dimanche 30 juin 2019

Ready Player One. Steven Spielberg


C'est mon côté torturé quand il s'agit de dire pourquoi on aime (ou pas) un film ; d'abord un point capital : le film m'a dans l'ensemble touché, ému parce qu'il semblait s'adresser au jeune passionné que j'étais début des années 80 enfermé dans mes jeux, mes films, mon monde imaginaire, passant ma vie dans mes videoclubs de Casablanca puis de Vélizy. C'est vrai que cette séquence finale dans le repaire (les script doctors parlent de caverne où l'on doit s'affronter avec la bêêêête, la personnification de ses peurs les plus enfouies) est un lieu absolument quelconque à première vue, une chambre d'enfant, mais s'en dégage une plénitude, une mélancolie, quelque chose de magique... On sent que c'est là que s'est forgé le génie du créateur, capable de transformer son réel en matériau divin... Un alchimiste en capacité de donner vie par sa seule pensée à la pierre philosophale. Une caverne d'Ali Baba recelant mille trésors et nous amenant à cette conclusion limpide : rien ne se crée, tout se transforme. Spielberg l'affirme et le démontre. A travers ses petits secrets d'alcôve révélés, ses failles sentimentales, apparaissent les raisons qui l'ont poussé à devenir le créateur qu'il est. C'est cela qui bouleverse tant. Sorte de climax d'une oeuvre testamentaire sur le mode vivant, léger, tout ce qui permet et facilite la transmission... Il est alors vraiment question de transmettre. Ce que l'Art a de plus profond à nous offrir. Sa propre expérience, son regard singulier sur le monde qui tend à devenir un enseignement universel. L'"Easter Egg" n'est rien d'autre. Le graal est cette coupe rouillée si notre imagination et notre capacité d'émerveillement intacte y consentent, comme Jack Lucas y parvient dans Fisher King ou Perceval dans Excalibur. D'ailleurs, les références évidentes ici à Excalibur - le nom du héros, Parsival, puis l'invocation du talisman (Anarrr Anssratt urssat besret dorien diembé) - ne laissent aucun doute sur la nature du message que Spielberg nous fait passer.

Evidemment ce qui m'aura moins plu à première vue c'est au niveau de ce qui se trame (un peu trop vite, un peu trop facilement) dans le "monde réel" du film, la facilité avec laquelle les héros "en chair et en os" viennent de toute la planète se retrouver en un battement de cil dans cette ville de Columbus qui ressemble fort en 2042 au nombril du monde... Facilité avec laquelle ils pénètrent dans le bunker de IOI, dans le bureau de Nolan Sorrento, facilité avec laquelle Wade Watts grille son identité ou repère le post it (BO55man69), facilité avec laquelle tous ces jeunes héros (réunis à la fin en deux trois raccourcis avec l'aide d'une poignée d'avions et autant d'heures de vol) manie avec une dextérité folle le kung Fu lorsqu'ils affrontent la femme en charge des basses besognes d'IOI. Parmi eux un enfant de 11 ans ? Où sont leurs parents ? Qu'on pensent-ils ? Questions légitimes qui demandent des explorations complémentaires... Mais j'y reviendrai.

Pendant ce temps, la quête du graal à travers les 3 énigmes à résoudre se révèle éclairante. Parce qu'elle explore cette idée simple qu'il faut s'extraire du monde, de son vacarme et de ses lois capitalistiques pour toucher au bonheur, à la vérité peut-être, qu'il faut retrouver son innocence. Cela passe simplement par le fait de refuser de s'engager sur la ligne de départ pour une course à l'échalote à l'argent qu'on amoncelle, qu'on amoncelle, jusqu'à plus soif. Une simple marche arrière ? Voir le monde par en-dessous vous en livre soudain une vision beaucoup plus poétique ? Celle de l'humilité. Oui mais il faut pour cela rentrer dans le cerveau du créateur d'un jeu (matérialisée par la résolution de la deuxième énigme), comprendre les raisons profondes qui l'amène à traiter un sujet (est-ce l'embrigadement de longues années de la fille de Stanley Kubrick dans un mouvement sectaire qui autorisa dans son cerveau de créateur à penser la première partie "lavage de cerveau" de Full Metal Jacket ou le cercle secret de Eyes Wide Shut ?). Et toute la partie consacrée à l'immersion dans Shining est en cela emblématique. Quel plus grand casse-tête cinématographique que Shining ? Qui s'affranchit du livre dont il est l'adaptation pour parler du processus de création artistique et de ce qu'il entraîne comme conséquences désastreuses sur la famille du créateur dans la vraie vie (je n'ai pas dit le monde réel)... Il suffit aussi de revoir Room 237 (au demeurant pas terrible) pour se convaincre que ce choix est tout sauf anodin.

Ces différentes énigmes que se coltine le héros dans le film sont de tels accès vers de nouveaux niveaux que je ne peux pas ne pas m'imaginer que le film recèle lui-même un mystère qui m'échappe encore... Comme si nous devions par nous-même voir et revoir le film pour mener notre propre enquête afin de localiser le passage secret qui mènerait vers une nouvelle façon de le comprendre et de l'aimer. C'est le génie de l'auteur que de savoir donner à son oeuvre suffisamment de respiration, de clés et de zones d'ombre pour que le spectateur puisse se l'approprier ou tout au moins y trouver sa place.

