lundi 26 août 2019

La Route Sauvage


Le film est dense et captivant jusqu'à la fuite du jeune homme et de son majestueux compagnon de route. C'est alors que les choses se mettent à ronronner comme dans un script se voulant soudain trop aimable et "rebondissant"...

Mais jusque là, les personnages, très peu lisibles dans leurs intentions, tour à tour ambigus, attachant, odieux (l'emblématique personnage campé par un Steve Buscemi retrouvé) rendent cet univers profondément respirant / captivant. Il y a certes les petits défauts du début comme l'annonce maladroite / téléphonée du drame qui va frapper le père, mais cela n'entache pas une immersion réussie me concernant.

Je n'ai pas plus de reproche à faire quant aux tics généralement reprochés au film indépendant US (lenteur revendiquée, naturalisme, pas d'effets clinquants, recherche d'une authenticité de l'univers retranscrit à l'écran) et qui sont suffisamment gommés pour ne pas retenir l'attention.

Ce qui est en revanche plus dérangeant, c'est cette nécessité qu'on sent palpable d'émailler la partie "road movie" de petits évènements surprenants pour mieux faire passer la pilule : je pense à la mort du cheval évidemment mais aussi à la rencontre avec ce type dans son van qui va extorquer de l'argent au jeune héros. Je trouve ça trop lisible sur les intentions. Ca ressemble à un énième écueil avant la rencontre finale avec la tante perdue de vue depuis si longtemps... Sorte de course de haies dont on voit venir les obstacles jusqu'au franchissement de la ligne.

Mais en dehors de ces réserves, le film délivre beaucoup d'émotion, de jolis moments d'introspection au grand jour et fascine pleinement au moins jusqu'à cette échappée belle...

dimanche 25 août 2019

3 Billboards


Beaucoup de talent ce réalisateur dont j'avais déjà apprécié le travail pour son fort sympathique et néanmoins audacieux Bons baisers de Bruges.

Il y a déjà de louable cette envie de mettre les projecteurs sur une Amérique rurale, folk et country, un peu oubliée du grand rêve US, mais ayants préservé des valeurs et les relents d'un racisme ordinaire nourri probablement par la peur de se voir disparaître comme ces vielles affiches 4*3 d'un autre temps.

La mise en place est également savoureuse. 3 panneaux publicitaires  qui ne servent plus à rien ni personne sur un chemin de traverse, peu emprunté vont constituer le déclencheur d'une suite d'évènements plus curieux, dramatiques et surprenants les uns que les autres... Effet domino, engrenage quelque peu fatal où les meilleures intentions pavent idéalement l'enfer... Cela occasionne quelques idées d'anthologie comme ces lettres du Flic condamné qui à leur tour ont un effet inattendu sur le déroulement de l'intrigue. C'est ce qui permet à de nouvelles alliances de se nouer alors qu'on pensait à la mise en place d'un piège inéluctable (l'amertume et le désir de vengeance pour moteurs)...

Restent des problèmes à mes yeux : les hasards "forcés", propulsés par l'écriture (il est dans le commissariat quand elle décide d'y mettree le feu, un violeur vient chez elle pour  semer le trouble, le flic repenti se trouve par hasard assis à un café derrière le supposé criminel... Ces éléments affaiblissent le film, ce sont des "trucs"de scénariste pour faire avancer une intrigue dans le sens voulu et on y perd un peu hélas de la magie de ces évènements qui se succèdent de façon un peu imprévisibles poussés par la volonté de personnages qui changent à toute vitesse et nos sentiments avec.

Mais il reste de tout cela des moments d'une intensité dramatique rare (le rapprochement des deux "héros" dignes par les lettres posthumes suite au sacrifice du jeune flic dans le commissariat, sauvant le fameux dossier mais y laissant littéralement la peau de son visage).

La fin, énigmatique, laisse ouvertes toutes les possibilités d'épilogue à un film qui surnage par cette volonté de mettre et remettre les personnages et leur libre arbitre au coeur du moteur de l'intrigue.

samedi 10 août 2019

Climax. Gaspar Noé


Un bien beau gâchis ! Il y avait pourtant de belles choses à faire et explorer dans ce lieu isolé, qu'on imagine à la faveur du premier plan perdu dans des décors enneigés. Une fête de fin de tournage ou de fin de répétition pour un spectacle... Une mise en abyme possible... Des acteurs prisonniers de leurs rôles... Des histoires d'amour dans la réalité prenant le contrepied de l'histoire écrite et incarnée pendant les répétitions... La culture urbaine se heurtant puis se mêlant à une école de pensée plus classique voire rigoriste de la danse contemporaine... 

