lundi 31 juillet 2023

Limbo

La dernière image ? Essentiellement ces décors vraiments dingues (qui est le chef déco ? Un génie). Ces lieux habités, vivants, agités par le vent, les éléments, donnent à se replonger ave délice dans des univers à la Tsukamoto, à la Philip K Dick (Blade Runner est palpable dans les plans vus du ciel sur la ville). On pense aussi à Brazil ou Seven... Des images frappent et restent, notamment le déluge de la fin sur une ville-dépotoir à ciel ouvert au plus fort de la tempête.

Pour le reste, la narration est bien trop négligée. Récit incongru, mal fagoté dans ses rebondissements improbables, dans la façon de retrouver le coupable... Faiblard, téléphoné. Le coupable étant par ailleurs désigné comme l'étranger, le laissé pour compte, le marginal. Cliché quand tu nous tiens. Un "méchant" qui d'ailleurs est quelconque, au visage tellement lisse, qu'il n'inspire aucune peur... Sorte de Jean Reno du moyen orient sans la moindre expression. Les deux flics sont aussi un peu ballots, expédiés, malgré la psychologie légèrement plus travaillée sur le senior (sa femme sur un lit d'hôpital par la faute de la future femme martyre)... De l'à peu près à tous les étages. C'est donc un bien beau gâchis qui frise même le ridicule à chaque poursuite ou combat lorsqu'il s'éternise en longueur avec souvent des moments clés (un pistolet perdu que le tueur retrouve comme qui rigole) invraisemblables et des réactions (la toute fin et la recherche par le flic d'expérience de la jeune fille sans même crier une fois son prénom ???!!!) en dépit de tout bon sens ! Tout est tiré à gros traits. Poussé à son paroxysme, saturé. C'est rageant parce que la peinture noir et blanc de ce Hong Kong fantasmé vaut le détour.

lundi 24 juillet 2023

The whale


La dernière image ? Rien de spécial. Juste cette ambiance caverneuse qui donne le sentiment qu'on a passé du temps dans l appartement irrespirable de l'une des victimes expiatoires de Seven, celle qui finit la tête dans son plat de fayots. Vous vous rappelez ?

Darren Aronosfky, j'en attendais beaucoup ! Pi a quelques chose de singulier même s'il est truffé de défauts mais il est l'hommage sincère de Manhattan à Eraserhead et Brazil. Des images restent et le film témoigne d'un vrai talent derrière la caméra. Requiem for a dream tourné en partie à Brighton Beach est une réussite. Sa plus grande à ce jour. Même si le film est là encore un chemin de croix qu'on n'emprunte pas facilement deux fois.

Puis c'est le début de la dégringolade. Comme s'il avait fait le tour en deux films... The Whale ne déroge pas à la régle. Huis-clos minimaliste, crasseux, qui se centre sur un acteur parti pêcher l'oscar. Miroir fidèle de la trajectoire d'un Wrestler. Déjà taillé pour glorifier l'acteur derrière le personnage.. Bref un film où tout est trop lugubre, trop glauque, trop pouilleux, trop crado. trop Glurps... Trop c'est trop. Et il y manque l'essentiel. Ce qu'on veut raconter autour. Point de départ ? Point de chute ? On filme les derniers jours de la Baleine, la réconciliation avec sa fille et puis hop... Au paradis ! Maigre programme.

dimanche 23 juillet 2023

The Fabelmans


La dernière image ? Ce délectable, cet interminable dérushage (des images d'un week-end comme les autres) qui respire la passion totale n'ayant pas d'autre finalité que de radiographier la vérité vraie des sentiments, des rêves de chacun... Un regard d'amour mais pour dire ces choses, l'artiste écrit, filme, prend des pincettes, des détours, utilise des biais divins, des échappatoires qui sont des raccourcis. D'un coeur de fiston vers un coeur de maman. Des expédients qui sont finalement des révélateurs. Un éclairage cru sur la manipulation du réel par Sammy/Steven qui finit par raconter ses vies rêvées. Façon de créer le lien le plus intime qui soit entre une mère et son fils (via le secret coupable qu'ils partageront) mais aussi entre le réalisateur et son spectateur. Belle mise en abyme. 

Je reverrai The Fabelmans dans de meilleures conditions (vu dans un vol pour Montreal) mais j'ai quelques réserves sur la deuxième partie après le déménagement vers la Côte Ouest. Bien sûr elle est l'occasion de créer le décalage utile qui rend au cinéma toute sa magie, ses lettres de noblesse. Un repère inamovible pour Sammy/Steven, le remède absolu pour vaincre le jet lag et les vents contraires. Moyen ultime pour lui de communiquer avec le monde extérieur. On le comprend vite, cette relation ambivalente avec deux têtes de lards, deux grands dadais agressifs lui permet aussi de recréer en démiurge lors d'un mémorable film de fin d'année les avatars de son père et de son beau-père. Tout part toujours d'une blessure narcissique jamais refermée. Une vie et une trentaine de films n'y suffiront pas. Il peut ainsi déifier le premier (père de carte postale) pour réaliser le rêve secret de ramener le désir dans le regard de l'amoureuse d'antan (symboliquement sa propre mère). Rabibocher ses parents comme on recolle l'un à l'autre deux bouts de pellicule. Il amène par ailleurs habilement cette figure de père à se révolter, à frapper le concurrent (l'autre andouille), symboliquement pour sauver son honneur, défendre sa famille et à travers elle les rêves de Sammy/Steven les plus secrètement enfouis. Mais cette partie "lycée" encore une fois reste à mon goût un ton en dessous du premier segment qui lui emporte tout sur son passage. 

Car enfin que cette entrée en matière secoue l'âme. Par-delà les appartenances ethniques, religieuses, géographiques, sociales, le 7ème art entre dans vos nuits comme ce train de Sous le plus grand chapiteau du monde. Spielberg révèle que son amour pour le cinéma est né avec une peur primale qu'il lui a fallu exorciser par la suite. Pour moi ce fut Excalibur et sa séquence cauchemardesque sous la branche d'un arbre mort. J'avais 10 ans.

L'émotion "de ça" comme on dit au Cameroun c'est déjà un cadeau sensationnel parce qu'intime, parce que personnel à un point qu'on n'imagine pas... Donner un tel morceau de soi, c'est qu'on est prêt à quitter ce monde sans peur. Ni reproche. 

On est apaisé, on a pardonné à ses parents. A sa maman évidemment ! Un personnage de femme flamboyante, artiste, inaliénable, qui rappelle tellement la Gena Rowlands d'une femme sous influence. Elle illumine deux moments sublimes : le défi lancé à la tornade, quitte à mettre en danger la vie de ses enfants. Et une danse lascive dans les phares de la voiture familiale. Son oncle viendra d'ailleurs révéler plus tard lors d'une séquence saisissante de deuil au jeune héros que sa mère a gâché ce don qui peut éclairer le monde mais qui peut aussi tout brûler autour...  La malédiction des artistes, ajoute t-il. Et toute cette progression narrative vers la séquence du camping est un sommet d'intensité dramatique. Une maman offre à son fils les moyens de réaliser son rêve en même temps que l'arme fatale pour la "démasquer". Le cinéma, arme à double tranchant, permet à son fils de découvrir le pot-aux-roses. Séquence géniale où le jeune cinéaste en herbe découvre qu'avec les mêmes rushes, il peut raconter au choix une comédie familiale ou un thriller paranoïaque façon Blow up. La vérité est toujours dans l'oeil du créateur. Il réalise même qu'il peut influencer le réel.

Génie de Spielberg qui nous explique comment le requin invisible des Dents de la mer c'était évidemment la cristallisation de ces faux semblants, l'adultère honteux, tout ce qui se joue sous la surface et qu'on ne voit que lorsqu'on veut enfin ouvrir les yeux... Comment AI convoque ce moment du secret partagé avec sa maman qui les unit de façon singulière. Le désir de revivre encore et encore ce lien si fort est exalté par la scène finale du robot qui retrouve sa maman le temps d'une journée. De même qu'ET reprend cette idée d'un endroit de la chambre d'un enfant où se cache un secret qu'il va partager avec sa mère. Comment Minority Report retourne sur les terres du camping pour en décoder les images (ce fameux dérushage) et empêcher qui sait l'inacceptable (la séparation de ses parents) de se produire... Dans Duel, le camion lancé comme un bolide face à une petite voiture fluette ? Evidemment c'est ici la scène cathartique du crash du film de Cecil B De Mille pour réécrire l'histoire et inverser les rôles. Mais ne peut-on pas y voir également la menace physique, brutale, incarnée par les "Goliaths" / caïds du lycée que seule la ruse de "David" pourra déjouer (les subterfuges du jeune Sammy/Steven arrivant en Californie et utilisant ses talents pour éviter les collisions fatales et mettre tout le monde dans sa poche) ? La guerre des mondes replonge ici et là dans ces moments d'exploration dangereuse d'une ville ravagée pour aller au plus près de la tornade, comprendre son mystère... Quant à Indiana Jones c'est l'occasion de manier l'humour, la distance, pour défier la fatalité (scène matricielle de l'accident train /voiture). L'univers fantastique et mystèrieux du cirque, le frisson d'un train fantôme, des numéros d'éléphants, de serpents, de scorpions, tout ce qui fascine l'enfant et se déplace depuis l'antre d'un chapiteau (le plus grand du monde) jusqu'aux sous-bois d'une jungle hostile, mais vécu par les yeux d'un héros à toute épreuve... Quant à Rencontre du troisième type c'est naturellement le cinéma comme clé/boussole qui va permettre au jeune Sammy de dévérouiller toutes les portes, d'être accepté par les autres. Une langue (la musique dans le film) qui va lui permettre de se faire comprendre, d'entrer dans tous les mondes, toutes les sociétés, s'y faire adouber.

Le final et l'échange avec John Ford (savoureux David Lynch auquel Spielberg a été inspiré de faire appel) dit finalement tout ou presque. Le cinéma c'est affaire de regard porté sur les choses jamais des choses elles-mêmes. Où est l'horizon ? Plus il est inattendu, décalé, plus la séquence sera intéressante. Entre les lignes, plus il y a un auteur derrière la caméra plus l'offrande de sa vision sera belle.     

Merci pour ce dévoilement intime (j'ai pensé parfois à Truffaut, Allen, Coppola et Zemeckis) de ce qui anime depuis toujours Spielberg et qui éclaire son génie ainsi que la genèse de tant de ses belles nuits américaines.