Serait-ce à dire que Ready Player One est aussi complexe que Shining, potentiellement sujet à de multiples analyses ? C'est ce que j'aime à penser. C'est pourquoi j'ai fait comme pour Mulholland Drive, The Shining, 2001 A space odyssey, Eyes Wide Shut ou Only God Forgives... Je l'ai revu avec mon regard d'enfant émerveillé pour chercher ce fameux passage secret et voilà ce que j'ai trouvé :

Tout est donné d'emblée sur la ligne de départ. Le film s'intitule Ready Player One. Le personnage principal se nomme Wade Watts. La carte de jeu c'est comme dans les différents épisodes de GTA, une ville. En l'occurence Colombus. La tante de Wade s'appelle Alice (Un prénom prédestiné ?). En rentrant dans le film, on est rentré dans le jeu. Une ville monde. Un REAL WORLD auquel s'agrège l'OASIS, le fameux MMORPG où se mèneront les différentes quêtes. Qui dirait entre nous MONDE REEL pour désigner la réalité ? Non REAL WORLD est le parfait nom d'un jeu qui par essence doit faire cohabiter une monde ressemblant au nôtre (certaines scènes clés - dont la libération d'Artemis - viennent d'ailleurs nous montrer que les deux univers sont étrangement entrelacés, peuvent se superposer l'un l'autre). Dans le REAL WORLD, pas d'armes à feu. Si comme dans la scène finale vous en brandissez une dans la foule, la police ne tardera pas conformément au principe GTA à vous éliminer du jeu. Ce faisant, le personnage d'un enfant de 11 ans peut vivre dans ce monde, les jeunes héros peuvent faire du Kung Fu, peuvent décrypter un post it sur le fauteuil de Nolan Sorrento (clin d'oeil du créateur du jeu pour le joueur que nous sommes ou avons été,  post it comme on en utilisait au XXe siècle, surtout pas en 2042), peuvent rentrer comme dans du beurre dans sa forteresse... Le REAL WORLD où personne ne dort jamais est le monde dans lequel l'univers narratif du jeu se développe. L'OASIS est celui où l'on va régulièrement chercher les clés pour gagner. Le REAL WORLD est le fameux niveau où il n'y a pas de règles a priori. Tous les choix sont possibles et vous construisent comme dans SIM CITY.

La finalité étant de faire comprendre que le pouvoir qu'offre l'empire d'Halliday n'est rien comparé à la capacité d'avoir compris toute l"émotion, les souffrances et les échecs qui l'avaient amené à devenir le créateur qu'il est devenu.      



mercredi 26 juin 2019

Burning. Lee Chang-Dong


Curieux ! Ca commence comme se terminait Rosetta des frères Dardenne. L'image n'a rien de trop spécial, on est manifestement dans un cinéma social, naturaliste qui nous plonge dans le Séoul d'aujourd'hui avec toutes ces petites gens qui vivotent et se battent pour survivre. J'ai toujours trouvé que le plus beau des voyages au coeur de terres qui nous attirent, c'est le film. La vision d'un local de l'étape est celle qui vous transmet le mieux le virus. C'est pour moi comme de découvrir un lieu en ayant un point de chute, quelqu'un qui connaît, qui y a grandi. et c'est encore meilleur si c'est un artiste ;) Bref, grâce à Lee Chang-Dong, j'ai très envie de mieux connaître Séoul. Deux jeunes tourtereaux s'y rencontrent à l'initiative d'une jeune fille qui a de la suite dans les idées. Elle mène la danse pour récupérer une montre, elle l'attire chez elle pour une histoire de chat qu'il faudra nourrir. Elle est aussi prestidigitatrice. Fait apparaître des objets qui n'existent pas. Créer le désir avec un peu de rien. La question arrive de savoir si ce chat existe, si elle est vraiment partie en Afrique, si plus tard, elle aura disparu de la vie de Jongsu comme on s'évanouit de bonheur à la vision d'un lac paisible au Kenya... La source qui alimente le film, le pouls battant, le son profond d'une basse au coeur ne semblent jamais aussi audible que dans cette séquence matricielle à la campagne où le trio amoureux (de Jules et Jim) côtoie les fantômes sonores d'Ascenseur pour l'échafaud. Nouvelle vague ? Un peu oui... Le film se présente en cela comme une respiration permanente (le parfait contrepied de l'univers clos et irrespirable de Wes Anderson). Tout est toujours possible jusqu'au bout du bout. Exploration non stop de lignes de fuite. Elle n'était peut-être pas cette jeune fille de sa jeunesse (elle est "passée sous le bistouri" nous dit-elle), elle n'est peut-être pas tombée dans ce puits, elle n'a peut-être jamais été amoureuse de lui dans leur jeunesse, peut-être même qu'il ne l'a jamais trouvé moche comme elle le prétend... Artiste insaisissable ça oui elle l'est assurément ! Aucun doute. Belle, incandescente, vénéneuse... Alors on peut se mettre à imaginer le pire. Serait-elle venue à la campagne ce fameux soir pour se livrer à un jeu cruel imaginé avec la complicité de son amant tordu ? Pourquoi ne pas y assassiner Jongsu par pur plaisir morbide ? Qui sait finalement ce qu'ils sont venus faire ? "Un repérage" dit l'amant. Personne ne sait d'ailleurs qu'ils sont là tous les trois. La musique d'Ascenseur sur l'échaffaud serait possiblement un indice sur cette piste criminelle en gestation... Puis avortée.

