personnel que d'écouter un prof d'anglais débarqué de nulle part alors que curieusement la séquence finale les dépeint à nouveau comme ayant une vie mondaine et des relations (ce qui dans la vraie vie est à la source de tous les placements et choix de relations dans ces milieux où la cooptation, le réseau et l'entregent sont essentiels).

Cette même famille candide à l'excès qui rentrant du pique-nique raté sent l'odeur du père des Shameless mais pas celle des litres et des litres d'alcool ingurgités pendant tout le temps qu'aura duré l'aller-retour ??? Famille Shameless qui ouvre à l'ancienne intendante au risque de se griller totalement ???? Encore de bien étranges raccourcis narratifs.

Le drame final est tout aussi mal amené, bâclé, truffé de lourdeurs, d'allers-retours inutiles entre le bunker souterrain et la maison... Pour finir, ça n'en finit justement plus, le procès, le retour chez soi, la découverte de l'endroit où se terre le père (on s'en doute rapidement...). Décidément, interminable Parasite, bavard et pas vraiment drôle.

Alors voilà. J'ai compris. Prenez un film sympathique du calibre de la Soupe aux choux (je repense ému à la séquence interminable d'inspection de la culotte dans la cuisine, ou celle de la fille sur les toilettes qui débordent pendant l'inondation, voire de la scène de caresses dans le salon sous le nez des Shameless alors qu'un enfant se trouve juste en face dans le jardin sous un déluge torrentiel, quoi de plus logique), tournez-le en Corée du Sud et vous verrez, à Cannes, on criera au chef-d'oeuvre.  Etrange époque...

lundi 8 juillet 2019

Get Out. Jordan Peele

J'en avais tellement entendu parler. Très souvent, c'est la déception qui prédomine (je me rappelle de Usual Suspects qu'on m'avait tellement survendu. Plus récemment The Guilty, assez quelconque exercice de style dans la veine de la série Calls). Probablement grâce au fait qu'il se termine sur une note légère, qu'il n'est pas dénué d'un humour salvateur (le copain du héros est là pour irriguer le film de cette fraîcheur bienvenue), j'ai plutôt apprécié. Comme je suis sensible au choix des musiques (particulièrement celle qui accompagne le chemin à l'aller puis le générique de fin), au ton décalé, à l'originalité de la pensée qui s'incarne à l'écran, au jeu des acteurs (tous épatants, notamment dans cette capacité à changer du tout au tout leurs expressions de visage au gré du poison qui baigne leurs âmes). Ainsi que la mise en scène mais pas immédiatement. La première partie est plutôt quelconque de ce point de vue. C'est quand les enjeux dramatiques prennent une dimension aigüe que le travail sur le son, l'image et le rythme devient bluffant.

Mais à y repenser, le métier d'origine de Jordan Peele (humoriste) est forcément pour beaucoup dans l'angle d'attaque, genre et sujet confondus (l'épouvante et le racisme ordinaire)... Un merveilleux sketch ne commencerait pas autrement : "tu sais pas ? j'ai découvert que ma copine blanche avant moi sortait déjà qu'avec des blacks... Trop chelou qu'elle m'ait rien dit... Surtout quand elle m'a précisé que son père ne jurait que par Obama... Ca cache quelque chose moi je dis. C'est comme le gars raciste qui dit qu'il a de très bons amis musulmans...". Même accroche de sketch avec la réflexion sur le Noir traître à ses origines qui parlerait comme un Blanc... "J'ai été chez les parents de ma copine blanche justement. Son pote black d'enfance, laisse tomber mec, il parle comme un blanc, il sert la main comme un blanc... C'est un bounty mec. Noir dehors blanc dedans". C'est d'ailleurs le deuxième postulat du film. Des Blancs racistes sur les bords veulent entrer littéralement dans la peau de jeunes noirs... Jordan Peele a pris ce postulat au pied de la lettre. S'ajoute à toutes ces observations le vécu et le nécessaire ajustement qu'a dû élaborer Peele dans sa jeunesse en sa qualité d'enfant né d'une double culture, pour se confronter et à la communauté noire américaine et dans le même temps à celle de sa famille blanche héritière d'une tradition possiblement WASP. Une histoire d'ajustement et de codes à intégrer qui transpire et donne au film une certaine authenticité.

La genèse devient dès lors plus lisible. Il est question par le biais d'une problématique vécue de l'intérieur par Jordan Peele de donner à comprendre comment l'on s'adapte aux convenances sociales et comment l'on choisit les masques de circonstance en société. Le film ne dit pas autre chose. Repas, présentation aux parents, beaucoup de non dit et la pièce rapportée devant lutter avec tout ce qui s'agite en lui dont un passé traumatique, une culpabilité liée à sa mère.. Et derrière son histoire c'est l'histoire de tous les descendants d'esclaves qui flotte, qui pèse sur ses frêles épaules et qui l'entraîne vers le fond de son "gouffre de l'oubli". En filigrane ce qui se joue dans cette famille et ce décor "sudiste" dont on imagine autour des champs de coton à perte de vue, c'est évidemment l'esclavage encore frais dans les esprits nords-américains.

Voilà ce que je retiens si je ne peux pas faire la fine bouche : un talent singulier pour allier épouvante, distanciation par un humour bienvenu, message politique sur les handicaps avec lesquels les membres d'une communauté doivent composer sur le chemin de leurs épopées individuelles...