L'entrée en matière est d'ailleurs très intrigante. Cette silhouette vue du ciel qu'on imagine bas et lourd et qui avance péniblement dans la poudreuse. Puis elle s'écrase de façon inesthétique sur le dos un peu à l'image du film. Tout me semble résumé dans ce premier travelling. On entre par des bouts de casting (comme pour un rôle) où la jeunesse d'aujourd'hui semble intelligemment radiographiée par petits bouts de phrases, éléments de langage, expressions de visage... On se dit qu'il y a de la vérité qui s'en dégage.  Mais on déchante rapidement à mesure que le message du film se résume à des panneaux venant porter jusqu'au spectateur (un peu neuneu ?) des phrases définitives plus creuses les unes que les autres : "Naître est un privilège", "vivre est une impossibilité collective", "le film est un film français et fier de l'être", "il est dédié à ceux (mais pas celles, pourquoi ne pas féminiser ???) qui nous ont fait" mais voici venir le meilleur pour la fin : "Mourir est une expérience extraordinaire" (Ah bon ? tu en sais quelque chose Gaspar ?)... On imaginerait presque des messages comme à l'époque en exergue de Sheitan : "Ne leur pardonnez par car ils savent ce qu'il font" ou comme celui que je propose maintenant "c'est au pied du mur qu'on reconnaît le maçon", "c'est avec l'eau du corps qu'on sort l'eau du puits", "c'est l'homme qui a peur, sinon il n'y a rien"... Tout ça passerait comme une lettre à la poste  !!! Parce qu'afficher des mots nus, mis bout à bout quand on avait les images et la liberté d'un film pour le dire, c'est assumer au fond sa propre vacuité. Cela confine au ridicule et enlève à Climax, à son univers, toute sa complexité...

Dès lors que la Sangria se révèle frelatée ou mélangée à je ne sais quelle drogue, Gaspar Noé ne nous épargne aucune idée monstrueuse et donc foncièrement moralisatrice... Et oui... Le message qui s'incarne à l'écran, c'est pour résumer : ne prenez plus ces merdes sous prétexte de vous faire plaisir car si vous le faites, vous allez lyncher l'un de vos potes et jeter dans la neige par -10 degrés, vous allez enfermer un gosse dans un local haute tension et le laisser griller une fois la clé perdue... Vous allez mettre des coups de pied dans le ventre d'une nana enceinte qui poussée (entraînée ?) par le foule va finir le travail toute seule... Vous allez mettre le feu aux cheveux d'une autre copine dans la cuisine et en rire bruyamment et j'en passe et des meilleures...

Gaspar Noé se vante sur un panneau de mettre en scène la vraie France d'aujourd'hui sur fond de drapeau bleu blanc rouge (pour pas être lourd ni redondant). Or ce qu'il oublie de faire c'est d'aimer ses personnages (ceux qui nous ont titillé lors des castings du début), de résumer tous ces danseurs à des paumés plus obsédés par le cul que les hardeurs les plus aguerris et surtout "plus décérébrés tu meurs" (ce qui aurait été le bon titre pour le film à mon avis)... Oubliant la danse, leur passion, les raisons pour lesquelles ils s'y sont adonnés... Au lieu de cela, des cris, de la pisse sur le parquet, des coups de boule, des insultes, du sang qui coule, des corps qui vrillent et l'individu qui disparaît, se dissolve dans le groupe. Circulez y a rien eu à voir...

C'est con parce que Gaspar Noé a tellement de talent derrière la caméra qu'on finit par se dire que ce qui lui manque aujourd'hui c'est de trouver son "âme soeur" en la personne d'un scénariste comprenant ses obsessions et capable de mettre au service de ce talent unique, de ce regard singulier une histoire qui permette au film et au spectateur de décoller ensemble... C'est tout ce que je lui souhaite. Sincèrement.

Parce qu'en l'état, la portée de Climax se révèle minuscule. Une quelconque propagande émanant de services de communication du Ministère de la Santé publique à destination de notre jeunesse pour l'inciter à ne plus prendre de drogue... Je vais d'ailleurs le montrer à ma fille dès ses 12 ans tiens... Rien de plus efficace. Parce que c'est vraiment tout ce qu'il en reste. Un vulgaire film de sensibilisation aux effets néfastes de toutes les drogues sur le cerveau et le comportement. Alors que merde, le lieu et l'histoire (un spectacle, une chorégraphie, des acteurs, pourquoi pas un tueur en vadrouille comme dans le génial Bloody Bird de Michele Soavi, bref du cinéma, on voulait et on aurait mérité du cinéma...) aurait pu accoucher (l'accouchement, l'avortement, sujets évoqués sans finesse tout au long du film) d'un bien bel objet...  Au lieu de cela, Gaspar Noé nous offre un film mort né. Comme avorté sur grand écran et s'achevant d'ailleurs sur une énième image pourvue d'une explication en 3 lettres (au cas où on se soit pas rappelé de l'anecdote des gouttes LSD pour les yeux du début...) comme les enfants qui veulent tout souligner ou répéter alors que le message est déjà passé... Triste et dommage.