Jongsu semble correspondre à ce qu'il dit être même s'il est particulièrement difficile à déchiffrer. Notamment parce qu'il reçoit souvent, hébété, de multiples informations et questions sans ciller tout au long du film en tout cas jusqu'au début de son enquête. Le fait qu'il travaille sur une matière littéraire à la Faulkner renferme l'idée que la matière est autour de lui, à portée de regard, son univers entre Séoul, la ferme familiale, les difficultés de son père, sa mère partie, sa soeur invisible... Et ce qui retient d'ailleurs l'attention chez lui c'est ce silence et une forme de passivité face aux interpellations dont il est l'objet. Cela peut donner le sentiment qu'en cherchant à nourrir son sujet il se nourrit des rencontres pour créer un personnage (à l'écran ?) qui ne serait pas forcément lui... D'ailleurs toutes les étapes de son installation chez son père sont étrangement filmées comme l'intrusion d'un inconnu dans une maison vide... Comme s'il s'appropriait une histoire qui n'était pas la sienne. Cela contribue à faire grandir le trouble baignant le film. Ce qui me fait imaginer par exemple que dès la disparition de la jeune fille dont il est amoureux, son travail de création et d'écriture (à l'écran) commence alors, y intégrant des éléments factuels qui sont venus jusqu'à lui : la voiture de Ben, le feu, les vêtements brûlés par sa mère, le briquet oublié, l'anecdote sur les serres, le chat, la montre, l'appartement... Ce qui amène à penser que cette fin par exemple serait écrite par ses soins et pas réelle du tout. Juste avant la confrontation finale, on le voit d'ailleurs écrire fiévreusement dans l'appartement de la disparue. Une vengeance fantasmée peut-être dans laquelle la violence qui est en lui s'exprime soudain ! Cela rejoint là encore les innombrables pistes d'exploration qui rendent la lecture du film assez jouissive.

Côté faiblesse, je ne suis pas fan de l'enquête de Jongsu. Si l'on se contente d'une explication vraisemblable d'après la construction apparente de la narration, cette dernière n'explore finalement que l'exploitation des pauvres par les riches et faisant alors passer un message politique un peu étriqué pour un dénouement ultra basique, celui d'un thriller lambda mettant au prises un jeune idéaliste amoureux et un aristo psychopathe qui se sera tranquillement débarrassé du corps de la jeune héroïne sans le sou... Mouais.

Je préfère retenir le trouble, l'expérimentation permanente, le jeu fabuleux des acteurs (elle particulièrement) toutes ces zones d'ombre qui éclairent le film, autant de moyens donnés au spectateur pour le comprendre et l'aimer à sa façon. C'est pourquoi j'encourage chacun à le découvrir. Pas le chef d'oeuvre absolu dont on m'a rebattu les oreilles mais sacrément prenant et stimulant pour l'imagination si l'on veut bien se laisser porter....


mardi 25 juin 2019

Downsizing


Franchement, l'entrée en matière est délicieuse. Ce mélange entre une société aseptisée. molletonnée, toute froide et clinique d'un côté. Les préoccupations organiques, rasage de sourcil, arrachage de plombs, épilation complète, sécrétions corporelles, lavage d'estomac de l'autre. Ca pose le film et sa problématique. Que sont nos rêves et nos idéaux face à ce qu'on ne maîtrise pas. Un corps qui nous lâche, une dépression qui nous vainc, une envie de vomir, un cancer qui nous gagne. Alors que faire face à la nature et son mystère, que faire à part se sentir tout petit, petit, petit en continuant à faire comme avant ?

La première partie jusqu'à miniaturisation complète est d'ailleurs fort réussie, explorant non sans astuce, la traduction concrète d'une volonté politique, scientifique et économique sans faille (et pour cause il est aussi question de faire de l'argent) de participer aux efforts pour sauver la Terre face à la surpopulation et la dangereuse pollution de cette dernière. Des options qui se trouvent légitimées par la décision de réduire la taille de nos sociétés humaines.

Rapidement l'on s'aperçoit que la matérialisation ce nouveau monde s'inspire de l'adage qui veut qu'on ne doit pas confondre "vacances et immigration". Et oui, ce fameux monde idyllique se révèle aussi injuste et toc qu'il s'est longtemps présenté comme un eden pour lilliputiens. Cela commence par la marche arrière de la femme du héros qui le laisse continuer son aventure tout seul... Puis le "petit homme" réalise que sa vie même en version rikiki paradis est toujours pesante, lisse, morne, sans éclat. C'est alors qu'à mon sens le film dérape , fait une sortie de route et lâche son spectateur... Il devient prosaïque, métaphore trop littérale de toute expatriation d'un américain ou d'un européen dans les pays émergents. Tu déménages. T'as un sacré pouvoir d achat. Ta copine est restée au pays. Ton voisin fait de grosses fêtes entre expats et exploite les gens démunis, handicapés (on pense aux mutilés de guerre dans certains pays d'Afrique). C'est paradoxalement la limite de l'exercice. Cela crée une confusion des genres malvenue. Ca affadit et le propos et le film.