En revanche, si l'on veut être honnête, le film n'est pas exempt de gros défauts qui agacent et affaiblissent son impact. Défauts qui selon moi proviennent d'une difficulté à choisir entre fable  fantastique et chronique plus terre à terre d'un scabreux fait divers. Cette dernière option semble privilégiée à travers les diverses révélations et oblige donc à une certaine cohérence des éléments de narration or il s'avère que le projet diabolique en gestation est surtout construit sur du sable. D'abord si l'on dissèque la façon d'opérer de ces prédateurs agissant sur le mode familial et même communautaire, il y a trop de choses qui clochent. La séquence d'introduction, déjà, pas bien crédible (masque + étranglement arrière + phrase lourdement soulignée sur la présence d'un noir mal vécue dans un quartier blanc, ça fait beaucoup...). Dans un tel contexte, la famille Frankenstein devrait aller chercher et enlever des gens que personne n'attend plus nulle part. Des SDF, des gens à la marge, des laissés pour compte, des originaux (comme dans Wolfen). Le fait de choisir des cibles (ici un photographe) avec une vie sociale est peu crédible. On s'expose à connaître leurs meilleurs amis qui pourront dès lors tranquillement mener l'enquête dès la disparition constatée !!! Même faiblesse lorsqu'on laisse le héros appeler son pote à de nombreuses reprises pour dire ses doutes et lui mettre "des rats dans la tête"... Tu faisais disparaître le téléphone dès le début et basta ou tu faisais en sorte qu'il n'y ait pas de réseau sur place... Elle pouvait même lui vendre le truc "On se fait un week-end sans portable. Week-end detox", bref...  De même qu'il semblait plus aisé dans cette lecture réaliste de le droguer dès le premier repas plutôt que de passer par une hypothétique séance d'hypnose à base de tasse et de cuillère en comptant sur le fait qu'il ait envie de fumer une cigarette au coeur de la nuit... Mouais. Et s'agissant de ces employés de maison, pourquoi en faire des employés puisque leurs pensées sont désormais celles de Papy et Mamie Whitee ? Autant les présenter comme un couple ami de la famille ? Et côté expérimentations à la Frankenstein pour finir, c'est franchement too much. Difficile d'adhérer à cette idée de vente aux enchères suivie de décapsulage de calotte crânienne... D'ailleurs, le film passe trop rapidement sur la genèse du projet "dingo-agula" de la petite famille barrée tout comme il enchaîne limite bâclage le dénouement jusqu'au happy end. On sent que ça intéresse moins Jordan Peele. L'arrivée du copain en voiture de police (malgré le clin d'oeil final à La nuit des Morts-Vivants et à la bavure policière contre les noirs banalisée aux US ces dernières années) pour finir est de ce tonneau-là... Comment est-il arrivé par lui-même ? Que fait-il au volant de cette voiture de police tout seul ? On ne s'embarrasse pas d'explications et c'est un peu dommage tout de même...

Bon mais voilà, au final, je passerai sur cette erreur d'appréciation et d'arbitrage entre réalisme et onirisme et je ne retiendrai que l'essentiel et le positif à mes yeux : un film d'horreur original, non dénué d'humour et et qui a quelque chose à dire, et bien, ça faisait sacrément longtemps.

mardi 2 juillet 2019

Le tailleur de Panama. John Boorman


Le résultat manque un peu de personnalité (surtout quand on connaît le génie visuel et musical de John Boorman). John Le Carré est d'ailleurs probablement pour beaucoup dans ce qui fait le sel de ce très intéressant Tailor of Panama.

Mais il reste que Pierce Brosnan a rarement été utilisé à contre emploi comme ici, que Geoffrey Rush confirme qu'il est le digne héritier de Peter Sellers (le temps d'un film), que Jamie Lee Curtis est aussi rare que j'ai de plaisir à la retrouver.

Et puis John Boorman a finalement le bon goût de s'aventurer dans un genre difficile à définir... On oscille entre comédie, satire politique, drame social, film d'espionnage... The Tailor of Panama est d'abord l'un des premiers films à  dépeindre si intelligemment la vie d'"expatriés" dont les centres d'intérêt varient à la marge (les soirées mondaines, le sexe, l'argent, les intrigues, les coulisses du pouvoir). Un monde d'apparat, de faux semblants où chaque expatrié peut dissimuler une vie antérieure peu glorieuse, des intentions peu louables... C'est pourquoi le film se présente rapidement comme la version la plus réaliste qui soit d'une aventure de James Bond... Pierce Brosnan (pas choisi par hasard) y dévoile ce qui pourrait bien être le vrai visage des espions occidentaux se révélant de véritables manipulateurs, capables de briller en société, de nourrir des intrigues à partir de rien, de vide intersidéral, créant de toutes pièces des informations confidentielles pour arriver cyniquement à leurs fins... Un prestidigitateur doublé d'un incorrigible érotomane. Voilà son personnage qui vit d'addictions en tous genres l'amenant par ondes de choc successives à provoquer sur un malentendu l'entrée en guerre d'une grande puissance et la mort d'innocents... C'est alors que le film devient un digne héritier de Docteur Folamour mais plus profond que son aîné : cette mélancolie qui baigne le film est possible grâce au personnage de Geoffrey Rush, à sa candeur, à son imparfaite humanité, à son idéalisme, à sa relation si singulière avec sa femme...