jeudi 8 août 2019

Donkiyote


A mes yeux, la parenté est limpide. Lost in La mancha. L'histoire d'un film ou d'un voyage qu'on a rêvé de faire et qui ne se fera pas pour x raisons... La santé d'un protagoniste, les moyens financiers qui viennent à manquer... Mais le film pose justement la question suivante : le bonheur est-il dans la destination, dans l'accomplissement d'un rêve ? Ne serait-il pas plutôt dans le chemin que nous sommes incités à faire aux côtés de Manolo, Gorrion et un jeune chien fou ?

Le temps se dilate et Manolo nous enseigne justement le prix de ces instants qui s'éternisent sur un bac, sur un chemin sous la pluie... Et même si son corps et son coeur (usés, fragiles) lui rappellent en permanence que tous ces instants finiront par devenir des impossibilités, il sait d'autant plus les savourer. Attendre. Ecouter. Sentir la brise lui caresser les joues, laisser le chant des grillons, les cris chaleureux de Gorion ou les aboiements réconfortants du petit chien écervelé le bercer, nous envelopper avec délicatesse. Tant que le trio est là, bien vivant, sous nos yeux, on revit avec eux et un souffle de liberté, de joie intense, vient jusqu'à nos coeurs émerveillés pour nous faire ressentir la saveur de ces instants présents qui s'éternisent sur la route menant à l'océan.

Pas étonnant d'ailleurs que le voyage s'achève sur cette plage, comme les 400 coups, comme tous ces fabuleux films racontant l'enfance, la jeunesse éternelle qu'immortalise ce dernier plan face puis dos à l'Océan...

Manolo, tu es inspirant et ce Donkiyote est un bien beau voyage à tes côtés !      

mercredi 7 août 2019

Midsommar. Ari Aster


Autant le dire d'emblée, Midsommar a beaucoup à donner. Il est généreux dans ce qu'il nous propose de penser avec lui. Il est aussi pénétrant pour les images qu'il imprime durablement en nous. De quoi hanter nos nuits pour un sacré bout de temps... Il prophétise ce que ce monde est en train de devenir. Sous prétexte de vouloir retrouver un lien immémoriel - supposément rompu par notre faute - avec la nature, le cosmos ou l'au-delà, il décrypte comment l'enfer est toujours pavé des meilleures intentions. A vouloir suivre un chemin qu'impose l'encombrant passé, le poids de traditions ancestrales, on finit haché menu par les protocoles, les folklores, les processions, l'application rigide, aveugle et un peu ubuesque de préceptes d'un autre temps conduisant nécessairement à l'intolérance la plus abjecte, à une forme d'inhumanité si vous préférez, où chacun disparaît derrière le masque, le costume, le rôle qui lui est assigné dans cette vaste mascarade à visée "lobotomystique".

La partie américaine est une entrée en matière savoureuse. Elle nous fait entrer par la lorgnette du film indépendant américain. Mieux, du film d'auteur, du drame intimiste. On commence quelque part entre Woody Allen, les Frères Farrely et Larry Clarke. mais l'horreur n'a eu besoin de personne, elle s'est invitée comme souvent, sans prévenir... Lui veut casser, elle est amoureuse. Lui veut partir avec ses potes en Suède. Elle est angoissée, a peur d'être quittée ou que sa soeur borderline déconne... Mais elle est combattive, elle est forte, ce qui la rend d'ailleurs un chouia antipathique aux prémices de l'histoire. Un chagrin d'amour se profile et paf c'est le drame atroce, inacceptable, qui se produit sous nos yeux. Tous les ingrédients sont alors en place pour accoucher d'un grand film.