L'homme qui rétrécit ou Chérie j ai rétréci les gosses sont des réussites parce qu'ils transforment une minuscule araignée en monstre préhistorique ou un simple coin de pelouse en forêt amazonienne truffée de pièges tout droit sortis de King Kong ou d"Indiana Jones. En cela, ils remplissent parfaitement leur fonction de faire s'évader avec le quotidien sans nécessité de tenir un discours politique. Le discours se fond idéalement dans cette transformation du quotidien sans avoir besoin d'y ajouter un sous-titre ou une voix off. Le fait d'aborder Downsizing sous cet angle double (le fantastique et la question écologique du moment) est périlleux parce qu'il finit par se ranger du côté du discours un peu creux en oubliant le frisson, la fiction, l'imaginaire, en éludant l'incident qui va légitimement susciter l'intérêt du spectateur. Exemple : un rat, un ver ou des fourmis ont réussi a s'introduire dans la ville surprotégée. Chouette, qu'est-ce qu'il adviendra de cette communauté menacée ? Comment ce monde peut-il évoluer sans interagir avec le monde que nous connaissons ??? Comment un homme de taille normale n'aurait-t-il pas le projet diabolique ou l'envie meurtrière de venir piétiner tout ce beau monde un soir d'absence à lui-même ? Et qu'advient-il des humains de taille normale ? Le héros n'aurait-il pu avoir l'idée de s'évader pour retrouver sa femme ? La reconquérir malgré la différence de taille ? Bref du cinéma, de la poésie dont le film est dépourvu... Le cerveau humain ne peut pas l'accepter comme il ne peut accepter que sur ce lac ne surgira jamais la moindre sardine devenue gigantesque mettant ainsi en péril la frêle embarcation ? Cette volonté de rester coûte que coûte dans les clous du message à passer à travers d'interminables causeries finit par enfermer le spectacle dans un propos fumeux, théorique, qui personnellement a fini par me lasser.

En revanche, sympathique est la pirouette finale qui stigmatise le côté sectaire et intolérant des Vegans et autres écolo-mondialistes (naturellement blancs, sur-éduqués et européens) et nous rend sympathiques l'inconscient voisin expat du héros et les classes oubliées de ce monde en décrépitude (incarnées par la fiancée du personnage joué par Matt Damon). Eux continueront vaille que vaille à se tenir les coudes sans oublier de brûler la vie par les deux bouts.

lundi 24 juin 2019

Jusqu'à la garde


Je ne comprends pas le choix de Jusqu'à la garde comme meilleur film aux Cesars. Je partais avec un bon a priori. J'avais trouvé des qualités au court-métrage qui est à l'origine du film. Mêmes acteurs. L'action du film semble démarrer un tout petit peu après que la maman aie pris l'heureuse initiative de reprendre sa liberté pour son bien et celui de ses enfants.

Mais malgré une séquence d'introduction qui pose idéalement la tension et les problématiques (ambiance verbieuse froide et chirurgicale à la Asghar Farhadi dans La Séparation), malgré une séquence finale prenante (surtout l'attente de la mère et du fils vécue dans la pénombre à hauteur de lit) Jusqu'à la garde est squelettique sur le plan du cinéma au point de ressembler à ces commandes destinées à ouvrir les yeux, à sensibiliser le public aux violences conjugales. Rien à se mettre sous la dent côté voyage si vous voulez. On monte dans un train qui ne démarre jamais. On reste à quai. Le bon titre eut donc été Jusqu'à la gare !

Et pour cause. Les personnages sont creux et simplistes. Aussi épais que les maisons en façade de Daisy Town.  Difficile de s'emballer face à un personnage de maman si attachant (aucune aspérité, aucun défaut, même apparent. Rien sur sa jeunesse, son métier, ses projets...), des enfants si rapidement ébauchés, sympathiques au demeurant mais n'apportant rien à la progression de la narration. Tout est donné d'emblée. Il y a "l'Autre" et Super Maman. Rien ne changera plus. Une famille si aimante d'un côté, si équilibrée, si normalef et de l'autre un psychopathe il n'y a pas d'autre mot... Résumable à une attitude, un regard vide, une carrure de trappeur ou de tueur d'ours en Alaska et voilà, emballer c'est peser.

Le film déroule son programme répétitif en quelques séquences à peine... La juge. les transitions (je prends l'enfant je te le laisse, avec ce qu'il faut de menaces, d'explosions de colères, de dérapages du père), le repérage du nouvel appartement de la famille, l'anniversaire de la soeur, et le fait divers. Et c'est tout. Adieu complexité, au revoir ambiguïté, bonjour démonstration conclusive en à peine 1h30. Ça déroule, c'est plat et on ne verra jamais les lieux de travail de l'un ou de l'autre, les masques en société, les collègues, les amis, ceux qui à contre-coeur peut-être ont apporté leur soutien au père dérangé.

Tout ce qui permet au spectateur de réfléchir au film, tout ce qui permet au film de nous rendre plus intelligent... C'est dommage parce que le sujet aurait mérité dans un tel cadre de l'amplitude, de la complexité, de la profondeur, en un mot du cinéma. Ou alors, la solution eut peut-être été d'adopter la forme du film noir et de plonger dans quelque chose comme Les nerfs à vif par exemple. Parfois, la fiction en forçant le trait rend davantage service à ce genre de cause qu'une campagne de sensibilisation étirée sur 1h30.  

dimanche 23 juin 2019

Sans un bruit


J'ai pas de mot. C'est trop crétin. Au fil du recensement de toutes les circonstances qui occasionnent du bruit (le jouet à piles, l'objet qui tombe au sol, le clou dans le pied, le bébé qui pleure... ), une famille soudée a tranquillement décidé pour faire face à l'apocalypse de ne rien changer à ses habitudes : on reste chez soi, on partage son temps entre piège à poissons, lessives à la main, succulent repas autour d'une table impeccablement mise et balades champêtres jusqu'à la pharmacie de la ville toute proche... Nous voilà déjà plongé dans un univers auquel on ne croit pas une seconde. J'en suis même arrivé à essayer d'imaginer ce que pouvaient bien faire les méchants monstres pour tuer le temps quand les héros ne faisaient pas de bruit : jouer aux boules, se faire bronzer sur la côte, visiter Las Vegas ?