Voilà donc un film un peu convenu dans sa forme,  mais qui mérite amplement le détour pour ces quelques raisons, parvenant aisément à passer de la blague potache (la séquence dans un club homo) à des instants d'une noirceur insondable (le suicide de l'ami du tailleur). C'est toute la force et le prix de cet admirable Tailor of Panama.       



dimanche 30 juin 2019

Ready Player One. Steven Spielberg


C'est mon côté torturé quand il s'agit de dire pourquoi on aime (ou pas) un film ; d'abord un point capital : le film m'a dans l'ensemble touché, ému parce qu'il semblait s'adresser au jeune passionné que j'étais début des années 80 enfermé dans mes jeux, mes films, mon monde imaginaire, passant ma vie dans mes videoclubs de Casablanca puis de Vélizy. C'est vrai que cette séquence finale dans le repaire (les script doctors parlent de caverne où l'on doit s'affronter avec la bêêêête, la personnification de ses peurs les plus enfouies) est un lieu absolument quelconque à première vue, une chambre d'enfant, mais s'en dégage une plénitude, une mélancolie, quelque chose de magique... On sent que c'est là que s'est forgé le génie du créateur, capable de transformer son réel en matériau divin... Un alchimiste en capacité de donner vie par sa seule pensée à la pierre philosophale. Une caverne d'Ali Baba recelant mille trésors et nous amenant à cette conclusion limpide : rien ne se crée, tout se transforme. Spielberg l'affirme et le démontre. A travers ses petits secrets d'alcôve révélés, ses failles sentimentales, apparaissent les raisons qui l'ont poussé à devenir le créateur qu'il est. C'est cela qui bouleverse tant. Sorte de climax d'une oeuvre testamentaire sur le mode vivant, léger, tout ce qui permet et facilite la transmission... Il est alors vraiment question de transmettre. Ce que l'Art a de plus profond à nous offrir. Sa propre expérience, son regard singulier sur le monde qui tend à devenir un enseignement universel. L'"Easter Egg" n'est rien d'autre. Le graal est cette coupe rouillée si notre imagination et notre capacité d'émerveillement intacte y consentent, comme Jack Lucas y parvient dans Fisher King ou Perceval dans Excalibur. D'ailleurs, les références évidentes ici à Excalibur - le nom du héros, Parsival, puis l'invocation du talisman (Anarrr Anssratt urssat besret dorien diembé) - ne laissent aucun doute sur la nature du message que Spielberg nous fait passer.

Evidemment ce qui m'aura moins plu à première vue c'est au niveau de ce qui se trame (un peu trop vite, un peu trop facilement) dans le "monde réel" du film, la facilité avec laquelle les héros "en chair et en os" viennent de toute la planète se retrouver en un battement de cil dans cette ville de Columbus qui ressemble fort en 2042 au nombril du monde... Facilité avec laquelle ils pénètrent dans le bunker de IOI, dans le bureau de Nolan Sorrento, facilité avec laquelle Wade Watts grille son identité ou repère le post it (BO55man69), facilité avec laquelle tous ces jeunes héros (réunis à la fin en deux trois raccourcis avec l'aide d'une poignée d'avions et autant d'heures de vol) manie avec une dextérité folle le kung Fu lorsqu'ils affrontent la femme en charge des basses besognes d'IOI. Parmi eux un enfant de 11 ans ? Où sont leurs parents ? Qu'on pensent-ils ? Questions légitimes qui demandent des explorations complémentaires... Mais j'y reviendrai.

Pendant ce temps, la quête du graal à travers les 3 énigmes à résoudre se révèle éclairante. Parce qu'elle explore cette idée simple qu'il faut s'extraire du monde, de son vacarme et de ses lois capitalistiques pour toucher au bonheur, à la vérité peut-être, qu'il faut retrouver son innocence. Cela passe simplement par le fait de refuser de s'engager sur la ligne de départ pour une course à l'échalote à l'argent qu'on amoncelle, qu'on amoncelle, jusqu'à plus soif. Une simple marche arrière ? Voir le monde par en-dessous vous en livre soudain une vision beaucoup plus poétique ? Celle de l'humilité. Oui mais il faut pour cela rentrer dans le cerveau du créateur d'un jeu (matérialisée par la résolution de la deuxième énigme), comprendre les raisons profondes qui l'amène à traiter un sujet (est-ce l'embrigadement de longues années de la fille de Stanley Kubrick dans un mouvement sectaire qui autorisa dans son cerveau de créateur à penser la première partie "lavage de cerveau" de Full Metal Jacket ou le cercle secret de Eyes Wide Shut ?). Et toute la partie consacrée à l'immersion dans Shining est en cela emblématique. Quel plus grand casse-tête cinématographique que Shining ? Qui s'affranchit du livre dont il est l'adaptation pour parler du processus de création artistique et de ce qu'il entraîne comme conséquences désastreuses sur la famille du créateur dans la vraie vie (je n'ai pas dit le monde réel)... Il suffit aussi de revoir Room 237 (au demeurant pas terrible) pour se convaincre que ce choix est tout sauf anodin.

Ces différentes énigmes que se coltine le héros dans le film sont de tels accès vers de nouveaux niveaux que je ne peux pas ne pas m'imaginer que le film recèle lui-même un mystère qui m'échappe encore... Comme si nous devions par nous-même voir et revoir le film pour mener notre propre enquête afin de localiser le passage secret qui mènerait vers une nouvelle façon de le comprendre et de l'aimer. C'est le génie de l'auteur que de savoir donner à son oeuvre suffisamment de respiration, de clés et de zones d'ombre pour que le spectateur puisse se l'approprier ou tout au moins y trouver sa place.

