mardi 23 août 2011

Michael Jackson. Psychanalyse post mortem

Starifié, Scarifié, Sacrifié


Le livre de Yann Moix, 50 ans dans la peau de Michael Jackson, m'a mis la puce à l'oreille en creusant un premier sillon : celui de la « Peterpanisation » d'une icône, d'un être viscéralement hostile à l'idée de grandir.


Analyse limpide mais à laquelle il manque une dimension à mes yeux capitale : l'ombre envahissante du père : Joseph Jackson.


Je suis ton père


Dans l'Empire contre attaque (Irvin Kershner, 1980), une scène désormais culte décrit un Dark Vador s'échinant à ramener son fils auprès de lui. Amusante lecture psychanalytique à la clé, au terme d'un combat titanesque entre la statue du père et son fils qui finit le bras tranché net, transparaît la métaphore d'une authentique émasculation du rejeton par son géniteur, laser à l'appui.

Par testament, Michael Jackson n'a pas laissé le moindre centime à son père. Et pour cause : dans son livre Moonwalk (1988), il s'épanche longuement sur leur relation douloureuse, évoquant une figure mystérieuse, insaisissable, pour qui ne comptait aux débuts des Jackson 5 que "le travail, le travail, le travail". Une jeunesse privée d'amour paternel et sevrée d'enfance puisque de l’avis général Joe était un manager violent, tyrannique et vénal.

C'est en 1993 lors d'un Oprah Winfrey Show, que Michael Jackson livre de nouvelles clés explicites. Ses propos univoques désignent nommément des violences physiques (coups de fouet) et morales qui l'auront marqué à vie.


A cette même époque, une information capitale s'échappe de la bouche de sa soeur LaToya. Tout jeune, Michael aurait fait l’objet d'une agression sexuelle. Entre les lignes, c'est son père qui est incriminé. Mais LaToya comme Michael se rétracteront et ne reviendront jamais sur une accusation gravissime. Il y a parait-il des secrets de famille qui préfèrent l’obscurité.


C'est pourquoi je crois que son accession précoce au rang de star planétaire n'explique qu'en partie ce qu'il est devenu, cet être en quête maladive d'une absolue jeunesse et son projet de Neverland.

Car, à mieux y réfléchir, le travail invraisemblable au bistouri, à la chaux vive, à la hache, sur sa propre personne pour s'ôter tous ses attributs naturels qu'ils soient sexuels ou raciaux m'évoque avant tout une volonté farouche et inconsciente de s'affranchir de toute paternité, de toute origine.


Je repense d'ailleurs à The Brood (David Cronenberg, 1979) et ses étranges enfants sans nombril. J'ai toujours eu cette intuition, que le père avait joué un rôle néfaste et central dans l'éclosion du génie hypersensible qu’est devenu Michael Jackson, d'une icône sans âge, sans sexe, sans nombril.

Le syndrôme Amina

En 2006, je fais la connaissance d'Amina, jeune femme camerounaise au caractère trempé dans l'acier, autoritaire mais fragile et crois-je un temps métisse. En rencontrant ses frères et soeurs, noirs comme l’Ebène, je réalise soudain qu'elle se fait subir d'invraisemblables traitements pour s'éclaircir la peau. J'y décèle comme une démarche maladive, un réflexe traumatique. Je constate par ailleurs qu'elle vit seule, n'a aucune relation amoureuse et qu'elle se méfie beaucoup trop du genre masculin. Elle en souffre visiblement. Après de longues discussions et confidences, elle me révèle avoir été violée par son père alors qu'elle était toute jeune. Elle avait inconsciemment développé une aversion pour l'image paternelle, pour sa propre couleur de peau, cherchant à l'éclaircir jusqu'à la rougeur, l'allergie, jusqu'à la plaie jamais refermée. Une écorchée vive.

Je ne sais pourquoi mais je n'ai alors pu m'empêcher de repenser à Michael Jackson, aux innombrables critiques dont il a trop souvent été l’objet : un traître à ses origines cherchant à "devenir blanc" (son nez affiné, les pommettes rehaussées, les cheveux lissés,...).


Or Michael Jackson n'a jamais rien renié de son propre creuset culturel (la soul, le blues, le funk, la pop), et ses efforts pour gommer son moi d 'avant n'ont selon moi jamais fait écho à rien d'autre qu'à son désir inconscient de ne plus ressembler à ce père castrateur. De s'en extraire physiquement. Un ressort purement psychanalytique.