Bon ensuite arrive le vrai fond du problème. Ce fameux bruit à ne faire sous aucun prétexte. Passée l'invraisemblable séquence d'introduction avec l'enfant qu'on ne surveille pas, qu'on ne voit donc pas récupérer tranquillement piles et jouet (éléments potentiellement déclencheurs d'événements pas heureux dans le monde du film), puis qu'on laisse paisiblement marcher 200 mètres derrière tous les autres en forêt, on en vient à se demander s'il n'y a pas pire pour éviter de faire du bruit qu'une maison pas isolée, qu'une enfant sourde et pas consciente du bruit qu'elle occasionne par définition, qu'un petit frère susceptible de tousser après la moindre fausse route ou d'éternuer à n'importe quel moment, qu'un papa probablement sujet comme beaucoup de mâles adultes à la ronflette au coeur de la nuit... Et d'ailleurs, tous ces gens si précautionneux, ils vont jamais aux toilettes ? Font pas de rototo ? Bref...

Il est dès lors facile de comprendre pourquoi le film passe sous silence ce qui dans le passé a bien pu mettre à l'abri cette famille (plutôt que d'autres) de la horde de monstres régnant sans partage sur le monde... C'est que c'était déjà tellement une tannée de rendre l'univers crédible tel qu'il est sur l'écran... Plus pratique comme c'est le cas au bout de 5 mn de faire apparaître la une d'un journal révélant au monde que "c'est le bruit" qui les attire... Il y avait donc des gens assez cons pour faire imprimer des journaux (je laisse imaginer le bruit qu'une presse à papier peut produire) alors que le rédac-chef et l'imprimeur savaient le moindre bruit de nature à ouvrir l'appétit de ces pseudo araignées cannibales géantes au demeurant pas très réussies ! Risible.

Enfin quelle drôle d'idée que de vivre dans une maison ouverte aux quatre vents avec les risques évidents de croiser une créature égarée - elles y voient que dalle ! Pourquoi ne pas chercher à se barricader dans une cave ultra protégée ? C'est comme, et j'en termine, l'absence de précaution de l'héroïne qui accepte vaillamment de se lancer dans un nouveau projet bébé avec tout ce qui viendra... Perte des eaux, accouchement à la roots, hurlements et premier cri du nouveau né...  Ce serait comme se gaver de haricots blancs et d'ail cru tout en sachant pertinemment qu'à la première caisse c'est la fin du monde assurée. Du n'importe quoi je vous dis.

jeudi 20 juin 2019

L'île aux chiens. Wes Anderson



J'ai parfaitement compris qu'une grande source d'inspiration de Wes Anderrson pour créer L'ïle aux chiens se trouve concentrée dans Escape from New-York. Il a remplacé les prisonniers de Manhattan par des chiens, Snake Plissken par un aviateur (aux allures du Petit Prince) et la personnalité en vue (dont l'avion s'est justement écrasé dans le Carpenter) par le fameux chien, Spots, à aller récupérer. La personnalité en vue étant dans L'Ïle aux chiens le père du Petit Prince. Vous me suivez ? Wes Anderson n'a plus eu ensuite qu'à "wasabiser" le tout. Mais voilà, tout ce retraitement dans un film d'animation pour dire la méchanceté de l'homme doublée d'une vile capacité à "accuser son chien de la rage pour mieux se débarrasser de lui" ne suffit pas... Et surtout cela n'apporte rien de mieux ou de plus. 

The Plague Dogs est profond, il parle de nous, entités étranges galopant sur deux pattes et en proie à une errance sans fin sur un territoire incertain qu'on appelle la vie en se demandant ce qu'il y a tout au bout, juste après. Entités galopantes se souciant peu des chiens qui valent pourtant bien qu'on les encourage, qu'on vibre pour eux le temps d'un film. C'est pourquoi malgré ses intentions louables, L'île aux chiens souffre de la comparaison.

D'abord pour son esthétique, trop léchée (sans mauvais jeu de mots), et comme souvent trop fondée sur une symétrie qui enlève à l'univers ce je ne sais quoi de folie, de vie. Tout est tellement carré, tellement écrit, tellement réfléchi que plus rien ne respire. C'est dommage, il y a de belles idées (ce Petit Prince venu chercher son chien) mais le fil trop prosaïque du film (une arnaque et beaucoup de corruption ont conduit les hommes à vouloir entasser tous les chiens sur cette île) finit par lasser. Les personnages humains sont par ailleurs très peu attachants. Mais les chiens le sont-ils beaucoup plus ? Pas vraiment au vu de cette obsession du cadre millimétré, et d'une mécanique qui systématiquement chez Wes Anderson étouffe dans l'oeuf tout élan comme cet avion qui survolant l'île quelques instants finit par s'y écraser dans un nuage de fumée, privé qu'il est trop tôt de son souffle de vie.

Split. The Visit. M Night Shyamalan is back !









