jeudi 30 mai 2019

Halloween. David Gordon Green


Tu sais quoi Ô mon unique lecteur si toutefois tu existes ? Je suis en cette fin de mois de mai 2019 tout à ma joie de reprendre la plume. Je le suis d'autant plus que le déclic s'est produit après avoir visionné le Halloween de David Gordon Green pour une suite 40 ans après d'un film emblématique de mon amour pour le cinéma de genre et pour le cinéma tout court. Alors voilà, pour John Carpenter, pour Halloween, mais aussi mystérieusement pour le réalisateur du fameux Joe que j'ai tellement aimé, je me suis dit qu'il était temps.

Juste après le générique de fin, mon impression est d'abord mitigée, avec une forme d'agacement, le sentiment d'un gâchis. A de nombreuses reprises, je me répète "non, il va pas faire ça, il a pas le droit, il peut pas salir ainsi son glorieux aîné"... Eh Bé c'est que Michael arrive pile poil sans boussole chez la copine de la petite fille de Laurie Strode sans que jamais le réalisateur ne devine la réaction outrée du spectateur en quête d'un peu de cohérence ou de sérieux... Puis c'est au tour de l'héritier de Loomis d'exécuter un gentil policier pour mieux brouiller les pistes et surtout faire surgir une part consistante de ridicule dans le film. Et je ne m'étendrai pas sur la facilité avec laquelle Michael Myers pénètre dans le bunker surprotégé de Laurie Strode par la faute et l'attitude plus que légère d'un homme (son beau-fils en l'ocurrence)... Je me suis même demandé si toutes ces invraisemblances n'étaient pas des hommages déguisés aux suites décadentes de l'Halloween canal historique. Autant de suites qui ne ménageaient pas leurs efforts pour réclamer à cor et à cri une appartenance au genre aujourd'hui si prisé de la série Z

Oui mais voilà. David Gordon Green m'a tellement épaté avec Joe que j'ai cherché plutôt du côté de tout ce qui m'avait ravi. Et c'est sur ce chemin que ce sont venues les déductions les plus limpides sur ce que valait vraiment ce Halloween et je le dis tout net. A mes yeux, il vaut le détour.

Je repense d'abord à ce qui faisait le sel de l'original reprenant ici à dessein ce que j'en rapportai tantôt  : "La modernité vient de la dématérialisation progressive d'un meurtrier qui finit par s'évaporer, contaminer l'air, devenir omniprésent, disparaître ici pour mieux réapparaître là, un peu comme les cauchemars qui ne vous quittent jamais. Le tout sur le rythme lancinant d'une musique minimaliste, venin qui s'écoule goutte à goutte imprégnant chaque petite parcelle d'une ville au demeurant charmante lors des premiers plans du film. C'est ainsi que Michael Myers passe imperceptiblement de la charmante tête blonde du premier plan à une identité flottante, abstraite derrière un masque effrayant. Une gageure de se voir révéler que le slasher qui tenait lieu de programme était avant tout le plus grand des cauchemars psychanalytiques. L'efficacité s'éprouve en le revoyant parce que 33 ans plus tard, j'ai sursauté comme au premier jour, puis, dans la soirée qui a suivi, regardé sous mon lit et par la fenêtre craignant de voir la silhouette effrayante de Michael Myers se dessiner à l'orée du petit bois derrière la maison."

A vrai dire, j'ai retrouvé les deux. Et la modernité et l'efficacité. Les invraisemblances supposées n'étaient avec le recul à mon humble avis qu'un hommage conscient à l'abstraction vers laquelle doit tendre Michael Myers une fois ses cheveux grisonnants et son enveloppe charnelle évanouis derrière le masque et le personnage. C'est ainsi qu'il redevient ce cauchemar universel, insaisissable, interchangeable, frappé même a certains moments du don d'ubiquité, tout en restant le traumatisme personnifié qui hante à nouveau toute une famille. Pas un hasard dès lors si Laurie Strode nous apparaît traumatisée comme au premier jour et de façon plus discrète toute sa descendance avec... Chacun héritant des maux de ses devanciers.

Et ce n'est pas tout. Halloween est aussi la plus belle déclaration qui soit à l'oeuvre de John Carpenter. Cette ouverture dans l'asile m'a évidemment fait penser à l'Antre de la folie. Le chien aboyant, le médecin disciple de Loomis et son humanité vacillante ou le bûcher final convoquent des figures marquantes de The Thing. La scène du garage ou celle de la fille de Laurie coincée dans une voiture rappellent immanquablement Christine. Les coupures de courant affectant la vision d'un jeune homme dont Michael Myers se rapproche par petites touches à la façon d'une partie de 1 2 3 soleil évoquent les ébouriffants effets brouillés a l'horizon de The Fog. Toute la séquence de l'accident de bus déversant dans la lumière des phares ses petits fantômes, c'est un peu Le Prince des ténèbres, et un peu Assault on Precinct 13 tout comme ce dernier est évidemment convoqué dans la découverte de cette demeure surprotégée de Laurie (on pense au commissariat et à l'église du Prince des ténèbres) où se barricadent nos héros d'un soir.

En cela, le Halloween de David Gordon Green devient rapidement un territoire mental jouissif pour les amoureux de l'oeuvre protéïforme de John Carpenter. D'ailleurs Laurie Strode n'est-elle pas cette anti grand-mère, rock and roll, fumant son clope et jurant dans les beaux restaurants qui me rappelle l'inénarrable Snake Plissken (Escape from New-York) ?

Chacun pourra d'ailleurs trouver dans ce film une réflexion assez fine sur ces profonds traumatismes dont les conséquences invisibles restent bien palpables pour les générations qui suivent (deux ici en l'occurrence)... Finalement le film ausculte "une chance" que n'auront JAMAIS eues les innombrables jeunes baby-sitters de film d'horreur qui font si souvent les frais de la folie meurtrière d'un tueur en série... Laurie Strode est une survivante doublée d'une écorchée vive. Le film et sa descendance sont naturellement là pour le rappeler.

Je retiendrai pour finir cette dernière image d'un Michael Myers prisonnier de la cave de Laurie Strode qui est entretemps devenue une prédatrice incontrôlable, plus dangereuse même que le tueur soudain lent, prévisible, provoquant chez moi une sensation inconfortable qui se mue rapidement en réflexion salutaire sur la mélancolie... d'un film, d'une époque ! La cave devenant ce piège maternel, comme un ventre dans lequel les femmes toutes puissantes décident ensemble et quand elles le veulent de renvoyer un cauchemar de jeunesse (le mirage d'un patriarcat dévastateur ?) à ses chères études... Les hommes trop orgueilleux, trop naifs, trop impulsifs, périssent immanquablement comme ce gendre transparent de Laurie, ce policier de devoir, ce jeune homme et son fusil trop lourd, ou ce vieux fou aux tempes grisonnantes sous son masque... Tous en paieront le prix. Serait-ce l'époque (la mode "Me too" ?) qui voudrait ça ?

Halloween version David Gordon Green est donc beaucoup plus passionnant, d'actualité et touchant qu'il n'y paraît... C'est pourquoi je le conseille. Arrivederci.