Serait-ce à dire que Ready Player One est aussi complexe que Shining, potentiellement sujet à de multiples analyses ? C'est ce que j'aime à penser. C'est pourquoi j'ai fait comme pour Mulholland Drive, The Shining, 2001 A space odyssey, Eyes Wide Shut ou Only God Forgives... Je l'ai revu avec mon regard d'enfant émerveillé pour chercher ce fameux passage secret et voilà ce que j'ai trouvé :

Tout est donné d'emblée sur la ligne de départ. Le film s'intitule Ready Player One. Le personnage principal se nomme Wade Watts. La carte de jeu c'est comme dans les différents épisodes de GTA, une ville. En l'occurence Colombus. La tante de Wade s'appelle Alice (Un prénom prédestiné ?). En rentrant dans le film, on est rentré dans le jeu. Une ville monde. Un REAL WORLD auquel s'agrège l'OASIS, le fameux MMORPG où se mèneront les différentes quêtes. Qui dirait entre nous MONDE REEL pour désigner la réalité ? Non REAL WORLD est le parfait nom d'un jeu qui par essence doit faire cohabiter une monde ressemblant au nôtre (certaines scènes clés - dont la libération d'Artemis - viennent d'ailleurs nous montrer que les deux univers sont étrangement entrelacés, peuvent se superposer l'un l'autre). Dans le REAL WORLD, pas d'armes à feu. Si comme dans la scène finale vous en brandissez une dans la foule, la police ne tardera pas conformément au principe GTA à vous éliminer du jeu. Ce faisant, le personnage d'un enfant de 11 ans peut vivre dans ce monde, les jeunes héros peuvent faire du Kung Fu, peuvent décrypter un post it sur le fauteuil de Nolan Sorrento (clin d'oeil du créateur du jeu pour le joueur que nous sommes ou avons été,  post it comme on en utilisait au XXe siècle, surtout pas en 2042), peuvent rentrer comme dans du beurre dans sa forteresse... Le REAL WORLD où personne ne dort jamais est le monde dans lequel l'univers narratif du jeu se développe. L'OASIS est celui où l'on va régulièrement chercher les clés pour gagner. Le REAL WORLD est le fameux niveau où il n'y a pas de règles a priori. Tous les choix sont possibles et vous construisent comme dans SIM CITY.

La finalité étant de faire comprendre que le pouvoir qu'offre l'empire d'Halliday n'est rien comparé à la capacité d'avoir compris toute l"émotion, les souffrances et les échecs qui l'avaient amené à devenir le créateur qu'il est devenu.      



mercredi 26 juin 2019

Burning. Lee Chang-Dong


Curieux ! Ca commence comme se terminait Rosetta des frères Dardenne. L'image n'a rien de trop spécial, on est manifestement dans un cinéma social, naturaliste qui nous plonge dans le Séoul d'aujourd'hui avec toutes ces petites gens qui vivotent et se battent pour survivre. J'ai toujours trouvé que le plus beau des voyages au coeur de terres qui nous attirent, c'est le film. La vision d'un local de l'étape est celle qui vous transmet le mieux le virus. C'est pour moi comme de découvrir un lieu en ayant un point de chute, quelqu'un qui connaît, qui y a grandi. et c'est encore meilleur si c'est un artiste ;) Bref, grâce à Lee Chang-Dong, j'ai très envie de mieux connaître Séoul. Deux jeunes tourtereaux s'y rencontrent à l'initiative d'une jeune fille qui a de la suite dans les idées. Elle mène la danse pour récupérer une montre, elle l'attire chez elle pour une histoire de chat qu'il faudra nourrir. Elle est aussi prestidigitatrice. Fait apparaître des objets qui n'existent pas. Créer le désir avec un peu de rien. La question arrive de savoir si ce chat existe, si elle est vraiment partie en Afrique, si plus tard, elle aura disparu de la vie de Jongsu comme on s'évanouit de bonheur à la vision d'un lac paisible au Kenya... La source qui alimente le film, le pouls battant, le son profond d'une basse au coeur ne semblent jamais aussi audible que dans cette séquence matricielle à la campagne où le trio amoureux (de Jules et Jim) côtoie les fantômes sonores d'Ascenseur pour l'échafaud. Nouvelle vague ? Un peu oui... Le film se présente en cela comme une respiration permanente (le parfait contrepied de l'univers clos et irrespirable de Wes Anderson). Tout est toujours possible jusqu'au bout du bout. Exploration non stop de lignes de fuite. Elle n'était peut-être pas cette jeune fille de sa jeunesse (elle est "passée sous le bistouri" nous dit-elle), elle n'est peut-être pas tombée dans ce puits, elle n'a peut-être jamais été amoureuse de lui dans leur jeunesse, peut-être même qu'il ne l'a jamais trouvé moche comme elle le prétend... Artiste insaisissable ça oui elle l'est assurément ! Aucun doute. Belle, incandescente, vénéneuse... Alors on peut se mettre à imaginer le pire. Serait-elle venue à la campagne ce fameux soir pour se livrer à un jeu cruel imaginé avec la complicité de son amant tordu ? Pourquoi ne pas y assassiner Jongsu par pur plaisir morbide ? Qui sait finalement ce qu'ils sont venus faire ? "Un repérage" dit l'amant. Personne ne sait d'ailleurs qu'ils sont là tous les trois. La musique d'Ascenseur sur l'échaffaud serait possiblement un indice sur cette piste criminelle en gestation... Puis avortée.