J'ai revu il n'y a pas très longtemps l'excellentissime The Visit qui marquait le retour au premier plan de mon cher M Night Shyamalan. Du cinéma d'épouvante de haut vol reprenant à son compte le canevas du Found Footage (comme le génial The Bay de Barry Levinson) pour partir d'une forme souple et familière, y créer le trouble, y semer la peur et le doute (est-on en présence de manifestations surnaturelles façon film de maison hantée ou de possession diabolique dans la mouvance de l'Exorciste de William Friedkin ?) pour nous amener brillamment vers un dénouement qu'honnêtement on ne voit pas venir, qui glace d'autant plus le sang que le film n'a pas manqué d'humour et de légèreté bienvenue jusque là et qui amène aussi une part plus consistante de pathos (le drame familial, la responsabilité engagée des parents absents) pour s'achever par un épilogue d'une force peu commune, presque mythologique (on arrive à quai dans le climat sacrificiel effroyable de la "cène" familiale de Massacre à la Tronçonneuse dans laquelle le patriarche essaye avec le peu de force qui lui reste d'estourbir à coupe de masse l'héroïne comme un cochon de lait...). Finalement plus profond et moins frivole que beaucoup ne l'ont souligné au moment de sa sortie. J'avais retenu deux critiques qui me semblaient avoir parfaitement saisi l'envergure de cet excellent The Visit :

"Dynamitant les conventions bêtasses du fond footage afin de donner à réfléchir sur le pouvoir des images, The Visit, conte merveilleux où l'on rit, où l'on a peur, où l'on est ému appartient totalement au réalisateur d'Incassable, en pleine renaissance artistique" (Romain Le Vern, TF1 News). "C'est autant par un travail sur la durée que sur l'espace que Shymalan parvient à bâtir une véritable armature fantastique, toujours sur la brèche entre prosaïsme de la matière narrative et possibilité d'un élan surnaturel" (Josué Morel. Critikat.com)

Je viens de voir Split qui m'a tout autant convaincu du retour au premier plan de  Shyamalan. On retrouve son style dès cette séquence introductive saisissante par la maîtrise de la mise en scène et par le talent pour faire surgir un moment d'une âpreté saisissante (le conducteur au visage inconnu prend les commandes de votre véhicule) à partir d'un moment de nos vies tout ce qu'il y a de plus banal : quelque part sur le chemin de la voiture pour rentrer à la maison.

C'est une fois en captivité dans ce lieu souterrain, mental, que le personnage ambigu dévoile progressivement certaines de ses facettes clés. On ne peut à ce stade que s'incliner devant l'immense talent de l'acteur principal pour faire exister tous ces personnages, devant la vérité qu'il donne à chacun. La métaphore filée de l'acteur qui ne se sent jamais aussi bien que dans la peau et sous les traits d'autres que lui.

Il fallait quelqu'un d'envergure pour lui donner la réplique et c'est le cas. Cette jeune actrice avec ces grands yeux de biche effrayée (on est dans les soubassements d'un zoo) toujours humides est l'autre révélation de Split. Chacune de ses oeillades nous transperce et fait mouche, créant même le trouble chez son oppresseur.

Et comme dans les grands films, il faut de la profondeur, un message qui nous touche au coeur. Le film atteint des sommets dès lors qu'il se veut métaphore de ce que nous sommes tous dans nos vies diurnes. Ne met-on pas tous un masque en société à un moment ou un autre pour se protéger ? Ne prépare-t-on pas à fond un entretien pour donner à voir celui qui aura les faveurs du recruteur pour mieux atteindre son objectif ? "Moi je suis engagé, j'ai l'esprit d'équipe". Avoir l'attitude qui va bien, les mains sagement croisées devant soi, un choix pertinent de mots, une respiration lente, des gestes amples et travaillés, l'abord souriant, les expressions calmes du visage, l'écoute attentive ou au contraire le repli sur un monde imaginaire pour une vie passée à parler seul à voix haute, dans sa chambre d'enfant...

Le film fait à cet effet des choix géographiques marquants et jamais anodins : on est sur un lieu de travail. Un Zoo. La comédie humaine sous les traits d'animaux (Les animaux de ferme d'Orwell). Le héros prend régulièrement le métro (lieu associé qu'on le veuille ou non à des trajets menant à son travail. Le sempiternel Métro - Boulot - Dodo). Quant aux discussions du personnage principal avec sa psy, elles ressemblent en tout point à des entretiens d'embauche.

Le film est parfaitement rythmé témoignant d'une maîtrise assez incroyable de sa narration dans des lieux pourtant clos, avec le risque de la répétition ou d'une théâtralité vaine. On avance d'abord vers la découverte de la dangerosité de cet homme et des questions viennent rapidement sur ce dont il est capable ou pas. Où sont passées les amies de l'héroïne ? Le père de l'une d'elles ? Qu'en a-t-il fait ? On a peur pour "ses poupées"', on a peur de découvrir son caractère imprévisible laisser place au pire. Puis il y a ce répit pendant lequel on se dit qu'il est inoffensif ou en capacité de garder le contrôle et rester dans une verbalisation sans passage à l'acte jusqu'à ce qu'il soit finalement question de la pire de ses personnalités encore en sommeil. La bête et sa description glaçante. Et l'on sait alors qu'elle est en gestation et qu'elle sera bientôt là, en muscles et en os. Cela semble inéluctable. 

