samedi 28 mars 2020

Chernobyl


Titanic est une réussite parce que malgré le sujet (une catastrophe, un fait divers ayant vraiment eu lieu), James Cameron réussit la prouesse de tisser autour du drame inéluctable un conte universel, le bateau devenant métaphore de la société de l'époque (mais de tous temps) avec ses parvenus, ses laissés pour compte, ses passe-droits, ses histoires d'amour empêchées par la fatalité, ses musiciens qui jouent leur partition jusqu'au bout du bout pour divertir le peuple (le spectacle quoi, la télévision...) alors que le bateau s'enfonce dans les eaux glacées... Bref tout est sublimé par la vision d'un auteur.

Chernobyl est sombre, glauque, reconstitue de façon soignée une époque, un drame, mais à mon goût ne dépasse jamais le statut du document-fiction, de l'objet créé pour expliquer point par point ce qui s'est produit, ce qu'il est advenu de ces gens sacrifiés les uns après les autres pour sauver l'humanité toute entière... Les personnages deviennent des archétypes qui ne sont là que pour "passer les plats", délivrer des messages, expliquer, décrypter... Chose que des documentaires ont parfaitement réussi par ailleurs... Or le rôle de la fiction est justement de s'adosser au réel pour raconter autre chose, pour sublimer son récit. Chernobyl ne dépasse jamais sa fonction de "documenter" les engrenages et la chronologie de l'horreur. C'est pour cela que j'en suis sorti comme j' y étais entré : un peu plus éclairé, mais pas transporté ni même transformé, juste un peu écoeuré par l'amoncellement d'effets réalistes pour bien décrire les effets de l'irradiation sur les chairs fraîches. Maigre ambition.

  

jeudi 26 mars 2020

Le Daim



Quel talent ce Quentin Dupieux. Il arrive souvent à m'embarquer dans ses univers en apparence triviaux, loufoques ou sans profondeur. En apparence seulement. Il est ici question de folie ordinaire, d'obsolescence des êtres comme des objets (caméscope, téléviseur, blouson en daim, homme à la dérive...). L'un se faisant l'écho, le cri de l'autre. "Les hommes et les choses" mis au ban de l'époque, du temps qui passe et qui remplace tout. Parlons d'ailleurs des hommes : Jean Dujardin que j'aime rarement au cinéma (registre humoristique OSS 117 mis à part) est à l"image de sa partenaire, épatant d'inquiétante bonhommie... Il parvient à rester en permanence sur ce fil ténu qui fait qu'on lui garde une sympathie, qu'on le trouve barré mais attachant dans le fond, qu'on lui pardonnerait presque son penchant pour le crime sanglant auquel inéluctablement il se destine...

La progression "ubuesque" de la narration vers un carnage total ne passe curieusement pas si mal. Gageure donc de faire passer la pilule (pourtant énorme) sans perdre le spectateur. Pour tout cela, le film vaut le détour, mérite d'exister et existe vraiment. Comme ses personnages déglingués.

En revanche, la chute est je trouve à la fois téléphonée et bâclée ou expédiée... Trop à la hâte, Je suis resté sur ma faim. C'est rageant parce que j'en voulais plus, de cette romance cabossée, de cette balade carnassière pour deux âmes paumées... dans ces contrées reculées ou notre cher Daim qui fut à la mode durant l'hiver 1986 se rebiffe et son propriétaire avec le temps d'un film et de remiser aux oubliettes tous les autres blousons portés ou ayant été portés un jour. Personnellement, je serais Quentin Dupieux, je développerais une série TV autour de cet univers et de ces 2 acteurs qui m'ont mis l'eau à la bouche.  

mercredi 25 mars 2020

Les Misérables


Le film a ses qualités (nombreuses) que je ne lui renie pas. Notamment cette volonté louable et qu'on sent rapidement de vouloir se tenir éloigné de tout manichéisme, de rendre à chacun, policier, enfant livré à lui-même par la faute de parents trop absents, petit commerçant impliqué ou maire du cru sollicité par sa communauté, un peu de sa divine complexité.

D'ailleurs le trio de flics ne dit pas autre chose en donnant de la Police ces 3 visages dissemblables  qui cohabitent, se supportent, essayent de préserver une cohérence dans les décisions prises malgré des trajectoires opposées (leurs histoires personnelles), des valeurs irréconciliables (pragmatisme / idéalisme), des expériences si différentes (Province/Paris/Banlieue)...

En revanche, je trouve que d'un point de vue cinématographique le film ne se hisse jamais au niveau de ce que fut par exemple La Haine (je parle d'écriture, de recherche visuelle, de mise en scène, de poétisation par le cinéma d'un sujet social brûlant) ou plus récemment Dheepan (qui lui s'appuie intelligemment sur le film "de Banlieue" pour y faire naître ou en extraire une oeuvre de fiction renversante et assez unique avec le choc des cultures comme révélateurs)... Il suffit d'ailleurs dans chacun des cas de se rappeler comment l'on rentre dans le film. Images d'archives d'émeutes sur "Burning and Looting" pour La Haine, un atroce charnier de l'autre bout du monde dans Dheepan, deux façons d'afficher par quel biais l'on va fictionner le réel... Des ambitions légitimes qui se contentent dans Les Misérables  de montrer une nation à l'unisson un jour de victoire en Coupe du Monde... Assez light tout de même. Et comme point d'entrée dans le film et comme idéal de destin commun...

Par ailleurs, les éléments narratifs (galerie de personnages, élément déclencheur "le vol d'un lionceau" dans un zoo) sont intéressants et suffisamment riches pour lancer les bases d'une série TV, mais on peut légitimement avoir le sentiment que des séries comme Engrenages ont déjà beaucoup dépoussiéré le genre/les sous-genres depuis une dizaine d'année.

Enfin et c'est le plus gênant, le scénario est souvent trop lisible... L'enfant et son drône dont on devine rapidement que pourra être son rôle par la suite, le gaz lacrymogène dans des yeux qui amène à l'erreur coupable du policier. Trop lisible ou trop outrancier.  Comme cette idée agaçante que les règles ici ne seraient pas les mêmes que celles de la République... On laisse entendre que des jeunes peuvent s'échapper quand des policiers viennent les contrôler quand rien absolument rien ne peut le légitimer ou le laisser comprendre... On laisse entendre qu'ils peuvent agir en meute et lyncher un groupe de policier sans avoir à l'esprit que ces derniers sont vraiment armés...  Le film (le réalisateur) a pourtant le droit de prendre position sur des sujets aussi limpides. Je ne trouve aucun intérêt à décrire ces comportements irresponsables sans jamais porter sur un groupe de "décérébrés" en action un regard lucide.

Pour finir, cette étrange tentative de transformer un jeune métis en une sorte de héros mystique cagoulé sorti de je ne sais quel Manga post apocalyptique pose vraiment question sur les intentions du réalisateur... Quel est le but recherché ? D'autant que je n'ai personnellement pas cru un instant à l'émergence de cette figure presque christique que tous les jeunes suivraient aveuglément jusqu'à l'impensable... Quand l'impensable se produit, c'est hélas le groupe, la masse qui prend le pas sur l'individu, jamais le pseudo "héros" qui pense et entraîne derrière lui des hordes de fidèles "en mission"... Pour qui ? Pour quoi ?