dimanche 16 juin 2019

Le 15h17 pour Paris


Voilà un film qui serait de droite, une oeuvre de propagande réactionnaire pro-américaine, dans ses tréfonds patriotiques... Le film n'est as exempt de vilains défauts certes, mais de là à lui faire ce genre de reproches... Je ne comprends pas et m'en explique.

Je reviens d''abord sur les faiblesses. Venise, Munich, Amsterdam... C'est platitude et compagnie, on est  d'accord. En même temps, si je me mets deux secondes à la place du réalisateur, l'idée c'est bien de nous faire sentir très à l'aise et en empathie avec les personnages, facile de s'identifier complètement à leurs trajectoires ultra balisées : "Hier c'était notre meilleure soirée, c'était chaaaaud... Waow qu'elles sont jolies ces italiennes ! Est-ce qu'on va à Paris ? Paraît que les parisiens sont pas sympas... J'ai mal à la tête ce matin, on ne prendra pas de bière, merci... On va faire des photos devant la Tour Eiffel". Bref le tout venant pour des millions de touristes chaque année. Vu comme cela, la naissance d'une situation complètement exceptionnelle, hors normes, est d'autant mieux amenée que ce qui la précède est d'une banalité confondante. Plus le terrain est connu juste avant, plus on prend dans la gueule la dimension un peu hystérique de la situation. L'adaptation et la décision qu'on y offre en retour devient dès lors une question de réflexe, d'intuition, de réaction animale où la réflexion n'a pas voix au chapitre. C'est le but du film me semble-t-il. Que fait-on dans une situation d'urgence émotionnelle où il en va de votre vie et celles de ceux qui vous entourent ? Parfois on n'y peut rien, l'avion va s'écraser et je n'ai plus qu'à fermer les yeux et attendre... Mais là c'est diffèrent.  Le destin a mis un certain Spencer dans ce train pour Paris. Et le film pour moi ne parle ni de l'attentat ni des trois héros (décorés in fine etc.) mais de Spencer et ce qui dans son parcours, sa jeunesse, son éducation, ses handicaps, ses échecs l'auront rendus invulnérable pendant ces quelques minutes. D'ailleurs, son camarade qui lui est vraiment allé sur le terrain et fait "la guerre" n'a pas du tout les bons réflexes et reste planqué pendant l'affrontement... C'est pourquoi le film raconte d'abord les mécanismes secrets qui mènent un homme habité à prendre une folle décision dans l'urgence avec des conséquences heureuses.

Je crois que là où le film est bel et bien un film d'Eastwood c'est dans cette volonté de mettre en valeur des petits évènements en apparence négatifs qui s'entremêlent silencieusement pour faire ensemble pleinement sens le jour J dans nos vies. Je veux dire que c'est d'abord un acte de désobéissance qui sauve Spencer et tous les gens présents dans ce train. Désobéissance à un ordre et une foi qu'on a voulu lui imposer dans cette école à caractère religieux durant sa jeunesse. Ce refus de rentrer dans le rang qui se révèle être une chance dans ce train de 15h17 quand sa prof à l'école  le vivait comme un tare (évocation de traitements médicamenteux à lui administrer pour le ramener à un comportement plus acceptable, un juste milieu, une forme de reniement de ce qu'on est fondamentalement), désobéissance à l'inéluctable qui veut qu'on se planque derrière un fauteuil en attendant qu'on nous tire comme des lapins effrayés. Sortir du cadre c'est qui le sauve après l'avoir handicapé durant des années (ses retards pendant ses classes militaires et les pompes en punition façon Full Metal Jacket ou son côté tête de mule pendant une alerte, lorsque n'écoutant que son intuition, stylo bille à la main, il se prépare à une hypothétique attaque). Pendant le climax, je repense évidemment à sa vocation contrariée pour un déficit d'évaluation de la profondeur de champ.  Comme celle qui le sépare du fusil d'assaut lorsqu'il se lance à corps perdu sur l'assaillant ? Sûrement, bien sûr que ce qui fut rédhibitoire à l'examen lui est salvateur au moment d'apprécier le temps qui le sépare de l'impact avec le tueur lors de son rush désespéré. Tout comme nous revient en mémoire une jeunesse passée à manipuler et jouer avec des armes factice. Est-ce que cela joue sur l'absence de peur ressentie ou l'adrénaline des jeux d'antan (avec ces mêmes amis dans ce train !!!) ? Bien sûr. L'arme s'enraye d'ailleurs en produisant le bruit creux d'un jouet de cette époque, comme un clin d'oeil à leur histoire commune. Il aura par ailleurs appris au fil de son parcours les rudiments de l'étranglement arrière, comme d'autre le Flamenco. Tous ces petits éléments s'ajoutant à son rêve de toujours de "sauver des vies", d'être un héros, d'être dans l'action, de refuser la fatalité ou l'ordre établi trouvent un sens aigu dans son comportement presque sacrificiel. Même blessé, il va courir au secours d'un homme touché à la carotide et le sauver.

En filigrane, c'est nous tous qui sommes ramenés à nos échecs, nos handicaps, qui dans le langage cinématographie de Clint Eastwood sont autant de miracles et de chances dont les effets se feront tôt ou tard sentir. Par nos actes, à travers notre descendance, subrepticement un jour sans crier gare, tout ce qui nous semble aujourd'hui nous enfoncer fera de nous une personne providentielle pour notre entourage. Pour les autres. Dans cet abord, dans ce moment de bascule où Spencer "se lance" vers son destin héroïque, n'y a-il pas un peu de ces peurs qui nous paralysent, nous ralentissent, et qu'un jour on laisse de côté pour entrer dans la lumière et se réaliser ? En cela Le 15h17 pour Paris a beaucoup à voir avec le très sous-estimé Hereafter (Au-delà) dans son approche et son message. Tout cela pour dire que l'un comme l'autre certes ne sont pas des chefs d'oeuvre et souffrent de défauts certains, mais ils sont certainement moins dénués d'intérêt pour le spectateur et dans la filmographie de Clint Eastwood qu'on a pu le dire ou l'écrire.

Je finis avec l'absence de père ou de figure paternelle chez Spencer qui semble être un moteur supplémentaire (on repense au jeune homme et sa fantastique mère célibataire de The Changeling) dans tout ce qui le fait avancer. Encore un manque ou une absence qui devient une force chez lui. Lorsque les 3 copains de Mystic River avaient échoué à se protéger les uns les autres, n'ayant pas eu les armes lorsqu'on était venu marquer leur jeunesse et leur innocence au fer rouge, la catharsis est venue grâce au 17h15 pour Paris . On a toujours une deuxième chance.
                     

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