Jongsu semble correspondre à ce qu'il dit être même s'il est particulièrement difficile à déchiffrer. Notamment parce qu'il reçoit souvent, hébété, de multiples informations et questions sans ciller tout au long du film en tout cas jusqu'au début de son enquête. Le fait qu'il travaille sur une matière littéraire à la Faulkner renferme l'idée que la matière est autour de lui, à portée de regard, son univers entre Séoul, la ferme familiale, les difficultés de son père, sa mère partie, sa soeur invisible... Et ce qui retient d'ailleurs l'attention chez lui c'est ce silence et une forme de passivité face aux interpellations dont il est l'objet. Cela peut donner le sentiment qu'en cherchant à nourrir son sujet il se nourrit des rencontres pour créer un personnage (à l'écran ?) qui ne serait pas forcément lui... D'ailleurs toutes les étapes de son installation chez son père sont étrangement filmées comme l'intrusion d'un inconnu dans une maison vide... Comme s'il s'appropriait une histoire qui n'était pas la sienne. Cela contribue à faire grandir le trouble baignant le film. Ce qui me fait imaginer par exemple que dès la disparition de la jeune fille dont il est amoureux, son travail de création et d'écriture (à l'écran) commence alors, y intégrant des éléments factuels qui sont venus jusqu'à lui : la voiture de Ben, le feu, les vêtements brûlés par sa mère, le briquet oublié, l'anecdote sur les serres, le chat, la montre, l'appartement... Ce qui amène à penser que cette fin par exemple serait écrite par ses soins et pas réelle du tout. Juste avant la confrontation finale, on le voit d'ailleurs écrire fiévreusement dans l'appartement de la disparue. Une vengeance fantasmée peut-être dans laquelle la violence qui est en lui s'exprime soudain ! Cela rejoint là encore les innombrables pistes d'exploration qui rendent la lecture du film assez jouissive.

Côté faiblesse, je ne suis pas fan de l'enquête de Jongsu. Si l'on se contente d'une explication vraisemblable d'après la construction apparente de la narration, cette dernière n'explore finalement que l'exploitation des pauvres par les riches et faisant alors passer un message politique un peu étriqué pour un dénouement ultra basique, celui d'un thriller lambda mettant au prises un jeune idéaliste amoureux et un aristo psychopathe qui se sera tranquillement débarrassé du corps de la jeune héroïne sans le sou... Mouais.

Je préfère retenir le trouble, l'expérimentation permanente, le jeu fabuleux des acteurs (elle particulièrement) toutes ces zones d'ombre qui éclairent le film, autant de moyens donnés au spectateur pour le comprendre et l'aimer à sa façon. C'est pourquoi j'encourage chacun à le découvrir. Pas le chef d'oeuvre absolu dont on m'a rebattu les oreilles mais sacrément prenant et stimulant pour l'imagination si l'on veut bien se laisser porter....


mardi 25 juin 2019

Downsizing


Franchement, l'entrée en matière est délicieuse. Ce mélange entre une société aseptisée. molletonnée, toute froide et clinique d'un côté. Les préoccupations organiques, rasage de sourcil, arrachage de plombs, épilation complète, sécrétions corporelles, lavage d'estomac de l'autre. Ca pose le film et sa problématique. Que sont nos rêves et nos idéaux face à ce qu'on ne maîtrise pas. Un corps qui nous lâche, une dépression qui nous vainc, une envie de vomir, un cancer qui nous gagne. Alors que faire face à la nature et son mystère, que faire à part se sentir tout petit, petit, petit en continuant à faire comme avant ?

La première partie jusqu'à miniaturisation complète est d'ailleurs fort réussie, explorant non sans astuce, la traduction concrète d'une volonté politique, scientifique et économique sans faille (et pour cause il est aussi question de faire de l'argent) de participer aux efforts pour sauver la Terre face à la surpopulation et la dangereuse pollution de cette dernière. Des options qui se trouvent légitimées par la décision de réduire la taille de nos sociétés humaines.

Rapidement l'on s'aperçoit que la matérialisation ce nouveau monde s'inspire de l'adage qui veut qu'on ne doit pas confondre "vacances et immigration". Et oui, ce fameux monde idyllique se révèle aussi injuste et toc qu'il s'est longtemps présenté comme un eden pour lilliputiens. Cela commence par la marche arrière de la femme du héros qui le laisse continuer son aventure tout seul... Puis le "petit homme" réalise que sa vie même en version rikiki paradis est toujours pesante, lisse, morne, sans éclat. C'est alors qu'à mon sens le film dérape , fait une sortie de route et lâche son spectateur... Il devient prosaïque, métaphore trop littérale de toute expatriation d'un américain ou d'un européen dans les pays émergents. Tu déménages. T'as un sacré pouvoir d achat. Ta copine est restée au pays. Ton voisin fait de grosses fêtes entre expats et exploite les gens démunis, handicapés (on pense aux mutilés de guerre dans certains pays d'Afrique). C'est paradoxalement la limite de l'exercice. Cela crée une confusion des genres malvenue. Ca affadit et le propos et le film.

L'homme qui rétrécit ou Chérie j ai rétréci les gosses sont des réussites parce qu'ils transforment une minuscule araignée en monstre préhistorique ou un simple coin de pelouse en forêt amazonienne truffée de pièges tout droit sortis de King Kong ou d"Indiana Jones. En cela, ils remplissent parfaitement leur fonction de faire s'évader avec le quotidien sans nécessité de tenir un discours politique. Le discours se fond idéalement dans cette transformation du quotidien sans avoir besoin d'y ajouter un sous-titre ou une voix off. Le fait d'aborder Downsizing sous cet angle double (le fantastique et la question écologique du moment) est périlleux parce qu'il finit par se ranger du côté du discours un peu creux en oubliant le frisson, la fiction, l'imaginaire, en éludant l'incident qui va légitimement susciter l'intérêt du spectateur. Exemple : un rat, un ver ou des fourmis ont réussi a s'introduire dans la ville surprotégée. Chouette, qu'est-ce qu'il adviendra de cette communauté menacée ? Comment ce monde peut-il évoluer sans interagir avec le monde que nous connaissons ??? Comment un homme de taille normale n'aurait-t-il pas le projet diabolique ou l'envie meurtrière de venir piétiner tout ce beau monde un soir d'absence à lui-même ? Et qu'advient-il des humains de taille normale ? Le héros n'aurait-il pu avoir l'idée de s'évader pour retrouver sa femme ? La reconquérir malgré la différence de taille ? Bref du cinéma, de la poésie dont le film est dépourvu... Le cerveau humain ne peut pas l'accepter comme il ne peut accepter que sur ce lac ne surgira jamais la moindre sardine devenue gigantesque mettant ainsi en péril la frêle embarcation ? Cette volonté de rester coûte que coûte dans les clous du message à passer à travers d'interminables causeries finit par enfermer le spectacle dans un propos fumeux, théorique, qui personnellement a fini par me lasser.