Paroles et musiques

En revisitant l'univers musical de l'artiste et les paroles plus exactement, j'ai essayé pour m'amuser de retrouver les échos de cette jeunesse tuée dans l'oeuf, de cette chair tendre à vif, autant de petits indices disséminés dans les textes de ses chansons pour attester de ce qu'il avait vraiment éprouvé en l'exprimant dans un talent unique, une voix singulière, tout ce qui façonnera la légende de The King of Pop

J'ai d'ailleurs repensé à The Ghost Writer (Roman Polanski, 2010) et ce message posthume laissé par un "nègre" dans son oeuvre après sa mort, persuadé de pouvoir décrypter à mon tour de précieux messages codés dans celle de Michael Jackson.


Et ce que j'ai trouvé m'a semblé justifier les quelques exemples et commentaires qui suivent.

Thriller évoque sans détour les frayeurs primales liées à un traumatisme originel :

“ It's close to midnight and something evil's lurking in the dark under the moonlight you see a sight that almost stops your heart you try to scream but terror takes the sound before you make it you start to freeze as horror looks you right between the eyes you're paralyzed Cause this is Thriller, Thriller night And no one's gonna save you From the beast about to strike You know it's Thriller, Thriller night You're fighting for life inside a killer (…) You hear a door slam and realize there's nowhere left to run you feel the cold hand and wonder if you'll ever see the sun you close your eyes and hope that this is just imagination but all the while you hear the creature creepin' up behind you're out of time”

De son côté, Smooth criminal décrit un tueur insaisissable et la façon qu’il a de s'introduire subrepticement chez sa victime. L'atmosphère est celle d'une chambre, symboliquement d'un viol.

“As he came into the window it was a sound of a crescendo he came into the apartment he let the bloodstains on the carpet she ran underneath the table he could see she was unable so she ran into the bedroom she was struck down it was her doom (...) You've been hit by a smooth criminal “

Billie Jean revient comme une rengaine sur l'anecdote d'une paternité problématique avec son désormais célèbre "the kid is not my son". Billy Jean est par ailleurs une jeune femme dangereuse qui dévoile à Michael sa paternité (il serait le père de son enfant). Ce qui relie étrangement les thèmes de la paternité, du sexe, de la fonction de reproduction... En filigrane transparaît une peur face à la violence du monde adulte, aux mensonges, aux faux semblants de la célébrité, de la famille aussi.

“ She was more like a beauty queen from a movie scene (...) she said I am the one (...) people always told me be careful of what you do (...) and mother always told me be careful of who you love and be careful of what you do cause the lie become the truth (...) Billy Jean is not my lover she's just a girl who claims that I am the one but the kid is not my son”

Eaten alive aborde le thème du vampirisme qui recèle rapports de domination, sexualité, contamination et dangerosité organique. la métaphore du viol n'est jamais loin...

“ Animal stalking you at night I'm a sucker for someone and I got a prey in sight lying on a bed of leaves (...) Capture my blood is red another victim of your ritual for you my skin is shed (...) I don't wana be eaten alive cause you're so dangerous no more hearts I can trust, you see (...) Tie me to a tree, crawl all over me you can rip my shirt, drag me in the dirt I will be your slave anything you say I don't wanna be eaten alive”

Beat it est avant tout un hymne pour se donner la force, pour s'aider à vaincre les peurs enfouies de l'enfance, les démons qui empêchent d'avancer...

“You better run, you better do what you can don't wanna see no blood, don't be a macho man you wanna be tough, better do what you can so beat it, but you wanna be bad (...) they're out to get you, better leave while you can, don't wanna be a boy, you wanna be a man you wanna stay alive, better do what you can so beat it you have to show them that you're not really scared you're playing with your life, this ain't no truth or dare”

Bad c'est enfin un visage dans la lumière du jour (une façon de dire : ose montrer ton visage), une bouche et son jeu dangereux... Des thématiques sexuelles et menaçantes. Il est aussi le reflet d’une image dévoyée de soi. « I’m bad » c'est le fameux sentiment de culpabilité des victimes de viol finissant par se convaincre qu’elles sont en partie responsables, qu'elles n’ont pas été salies par hasard, qu’elles l’ont été justement parce qu’elles sont sales, mauvaises…

“ Just show your face on broad daylight (...) i'm giving you on count of three to show your stuff or let it be (...) just watch your mouth I know your game What you're about (...) you're doing wrong, gonna lock you up before too long”

Voilà des thématiques terriblement sombres pour des textes de chansons Pop. Et derrière ces mots, ces atmosphères lugubres comme un inconscient qui s'y serait exprimé, déversé, amenant Michael à écrire ou choisir des textes qui lui parlaient, qui nous parleraient un jour, entre les lignes.

2 commentaires: