mardi 20 septembre 2011

Hereafter. Au-delà. Clint Eastwood. Film de chevet

C'était en 2008. J'avais intitulé la lettre From Douala to Burbank. Adressée à Clint Eastwood, elle exprimait ma gratitude lorsque par 2 fois il m'avait sans le vouloir, sans le savoir, réinjecté de la confiance dans des phases d'intoxication aigüe au cafard. Une forme de télépathie bienveillante s'était opérée à la faveur des sorties de Million Dollar Baby (2004) puis de The Changeling (2006) dans les salles obscures.

Ce qui 3 ans plus tard me fait sortir de mon silence ? Hereafter (2010) qu'en vérité je suis allé voir à reculons après qu'il ait reçu un accueil mitigé pour ne pas dire glacial, de la part d'un grand nombre de critiques - les plus acerbes dénonçant un mélo dégoulinant de bons sentiments, un bric-à-brac mystique lorgnant du côté du film à sketches...


C'est pourquoi je m'attendais au pire, j'ai pourtant été bluffé, transporté, touché au coeur, taraudé par cette idée folle que le film s'inscrivait, un comble d'émotion forte, dans la parfaite continuité de ce que j'avais mis en lumière dans ma lettre de 2008 : comme les prémices, la possibilité d'un dialogue à distance. Silencieux et constructif.


Car le film distille son sérum de vie à travers l'accumulation de petites choses invisibles à l'oeil nu, de signaux faibles auxquels prêter une oreille attentive, ce qui va conduire 3 personnages à se retrouver dans un lieu précis à un moment donné de leurs existences troublées.


Clint Eastwood évite justement et fort intelligemment les écueils larmoyants propres au genre, les délires mystico-existentiels d'un Claude Lelouch, dont affleurent pourtant les thèmes de prédilection (hasards, destinées, réincarnation). Il donne au passage une sublime résonance à son oeuvre, emprunte d'humilité et d'une dimension personnelle qui ne m'a jamais semblé aussi pregnante.


Et contrairement aux apparences - un film sur le mystère de ce qui nous attend après la mort, Hereafter se bâtit dans le concret, au coeur du réel, car il dépeint finement les tournants fondamentaux de l'existence, la façon que nous avons de les voir venir ou pas, de les négocier quand ils sont là, offerts, devant nous, suggérant en filigrane de se faire confiance, de s'accrocher à ses rêves. Un bel hymne aux versants obscurs et souvent déroutants d'un bonheur qui n'est jamais là où on l'attend mais qui s'offre à qui sait l'apprivoiser.

Oui, Hereafter est tellement plus qu'un mélo grandiose : c'est un film testament et un précieux manifeste pour nous aider à affronter l'existence et ses tumultes, débarrassés de toute peur.


Et c'est déjà beaucoup.

lundi 19 septembre 2011

Night Train. Nick Tosches. Sonny Liston. The greatest


Une de ces rares nuits électriques au coeur des années 80. Les voix de Jean-Claude Bouttier et Christian Delcourt - timbres enveloppants, couleurs désormais familières - s'élèvent dans le ciel de Las Vegas comme dans celui de mes vingt ans. Pour ne plus en repartir.

En matière de Boxe anglaise, elles resteront comme des madeleines sonores de Proust. Et de ma passion pour ce sport, je me souviens parfaitement comment la mèche s'est allumée : devant l'épique Thomas Hearns - Marvin Hagler. Les rocailleux "wooooow" d'un Jean-Claude extasié résonnant à chaque coup de boutoir du "Marvelous" en réplique aux vénéneux pistons de "The Hit".

Le début d'un lent processus, délectable et minutieuse dévoration d'un nombre incalculable de matches. Au terme de ce travail de fouille, notamment dans les archives de la catégorie reine (les poids Lourds), j'ai pu discerner les imposantes silhouettes des futurs locataires du célèbre Boxing Hall of Fame, comprenant enfin - aucune explication rationnelle ne saurait mieux le faire que la vague d'émotion suscitée - d'où venait qu'on baptisa ce sport respectueusement et amoureusement le Noble Art.

J'en ai alors passé des soirées à me demander qui de Jack Johnson, Jack Dempsey, Joe Louis, Rocky Marciano, Sonny Liston, Muhammad Ali, Georges Foreman, Mike Tyson ou Lennox Lewis avait été le plus grand ?


Et puis je suis tombé sur une bénédiction de livre : Night train de Nick Tosches.


Biographie d'un combattant hors normes - et par son physique et par son destin chaotique - condamné depuis sa naissance jusqu'à sa mort dans des circonstances troubles à Las Vegas en 1971, ce petit bijou est aussi l'occasion d'une belle plongée dans l'Amérique des années de ségrégation sur le rythme épileptique du Night train transfiguré par James Brown. Un agitateur de tripes, un derviche tourneur de cerveau qui finit par ouvrir les yeux sur ce qu'on pourra désigner comme une terrible injustice de l'Histoire de la Boxe. Difficile avoir l'avoir lu de ne pas penser que Sonny Liston fut bien le plus grand boxeur de tous les temps.


Car au fil d'une contre-enquête passionnée, cette analyse en profondeur de 2 célèbres combats ayant opposé Sonny Liston à Cassius Clay / Muhammad Ali met en lumière les circonstances pour le moins opaques dans lesquelles ils se conclurent. Le deuxième affrontement consacrant le fameux phantom shot, dont même le ralenti ne permit jamais de voir ce qui avait réellement mis knock-out l'indestructible Liston (inspirant à l'époque une terreur absolue à tous ses adversaires).

Au terme de 2 matches probablement truqués, le grand Sonny aurait donc, sous la pression d'adversaires insaisissables, volontairement saboté sa propre légende, pour finir oublié, emportant avec lui son secret à seulement 39 ans.

Il y a dans ce destin, tous les ingrédients d'un phénoménal personnage de cinéma. A quand une belle et grande adaptation cinématographique ?


Pour les amoureux de la boxe anglaise et pour tous les autres, les curieux de ce que nous dit la petite Histoire, de ce que retient la grande, il faut sans attendre dévorer Night train dont la musique (préférez les versions d'Oscar Peterson et James Brown) vous accompagnera longtemps, bien longtemps après avoir refermé ce merveilleux livre.



"Un livre fantastique sur une vie qui a commencé dans les ténèbres et n'a cessé de s'y enfoncer jusqu'à ce que la mort devienne la seule lumière possible. Nick Tosches est un écrivain extraordinaire."
Hubert Selby Jr.