samedi 7 décembre 2019

Once upon a time in Hollywood. Quentin Tarantino


Je l'ai vu dans l'avion qui m'amenait à Douala. Cela m'a rappelé de grandes heures passées quelque part au-dessus du désert quel que soit le sens, quelles que soient les perturbations atmosphériques, résolument coincé dans ma petite bulle de septième art aussi légère que la façon dont on rentre dans ce Once upon a time in Hollywood. Entre ce démarrage "smooth" et un final réjouissant, je retiens plusieurs enseignements :

D'abord et surtout le premier : Quentin Tarantino n'a pas été aussi en verve depuis belle lurette... C'est un fait. Il continue de creuser son sillon, celui de ces dernières années, d'un cinéma qui par sa magie permet de "ré-écrire" l'histoire, de la ré-enchanter à coup de brillantes envolées visuelles et de grands moments de cinéma alternant mélancolie douce, humour référencé (le western spaghetti en vedette)  et déflagrations brutales comme lors de ce dénouement horrifique, défouloir pas désagréable. J'ai notamment aimé toute la séquence "lynchienne" de Cliff Booth (le stuntman) déposant la jeune femme dans un décor anachronique rappelant le Mondwest de Michael Crichton. Cliff est têtu lorsqu'il décide coûte que coûte d'aller saluer son vieil ami (dont on imagine vite qu'il est désormais réduit à l'état de cadavre au fond d'un lit façon Mulholland Drive). L'atmosphère lugubre de cette séquence pourtant lumineuse et solaire est vraiment réussie, prenante. A vrai dire, j'ai failli penser que le sort de Booth y serait scellé comme celui d'un des héros morts prématurément dans Police Fédérale LA (William Friedkin)... C'est d'ailleurs la seule fois que j'étais flippé pour l'un des personnages principaux et puis non, on finit sur une conversation qui fleure bon la tristesse à l'évocation d'un passé qui est définitivement révolu, symboliquement l'Alzheimer qui a pris fait et cause pour le cerveau ramolli du vieux copain finissant...

Et c'est en même temps la limite du film. Il s'accompagne d'une certaine mélancolie c'est sûr mais pas autant je trouve que dans le brillant Jackie Brown par exemple où la convocation d'un cinéma d'antan se doublait de la réhabilitation d'acteurs qui en avaient fait les grandes heures. C'est pas vraiment le cas ici. Et puis il y a la façon dont Tarantino désamorce par ailleurs les enjeux dramatiques (les personnages incarnés par Leonardo Di Caprio et Brad Pitt ne sont jamais réellement inquiétés ou en danger, ni "chez les Manson", ni à la toute fin lors de l'affrontement) qui me pose problème. Cela tue un peu de ce que le film aspirait probablement à devenir : une sorte de déclaration d'amour à un cinéma qui ne reviendra pas, à cette époque où un genre (le western) se régénérait au contact de la vision créatrice d'un Sergio Leone par exemple, un genre (le film Noir) qui faisait de même grâce au sang neuf apporté par un génie nommé Polanski... Alors de ce point de vue, il manque une dimension plus essentielle, plus existentielle, qui échappe au film en raison de son caractère trop léger, de son côté "farce" aussi... Cela vient encore une fois de cette façon qu'on a de ne pas avoir peur une seule seconde pour les 2 (anti-) héros.

D'ailleurs, le duo n'est pas mauvais, mais il est à mon sens déséquilibré. On a d'un côté un acteur au sommet de son art (Leonardo Di Caprio), absolument génial de contradictions, de souffrance contenue, de manque de confiance, de doute qui finissent par rejaillir en prestation fabuleuse (comme dans cette séquence avec la jeune fille qu'il essaye de monnayer pour obtenir quelque chose...)... Et de l'autre il y a Brad Pitt sur lequel j'ai plus de réserves. Malgré un charisme évident, il ne dégage pas du tout la puissance qu'avait à l'écran le mutique Charles Bronson dans Once upon a time in the west ou le non moins taiseux blondin (Clint Eastwood) dans la fameuse trilogie Léonienne. Je trouve qu'on n'en est trop loin... Quelque chose de curieusement lisse s'en dégage (comme son physique). Or vues les références affichées, j'aurais préféré un Mads Mikkelsen par exemple (époque Valhalla Rising ou Pusher II). Il faut pouvoir donner corps à ce personnage à la fois "cool" et capable de tout... Pas facile à doser.

Voilà, c'est pour cela que malgré la bonne impression générale, le sentiment que Tarantino retrouve de l'allant, du jus, je regrette qu'il ne sache résister à proposer quelques moments inutiles (le passage avec Bruce Lee sans grand intérêt, pas vraiment drôle non plus)... Quant à ce climax attendu, il est certes réussi (les héros sous acide qui n'ont peur de rien et font le ménage en 2 temps 3 mouvements) mais pèse finalement assez peu par rapport à la durée excessive d'un film un peu trop bavard. Je crois que Tarantino aurait gagné à lui consacrer plus de temps, 45 minutes peut-être, pour mieux déconstruire le film en le faisant passer de la fresque ample et digeste au huis-clos horrifique et étouffant...

Il aurait même pu aller plus loin : Empêcher la mort de Sharon Tate et puis pendant qu'on y était celle de Bruce Lee qui ne se serait pas blessé au dos pendant un exercice de muscu son fameux "good morning", à l'origine de sa prise de cortisone puis de sa mort, James Coburn et Steve Mc Queen ne portant finalement pas son cercueil 4 ans plus tard... Et pourquoi ne pas empêcher les morts injustes d'Otis Redding en 67 ou Rocky Marciano en 69 (leurs avions respectifs ne s'écrasant pas grâce à la prouesse d'un pilote providentiel ce jour-là) ou celles, plus suspectes, de Brian Jones en 1969 ou d'Albert Ayler en 1970... Enfin celle de n'importe quel habitant des hauts de Hollywood (il suffirait de consulter les archives nécrologiques de l'époque pour redonner vie à l'une de ces victimes malheureuses)... Il aurait ainsi rendu palpable dans un générique de fin ce que le cinéma peut littéralement pour le réel empêchant la fatalité de se faire jour et nous offrant une galerie de portraits  ridés, vieillis de toutes ces femmes, de tous ces hommes encore bien vivants aujourd'hui (en n'oubliant pas d'inclure naturellement River Phoenix...).

C'est pourquoi mon sentiment c'est que le Once upon a time... du titre affichait des ambitions trop grandes pour l'univers parfois "potache" de Tarantino. Je reste persuadé qu'il y a plus de résonances et de résurgences de ce cinéma d'avant-hier, des Don Siegel et des Sergio Leone,  dans ce qu'un Clint Eastwood continue généreusement, humblement, de nous donner film après film... Le seul véritable héritier de ces grands moments pour moi, c'est bien lui. Et personne d'autre. Profitons-en !