jeudi 20 juin 2019

Split. The Visit. M Night Shyamalan is back !









J'ai revu il n'y a pas très longtemps l'excellentissime The Visit qui marquait le retour au premier plan de mon cher M Night Shyamalan. Du cinéma d'épouvante de haut vol reprenant à son compte le canevas du Found Footage (comme le génial The Bay de Barry Levinson) pour partir d'une forme souple et familière, y créer le trouble, y semer la peur et le doute (est-on en présence de manifestations surnaturelles façon film de maison hantée ou de possession diabolique dans la mouvance de l'Exorciste de William Friedkin ?) pour nous amener brillamment vers un dénouement qu'honnêtement on ne voit pas venir, qui glace d'autant plus le sang que le film n'a pas manqué d'humour et de légèreté bienvenue jusque là et qui amène aussi une part plus consistante de pathos (le drame familial, la responsabilité engagée des parents absents) pour s'achever par un épilogue d'une force peu commune, presque mythologique (on arrive à quai dans le climat sacrificiel effroyable de la "cène" familiale de Massacre à la Tronçonneuse dans laquelle le patriarche essaye avec le peu de force qui lui reste d'estourbir à coupe de masse l'héroïne comme un cochon de lait...). Finalement plus profond et moins frivole que beaucoup ne l'ont souligné au moment de sa sortie. J'avais retenu deux critiques qui me semblaient avoir parfaitement saisi l'envergure de cet excellent The Visit :

"Dynamitant les conventions bêtasses du fond footage afin de donner à réfléchir sur le pouvoir des images, The Visit, conte merveilleux où l'on rit, où l'on a peur, où l'on est ému appartient totalement au réalisateur d'Incassable, en pleine renaissance artistique" (Romain Le Vern, TF1 News). "C'est autant par un travail sur la durée que sur l'espace que Shymalan parvient à bâtir une véritable armature fantastique, toujours sur la brèche entre prosaïsme de la matière narrative et possibilité d'un élan surnaturel" (Josué Morel. Critikat.com)

Je viens de voir Split qui m'a tout autant convaincu du retour au premier plan de  Shyamalan. On retrouve son style dès cette séquence introductive saisissante par la maîtrise de la mise en scène et par le talent pour faire surgir un moment d'une âpreté saisissante (le conducteur au visage inconnu prend les commandes de votre véhicule) à partir d'un moment de nos vies tout ce qu'il y a de plus banal : quelque part sur le chemin de la voiture pour rentrer à la maison.

C'est une fois en captivité dans ce lieu souterrain, mental, que le personnage ambigu dévoile progressivement certaines de ses facettes clés. On ne peut à ce stade que s'incliner devant l'immense talent de l'acteur principal pour faire exister tous ces personnages, devant la vérité qu'il donne à chacun. La métaphore filée de l'acteur qui ne se sent jamais aussi bien que dans la peau et sous les traits d'autres que lui.

Il fallait quelqu'un d'envergure pour lui donner la réplique et c'est le cas. Cette jeune actrice avec ces grands yeux de biche effrayée (on est dans les soubassements d'un zoo) toujours humides est l'autre révélation de Split. Chacune de ses oeillades nous transperce et fait mouche, créant même le trouble chez son oppresseur.

Et comme dans les grands films, il faut de la profondeur, un message qui nous touche au coeur. Le film atteint des sommets dès lors qu'il se veut métaphore de ce que nous sommes tous dans nos vies diurnes. Ne met-on pas tous un masque en société à un moment ou un autre pour se protéger ? Ne prépare-t-on pas à fond un entretien pour donner à voir celui qui aura les faveurs du recruteur pour mieux atteindre son objectif ? "Moi je suis engagé, j'ai l'esprit d'équipe". Avoir l'attitude qui va bien, les mains sagement croisées devant soi, un choix pertinent de mots, une respiration lente, des gestes amples et travaillés, l'abord souriant, les expressions calmes du visage, l'écoute attentive ou au contraire le repli sur un monde imaginaire pour une vie passée à parler seul à voix haute, dans sa chambre d'enfant...

Le film fait à cet effet des choix géographiques marquants et jamais anodins : on est sur un lieu de travail. Un Zoo. La comédie humaine sous les traits d'animaux (Les animaux de ferme d'Orwell). Le héros prend régulièrement le métro (lieu associé qu'on le veuille ou non à des trajets menant à son travail. Le sempiternel Métro - Boulot - Dodo). Quant aux discussions du personnage principal avec sa psy, elles ressemblent en tout point à des entretiens d'embauche.

Le film est parfaitement rythmé témoignant d'une maîtrise assez incroyable de sa narration dans des lieux pourtant clos, avec le risque de la répétition ou d'une théâtralité vaine. On avance d'abord vers la découverte de la dangerosité de cet homme et des questions viennent rapidement sur ce dont il est capable ou pas. Où sont passées les amies de l'héroïne ? Le père de l'une d'elles ? Qu'en a-t-il fait ? On a peur pour "ses poupées"', on a peur de découvrir son caractère imprévisible laisser place au pire. Puis il y a ce répit pendant lequel on se dit qu'il est inoffensif ou en capacité de garder le contrôle et rester dans une verbalisation sans passage à l'acte jusqu'à ce qu'il soit finalement question de la pire de ses personnalités encore en sommeil. La bête et sa description glaçante. Et l'on sait alors qu'elle est en gestation et qu'elle sera bientôt là, en muscles et en os. Cela semble inéluctable. 

Je repense alors à ce qui faisait le sel des premiers films de Shyamalan. Un homme se pense vivant alors qu'il est mort (Le Sixième sens). Un autre se pense normal alors qu'il est insensible à la douleur (Incassable). Des adultes se rendent coupables de tromper et d'embrigader contre leur gré une jeunesse persuadée qu'un monstre rôde dans la forêt (Le Village). Une bête ? Même déviance chez les garants de l'éducation "grand-parentale" dans The Visit. Dans SIgns, un traumatisme familial rend le père de famille étouffant, abusif dans la sur-protection de ses enfants. Voilà ce qui ressort aujourd'hui du cinéma de Shyamalan, débarrassé des apparats du genre. C'est une mythologue originelle basée sur l'abus (emprise physique et morale) dont l'enfance aurait été l'objet et qui peut laisser le sujet concerné "pour mort, insensible/incassable et coupé du monde" de très longues années, parfois même jusqu'à l'âge adulte...

C'est ce que recèle cette conclusion fabuleuse entre le bourreau et sa victime, la bête et la belle, sur les "gens brisés" (dont Shyamalan ferait partie) qui peuvent témoigner plus tard comme artistes par exemple. Le climax rappelant que les blessures de l'enfance peuvent devenir une chance/un atout. Le film s'inscrit en cela parfaitement dans l'oeuvre que poursuit Shyamalan (malgré quelques sortie de route) et qui expliquerait pourquoi son épilogue ramène vers l'univers de Split celui d'Incassable.




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