En revanche, sympathique est la pirouette finale qui stigmatise le côté sectaire et intolérant des Vegans et autres écolo-mondialistes (naturellement blancs, sur-éduqués et européens) et nous rend sympathiques l'inconscient voisin expat du héros et les classes oubliées de ce monde en décrépitude (incarnées par la fiancée du personnage joué par Matt Damon). Eux continueront vaille que vaille à se tenir les coudes sans oublier de brûler la vie par les deux bouts.

lundi 24 juin 2019

Jusqu'à la garde


Je ne comprends pas le choix de Jusqu'à la garde comme meilleur film aux Cesars. Je partais avec un bon a priori. J'avais trouvé des qualités au court-métrage qui est à l'origine du film. Mêmes acteurs. L'action du film semble démarrer un tout petit peu après que la maman aie pris l'heureuse initiative de reprendre sa liberté pour son bien et celui de ses enfants.

Mais malgré une séquence d'introduction qui pose idéalement la tension et les problématiques (ambiance verbieuse froide et chirurgicale à la Asghar Farhadi dans La Séparation), malgré une séquence finale prenante (surtout l'attente de la mère et du fils vécue dans la pénombre à hauteur de lit) Jusqu'à la garde est squelettique sur le plan du cinéma au point de ressembler à ces commandes destinées à ouvrir les yeux, à sensibiliser le public aux violences conjugales. Rien à se mettre sous la dent côté voyage si vous voulez. On monte dans un train qui ne démarre jamais. On reste à quai. Le bon titre eut donc été Jusqu'à la gare !

Et pour cause. Les personnages sont creux et simplistes. Aussi épais que les maisons en façade de Daisy Town.  Difficile de s'emballer face à un personnage de maman si attachant (aucune aspérité, aucun défaut, même apparent. Rien sur sa jeunesse, son métier, ses projets...), des enfants si rapidement ébauchés, sympathiques au demeurant mais n'apportant rien à la progression de la narration. Tout est donné d'emblée. Il y a "l'Autre" et Super Maman. Rien ne changera plus. Une famille si aimante d'un côté, si équilibrée, si normalef et de l'autre un psychopathe il n'y a pas d'autre mot... Résumable à une attitude, un regard vide, une carrure de trappeur ou de tueur d'ours en Alaska et voilà, emballer c'est peser.

Le film déroule son programme répétitif en quelques séquences à peine... La juge. les transitions (je prends l'enfant je te le laisse, avec ce qu'il faut de menaces, d'explosions de colères, de dérapages du père), le repérage du nouvel appartement de la famille, l'anniversaire de la soeur, et le fait divers. Et c'est tout. Adieu complexité, au revoir ambiguïté, bonjour démonstration conclusive en à peine 1h30. Ça déroule, c'est plat et on ne verra jamais les lieux de travail de l'un ou de l'autre, les masques en société, les collègues, les amis, ceux qui à contre-coeur peut-être ont apporté leur soutien au père dérangé.

Tout ce qui permet au spectateur de réfléchir au film, tout ce qui permet au film de nous rendre plus intelligent... C'est dommage parce que le sujet aurait mérité dans un tel cadre de l'amplitude, de la complexité, de la profondeur, en un mot du cinéma. Ou alors, la solution eut peut-être été d'adopter la forme du film noir et de plonger dans quelque chose comme Les nerfs à vif par exemple. Parfois, la fiction en forçant le trait rend davantage service à ce genre de cause qu'une campagne de sensibilisation étirée sur 1h30.  

dimanche 23 juin 2019

Sans un bruit


J'ai pas de mot. C'est trop crétin. Au fil du recensement de toutes les circonstances qui occasionnent du bruit (le jouet à piles, l'objet qui tombe au sol, le clou dans le pied, le bébé qui pleure... ), une famille soudée a tranquillement décidé pour faire face à l'apocalypse de ne rien changer à ses habitudes : on reste chez soi, on partage son temps entre piège à poissons, lessives à la main, succulent repas autour d'une table impeccablement mise et balades champêtres jusqu'à la pharmacie de la ville toute proche... Nous voilà déjà plongé dans un univers auquel on ne croit pas une seconde. J'en suis même arrivé à essayer d'imaginer ce que pouvaient bien faire les méchants monstres pour tuer le temps quand les héros ne faisaient pas de bruit : jouer aux boules, se faire bronzer sur la côte, visiter Las Vegas ?

Bon ensuite arrive le vrai fond du problème. Ce fameux bruit à ne faire sous aucun prétexte. Passée l'invraisemblable séquence d'introduction avec l'enfant qu'on ne surveille pas, qu'on ne voit donc pas récupérer tranquillement piles et jouet (éléments potentiellement déclencheurs d'événements pas heureux dans le monde du film), puis qu'on laisse paisiblement marcher 200 mètres derrière tous les autres en forêt, on en vient à se demander s'il n'y a pas pire pour éviter de faire du bruit qu'une maison pas isolée, qu'une enfant sourde et pas consciente du bruit qu'elle occasionne par définition, qu'un petit frère susceptible de tousser après la moindre fausse route ou d'éternuer à n'importe quel moment, qu'un papa probablement sujet comme beaucoup de mâles adultes à la ronflette au coeur de la nuit... Et d'ailleurs, tous ces gens si précautionneux, ils vont jamais aux toilettes ? Font pas de rototo ? Bref...