Je repense alors à ce qui faisait le sel des premiers films de Shyamalan. Un homme se pense vivant alors qu'il est mort (Le Sixième sens). Un autre se pense normal alors qu'il est insensible à la douleur (Incassable). Des adultes se rendent coupables de tromper et d'embrigader contre leur gré une jeunesse persuadée qu'un monstre rôde dans la forêt (Le Village). Une bête ? Même déviance chez les garants de l'éducation "grand-parentale" dans The Visit. Dans SIgns, un traumatisme familial rend le père de famille étouffant, abusif dans la sur-protection de ses enfants. Voilà ce qui ressort aujourd'hui du cinéma de Shyamalan, débarrassé des apparats du genre. C'est une mythologue originelle basée sur l'abus (emprise physique et morale) dont l'enfance aurait été l'objet et qui peut laisser le sujet concerné "pour mort, insensible/incassable et coupé du monde" de très longues années, parfois même jusqu'à l'âge adulte...

C'est ce que recèle cette conclusion fabuleuse entre le bourreau et sa victime, la bête et la belle, sur les "gens brisés" (dont Shyamalan ferait partie) qui peuvent témoigner plus tard comme artistes par exemple. Le climax rappelant que les blessures de l'enfance peuvent devenir une chance/un atout. Le film s'inscrit en cela parfaitement dans l'oeuvre que poursuit Shyamalan (malgré quelques sortie de route) et qui expliquerait pourquoi son épilogue ramène vers l'univers de Split celui d'Incassable.




dimanche 16 juin 2019

Le 15h17 pour Paris


Voilà un film qui serait de droite, une oeuvre de propagande réactionnaire pro-américaine, dans ses tréfonds patriotiques... Le film n'est as exempt de vilains défauts certes, mais de là à lui faire ce genre de reproches... Je ne comprends pas et m'en explique.

Je reviens d''abord sur les faiblesses. Venise, Munich, Amsterdam... C'est platitude et compagnie, on est  d'accord. En même temps, si je me mets deux secondes à la place du réalisateur, l'idée c'est bien de nous faire sentir très à l'aise et en empathie avec les personnages, facile de s'identifier complètement à leurs trajectoires ultra balisées : "Hier c'était notre meilleure soirée, c'était chaaaaud... Waow qu'elles sont jolies ces italiennes ! Est-ce qu'on va à Paris ? Paraît que les parisiens sont pas sympas... J'ai mal à la tête ce matin, on ne prendra pas de bière, merci... On va faire des photos devant la Tour Eiffel". Bref le tout venant pour des millions de touristes chaque année. Vu comme cela, la naissance d'une situation complètement exceptionnelle, hors normes, est d'autant mieux amenée que ce qui la précède est d'une banalité confondante. Plus le terrain est connu juste avant, plus on prend dans la gueule la dimension un peu hystérique de la situation. L'adaptation et la décision qu'on y offre en retour devient dès lors une question de réflexe, d'intuition, de réaction animale où la réflexion n'a pas voix au chapitre. C'est le but du film me semble-t-il. Que fait-on dans une situation d'urgence émotionnelle où il en va de votre vie et celles de ceux qui vous entourent ? Parfois on n'y peut rien, l'avion va s'écraser et je n'ai plus qu'à fermer les yeux et attendre... Mais là c'est diffèrent.  Le destin a mis un certain Spencer dans ce train pour Paris. Et le film pour moi ne parle ni de l'attentat ni des trois héros (décorés in fine etc.) mais de Spencer et ce qui dans son parcours, sa jeunesse, son éducation, ses handicaps, ses échecs l'auront rendus invulnérable pendant ces quelques minutes. D'ailleurs, son camarade qui lui est vraiment allé sur le terrain et fait "la guerre" n'a pas du tout les bons réflexes et reste planqué pendant l'affrontement... C'est pourquoi le film raconte d'abord les mécanismes secrets qui mènent un homme habité à prendre une folle décision dans l'urgence avec des conséquences heureuses.

Je crois que là où le film est bel et bien un film d'Eastwood c'est dans cette volonté de mettre en valeur des petits évènements en apparence négatifs qui s'entremêlent silencieusement pour faire ensemble pleinement sens le jour J dans nos vies. Je veux dire que c'est d'abord un acte de désobéissance qui sauve Spencer et tous les gens présents dans ce train. Désobéissance à un ordre et une foi qu'on a voulu lui imposer dans cette école à caractère religieux durant sa jeunesse. Ce refus de rentrer dans le rang qui se révèle être une chance dans ce train de 15h17 quand sa prof à l'école  le vivait comme un tare (évocation de traitements médicamenteux à lui administrer pour le ramener à un comportement plus acceptable, un juste milieu, une forme de reniement de ce qu'on est fondamentalement), désobéissance à l'inéluctable qui veut qu'on se planque derrière un fauteuil en attendant qu'on nous tire comme des lapins effrayés. Sortir du cadre c'est qui le sauve après l'avoir handicapé durant des années (ses retards pendant ses classes militaires et les pompes en punition façon Full Metal Jacket ou son côté tête de mule pendant une alerte, lorsque n'écoutant que son intuition, stylo bille à la main, il se prépare à une hypothétique attaque). Pendant le climax, je repense évidemment à sa vocation contrariée pour un déficit d'évaluation de la profondeur de champ.  Comme celle qui le sépare du fusil d'assaut lorsqu'il se lance à corps perdu sur l'assaillant ? Sûrement, bien sûr que ce qui fut rédhibitoire à l'examen lui est salvateur au moment d'apprécier le temps qui le sépare de l'impact avec le tueur lors de son rush désespéré. Tout comme nous revient en mémoire une jeunesse passée à manipuler et jouer avec des armes factice. Est-ce que cela joue sur l'absence de peur ressentie ou l'adrénaline des jeux d'antan (avec ces mêmes amis dans ce train !!!) ? Bien sûr. L'arme s'enraye d'ailleurs en produisant le bruit creux d'un jouet de cette époque, comme un clin d'oeil à leur histoire commune. Il aura par ailleurs appris au fil de son parcours les rudiments de l'étranglement arrière, comme d'autre le Flamenco. Tous ces petits éléments s'ajoutant à son rêve de toujours de "sauver des vies", d'être un héros, d'être dans l'action, de refuser la fatalité ou l'ordre établi trouvent un sens aigu dans son comportement presque sacrificiel. Même blessé, il va courir au secours d'un homme touché à la carotide et le sauver.