Il est dès lors facile de comprendre pourquoi le film passe sous silence ce qui dans le passé a bien pu mettre à l'abri cette famille (plutôt que d'autres) de la horde de monstres régnant sans partage sur le monde... C'est que c'était déjà tellement une tannée de rendre l'univers crédible tel qu'il est sur l'écran... Plus pratique comme c'est le cas au bout de 5 mn de faire apparaître la une d'un journal révélant au monde que "c'est le bruit" qui les attire... Il y avait donc des gens assez cons pour faire imprimer des journaux (je laisse imaginer le bruit qu'une presse à papier peut produire) alors que le rédac-chef et l'imprimeur savaient le moindre bruit de nature à ouvrir l'appétit de ces pseudo araignées cannibales géantes au demeurant pas très réussies ! Risible.

Enfin quelle drôle d'idée que de vivre dans une maison ouverte aux quatre vents avec les risques évidents de croiser une créature égarée - elles y voient que dalle ! Pourquoi ne pas chercher à se barricader dans une cave ultra protégée ? C'est comme, et j'en termine, l'absence de précaution de l'héroïne qui accepte vaillamment de se lancer dans un nouveau projet bébé avec tout ce qui viendra... Perte des eaux, accouchement à la roots, hurlements et premier cri du nouveau né...  Ce serait comme se gaver de haricots blancs et d'ail cru tout en sachant pertinemment qu'à la première caisse c'est la fin du monde assurée. Du n'importe quoi je vous dis.

jeudi 20 juin 2019

L'île aux chiens. Wes Anderson



J'ai parfaitement compris qu'une grande source d'inspiration de Wes Anderrson pour créer L'ïle aux chiens se trouve concentrée dans Escape from New-York. Il a remplacé les prisonniers de Manhattan par des chiens, Snake Plissken par un aviateur (aux allures du Petit Prince) et la personnalité en vue (dont l'avion s'est justement écrasé dans le Carpenter) par le fameux chien, Spots, à aller récupérer. La personnalité en vue étant dans L'Ïle aux chiens le père du Petit Prince. Vous me suivez ? Wes Anderson n'a plus eu ensuite qu'à "wasabiser" le tout. Mais voilà, tout ce retraitement dans un film d'animation pour dire la méchanceté de l'homme doublée d'une vile capacité à "accuser son chien de la rage pour mieux se débarrasser de lui" ne suffit pas... Et surtout cela n'apporte rien de mieux ou de plus. 

The Plague Dogs est profond, il parle de nous, entités étranges galopant sur deux pattes et en proie à une errance sans fin sur un territoire incertain qu'on appelle la vie en se demandant ce qu'il y a tout au bout, juste après. Entités galopantes se souciant peu des chiens qui valent pourtant bien qu'on les encourage, qu'on vibre pour eux le temps d'un film. C'est pourquoi malgré ses intentions louables, L'île aux chiens souffre de la comparaison.

D'abord pour son esthétique, trop léchée (sans mauvais jeu de mots), et comme souvent trop fondée sur une symétrie qui enlève à l'univers ce je ne sais quoi de folie, de vie. Tout est tellement carré, tellement écrit, tellement réfléchi que plus rien ne respire. C'est dommage, il y a de belles idées (ce Petit Prince venu chercher son chien) mais le fil trop prosaïque du film (une arnaque et beaucoup de corruption ont conduit les hommes à vouloir entasser tous les chiens sur cette île) finit par lasser. Les personnages humains sont par ailleurs très peu attachants. Mais les chiens le sont-ils beaucoup plus ? Pas vraiment au vu de cette obsession du cadre millimétré, et d'une mécanique qui systématiquement chez Wes Anderson étouffe dans l'oeuf tout élan comme cet avion qui survolant l'île quelques instants finit par s'y écraser dans un nuage de fumée, privé qu'il est trop tôt de son souffle de vie.

Split. The Visit. M Night Shyamalan is back !









J'ai revu il n'y a pas très longtemps l'excellentissime The Visit qui marquait le retour au premier plan de mon cher M Night Shyamalan. Du cinéma d'épouvante de haut vol reprenant à son compte le canevas du Found Footage (comme le génial The Bay de Barry Levinson) pour partir d'une forme souple et familière, y créer le trouble, y semer la peur et le doute (est-on en présence de manifestations surnaturelles façon film de maison hantée ou de possession diabolique dans la mouvance de l'Exorciste de William Friedkin ?) pour nous amener brillamment vers un dénouement qu'honnêtement on ne voit pas venir, qui glace d'autant plus le sang que le film n'a pas manqué d'humour et de légèreté bienvenue jusque là et qui amène aussi une part plus consistante de pathos (le drame familial, la responsabilité engagée des parents absents) pour s'achever par un épilogue d'une force peu commune, presque mythologique (on arrive à quai dans le climat sacrificiel effroyable de la "cène" familiale de Massacre à la Tronçonneuse dans laquelle le patriarche essaye avec le peu de force qui lui reste d'estourbir à coupe de masse l'héroïne comme un cochon de lait...). Finalement plus profond et moins frivole que beaucoup ne l'ont souligné au moment de sa sortie. J'avais retenu deux critiques qui me semblaient avoir parfaitement saisi l'envergure de cet excellent The Visit :