En filigrane, c'est nous tous qui sommes ramenés à nos échecs, nos handicaps, qui dans le langage cinématographie de Clint Eastwood sont autant de miracles et de chances dont les effets se feront tôt ou tard sentir. Par nos actes, à travers notre descendance, subrepticement un jour sans crier gare, tout ce qui nous semble aujourd'hui nous enfoncer fera de nous une personne providentielle pour notre entourage. Pour les autres. Dans cet abord, dans ce moment de bascule où Spencer "se lance" vers son destin héroïque, n'y a-il pas un peu de ces peurs qui nous paralysent, nous ralentissent, et qu'un jour on laisse de côté pour entrer dans la lumière et se réaliser ? En cela Le 15h17 pour Paris a beaucoup à voir avec le très sous-estimé Hereafter (Au-delà) dans son approche et son message. Tout cela pour dire que l'un comme l'autre certes ne sont pas des chefs d'oeuvre et souffrent de défauts certains, mais ils sont certainement moins dénués d'intérêt pour le spectateur et dans la filmographie de Clint Eastwood qu'on a pu le dire ou l'écrire.

Je finis avec l'absence de père ou de figure paternelle chez Spencer qui semble être un moteur supplémentaire (on repense au jeune homme et sa fantastique mère célibataire de The Changeling) dans tout ce qui le fait avancer. Encore un manque ou une absence qui devient une force chez lui. Lorsque les 3 copains de Mystic River avaient échoué à se protéger les uns les autres, n'ayant pas eu les armes lorsqu'on était venu marquer leur jeunesse et leur innocence au fer rouge, la catharsis est venue grâce au 17h15 pour Paris . On a toujours une deuxième chance.
                     

vendredi 14 juin 2019

Paranoïa. Soderbergh


Soderbergh nous a bien eu. Il avait promis qu'on ne l'y reprendrait plus et le revoilà avec un petit thriller bien troussé, tourné à peu de frais (un i Phone, imaginez !) et dont l'inventivité joyeuse et permanente vient avantageusement pimenter une narration déjà fort audacieuse. Le résultat est tout sauf mineur.

Le cadre posé d'entrée puis en guise d'épilogue dit déjà beaucoup de la thèse défendue. Soderbergh y dépeint à dessein l'impitoyable monde du travail de notre époque récente (post 30 glorieuses) où pour réussir, pour tenir, il faut accepter de s'entasser dans des open spaces comme sur des plages trop petites en été et souvent, vive la promiscuité, de se corrompre. Voire d'y laisser son âme.  L'excellente série jamais achevée Profit ne disait pas autre chose : pour faire son trou dans une entreprise, faut avoir une case en moins ou être un authentique psychopathe... En tout cas pas un doux rêveur. Témoin cette séquence introductive aux discours ambigus : l'héroïne et son patron, le tout-puissant, lui proposant une première mission à ses côtés dans un bel hôtel... On y convoque intelligemment les figures récentes de "MeToo",  des femmes sans défense trouvent le soutien de l'opinion face à un genre masculin archi dominant dans une société supposément patriarcale. Cela crée le climat propice à baigner le film dans une paranoïa trouble, sorte de poison lent qui agit dès les premiers instants. Et pourtant, l'on s'aperçoit rapidement qu'elle a des ressources l'héroïne, elle sait dire non, elle sait décider ce qui est bon pour elle-même le soir venu au comptoir d'un café où le désir s'exprime par des regards puis des impératifs sans équivoque.

Passée l'exposition d'un personnage déjà complexe, le film élude les raisons exactes pour lesquelles cette jeune héroïne parfois imprévisible, voire carrément violente, va se retrouver internée en moins de deux contre sa volonté... On la croit un temps folle, puis rapidement, l'explication est là. Non non elle est tout ce qu'il y a de plus normal, sauf que pour s'en sortir elle va devoir s'adapter à son persécuteur, le contre-manipuler, faire assassiner une autre patiente et le zigouiller tranquillou (il semble qu'elle ait fait ça toute da vie) .. Pour nous faire retomber sur nos pattes. En fait elle était vraiment aussi dingue que lui dès le départ ;)

Puis c'est la fin, brillante, c'est bien senti sur l'époque d'aujourd'hui, sur le capitalisme et ses effets secondaires sur les patients que nous sommes tous. D'où cet épilogue qui repart d'où l'on est entré dans le film. Elle est devenue grande patronne d'une de ces sociétés du CAC 40 et on sait bien ce qui l'a amené jusque là... Cette folie si bien contenue en société.