"Dynamitant les conventions bêtasses du fond footage afin de donner à réfléchir sur le pouvoir des images, The Visit, conte merveilleux où l'on rit, où l'on a peur, où l'on est ému appartient totalement au réalisateur d'Incassable, en pleine renaissance artistique" (Romain Le Vern, TF1 News). "C'est autant par un travail sur la durée que sur l'espace que Shymalan parvient à bâtir une véritable armature fantastique, toujours sur la brèche entre prosaïsme de la matière narrative et possibilité d'un élan surnaturel" (Josué Morel. Critikat.com)

Je viens de voir Split qui m'a tout autant convaincu du retour au premier plan de  Shyamalan. On retrouve son style dès cette séquence introductive saisissante par la maîtrise de la mise en scène et par le talent pour faire surgir un moment d'une âpreté saisissante (le conducteur au visage inconnu prend les commandes de votre véhicule) à partir d'un moment de nos vies tout ce qu'il y a de plus banal : quelque part sur le chemin de la voiture pour rentrer à la maison.

C'est une fois en captivité dans ce lieu souterrain, mental, que le personnage ambigu dévoile progressivement certaines de ses facettes clés. On ne peut à ce stade que s'incliner devant l'immense talent de l'acteur principal pour faire exister tous ces personnages, devant la vérité qu'il donne à chacun. La métaphore filée de l'acteur qui ne se sent jamais aussi bien que dans la peau et sous les traits d'autres que lui.

Il fallait quelqu'un d'envergure pour lui donner la réplique et c'est le cas. Cette jeune actrice avec ces grands yeux de biche effrayée (on est dans les soubassements d'un zoo) toujours humides est l'autre révélation de Split. Chacune de ses oeillades nous transperce et fait mouche, créant même le trouble chez son oppresseur.

Et comme dans les grands films, il faut de la profondeur, un message qui nous touche au coeur. Le film atteint des sommets dès lors qu'il se veut métaphore de ce que nous sommes tous dans nos vies diurnes. Ne met-on pas tous un masque en société à un moment ou un autre pour se protéger ? Ne prépare-t-on pas à fond un entretien pour donner à voir celui qui aura les faveurs du recruteur pour mieux atteindre son objectif ? "Moi je suis engagé, j'ai l'esprit d'équipe". Avoir l'attitude qui va bien, les mains sagement croisées devant soi, un choix pertinent de mots, une respiration lente, des gestes amples et travaillés, l'abord souriant, les expressions calmes du visage, l'écoute attentive ou au contraire le repli sur un monde imaginaire pour une vie passée à parler seul à voix haute, dans sa chambre d'enfant...

Le film fait à cet effet des choix géographiques marquants et jamais anodins : on est sur un lieu de travail. Un Zoo. La comédie humaine sous les traits d'animaux (Les animaux de ferme d'Orwell). Le héros prend régulièrement le métro (lieu associé qu'on le veuille ou non à des trajets menant à son travail. Le sempiternel Métro - Boulot - Dodo). Quant aux discussions du personnage principal avec sa psy, elles ressemblent en tout point à des entretiens d'embauche.

Le film est parfaitement rythmé témoignant d'une maîtrise assez incroyable de sa narration dans des lieux pourtant clos, avec le risque de la répétition ou d'une théâtralité vaine. On avance d'abord vers la découverte de la dangerosité de cet homme et des questions viennent rapidement sur ce dont il est capable ou pas. Où sont passées les amies de l'héroïne ? Le père de l'une d'elles ? Qu'en a-t-il fait ? On a peur pour "ses poupées"', on a peur de découvrir son caractère imprévisible laisser place au pire. Puis il y a ce répit pendant lequel on se dit qu'il est inoffensif ou en capacité de garder le contrôle et rester dans une verbalisation sans passage à l'acte jusqu'à ce qu'il soit finalement question de la pire de ses personnalités encore en sommeil. La bête et sa description glaçante. Et l'on sait alors qu'elle est en gestation et qu'elle sera bientôt là, en muscles et en os. Cela semble inéluctable. 

Je repense alors à ce qui faisait le sel des premiers films de Shyamalan. Un homme se pense vivant alors qu'il est mort (Le Sixième sens). Un autre se pense normal alors qu'il est insensible à la douleur (Incassable). Des adultes se rendent coupables de tromper et d'embrigader contre leur gré une jeunesse persuadée qu'un monstre rôde dans la forêt (Le Village). Une bête ? Même déviance chez les garants de l'éducation "grand-parentale" dans The Visit. Dans SIgns, un traumatisme familial rend le père de famille étouffant, abusif dans la sur-protection de ses enfants. Voilà ce qui ressort aujourd'hui du cinéma de Shyamalan, débarrassé des apparats du genre. C'est une mythologue originelle basée sur l'abus (emprise physique et morale) dont l'enfance aurait été l'objet et qui peut laisser le sujet concerné "pour mort, insensible/incassable et coupé du monde" de très longues années, parfois même jusqu'à l'âge adulte...

C'est ce que recèle cette conclusion fabuleuse entre le bourreau et sa victime, la bête et la belle, sur les "gens brisés" (dont Shyamalan ferait partie) qui peuvent témoigner plus tard comme artistes par exemple. Le climax rappelant que les blessures de l'enfance peuvent devenir une chance/un atout. Le film s'inscrit en cela parfaitement dans l'oeuvre que poursuit Shyamalan (malgré quelques sortie de route) et qui expliquerait pourquoi son épilogue ramène vers l'univers de Split celui d'Incassable.