Toute la lente immersion dans l'horreur qui va suivre dès lors qu'on débarque en terre inconnue pour les héros, est, c'est ma réserve principale, bien trop longue. D'abord parce qu'une fois les vieux tombés comme des merdes de yak de la falaise, on est déjà affranchi sur ce qu'il adviendra des pièces rapportées made in US. Or la réaction de ces petits héros-fétus de paille à beaucoup d'égard est  hors de propos. Même dans le cadre d'une tradition européenne séculaire obscure et fascinante pour un américain (découvrir les Encierros de Pampelune, ok passe encore !!!), il y a trop de repères à l'heure de la mondialisation, un bon sens, des lois, des prisons, des suicides légaux ou non qu'on encadre et cette histoire de limite d'âge, pour que ne résiste pas longtemps l'indignation et la révolte même pour le cerveau de jeunes américains sous l'emprise d'acides ou de cannabis... On n'est quand même pas invité au coeur de l'Amazonie pour voir mourir une civilisation restée miraculeusement préservée des ravages du progrès. Dans pareil cas (la Suède, le copain de fac qui nous a invité, les familles respectives forcément au courant, les réseaux sociaux etc.), on est poli, on se serre les coudes, on fait front et on s'arrache dignement sans demander son reste... Question de stratégie à mettre en place. Il n'est de bonne compagnie qui ne se quitte, même fasciné par les restes d'un cerveau du troisième âge étalés sur une roche plate. Or ici rien ne se produit et c'est l'attention du spectateur qui décroche immanquablement. Face au malaise ressenti dans mon fauteuil de spectateur, je me dis que cette bande de petits inconscients n'est en fait imprimée sur la pellicule que pour parachever un seul but : permettre au programme Midsommar de se dérouler tranquillement, sans accroc, de façon linéaire jusqu'à un dénouement attendu. Et c'est précisément la faiblesse de ce tunnel qui commence à la mort de ces deux "périmés" selon les croyances locales : on pense d'ailleurs à Children of the Corn et sa limite d'âge rédhibitoire ou aux Révoltés de l'an 2000 et sa société insulaire fondée par des enfants allergiques à l'âge adulte et à tout ce qui l'incarne.

Car ce qui fait le sel d'une narration à mes yeux, c'est le grain de sable, un rouage qui se grippe dans la belle machine,  un changement imperceptible de paradigme ou de point de vue... Et le dérèglement, c'est justement la vie, non ?  Il n'y a rien de moins trépidant qu'un programme qui se déroule sans anicroche jusqu'à un dénouement attendu. C'est la raison pour laquelle me semble-t-il le film paraît si long. On ne me dira pas que pas une personne de cette communauté (je pense à ses plus jeunes membres) n'aurait pu avoir l'envie de s'extraire de la masse informe, de se prendre d'affection (l'une des jeunes femmes éprises, un jeune rebelle cachant bien son jeu au sein de la communauté) et de vouloir sauver l'un des invités par amour ou esprit chevaleresque ? L'amour inspiré ou l'impérieux désir de désobéissance peuvent faire faire des choses insensées. Entre nous, Je n'ai pas non plus goûté les gros plans insistants sur la bouillie de visages déchiquetés. On s'éloigne de la poésie ambiante et l'on se rapproche de la complaisance d'un Gaspar Noé lorsqu'il reste planté avec sa caméra sur un visage se réduisant à l'état de miettes sanguinolentes sous les coups répétés d'un extincteur... Mais passons sur ce qui peut légitimement énerver ou décevoir...

Heureusement le film se veut film d'épouvante et drame mais aussi souvent comédie assumée qui propose des moments vraiment hilarants, ce qui est aussi rare que précieux (je pense ici à l'incapacité d'un Xavier Nolan autre jeune réalisateur porté aux nues ces dernières années, à saupoudrer ses histoires pesantes d'un humour ou d'une distance toujours salutaires). Restent particulièrement en mémoire la scène où le spectateur comprend que l'héroïne est invitée en Suède à contre-coeur par le petit ami et ses acolytes ou à cette scène d'"accouplement" mémorable dont  je ne dévoile rien ici...

Enfin et c'est le dernier point : La mise en scène, et ses intentions comme l'utilisation prodigieuse de la musique. Il y a du Stanley Kubrick dans cette approche qui vient avec la forme idéalement épouser le fond. La forme ? Un film de genre au climat d'épouvante mais qui fait surgir le malaise, la peur ou l'effroi en plein soleil, dans la lumière crue la plus rassurante et un décor on ne peut plus apaisant - qui peut d'ailleurs évoquer une forme d'Eden immaculé. La forme toujours ? Un voyage sans retour au coeur d'un trip hallucinatoire dont les prouesses visuelles viennent accompagner puissamment la montée d'acide vécue par l'héroïne jusqu'à son grand rire communicatif du dernier plan. Car ce long cauchemar n'en était-il pas justement un, tout simplement ? Dès lors qu'elle a consenti à prendre cette drogue à leur arrivée, ne sombre-t-elle pas dans cet état qui va l'amener à exorciser son passé (à la façon des initiés de l'Ayahuasca se libérant à travers son expérience de toutes les pesanteurs et douleurs du passé). Ainsi le bad trip naît-il au moment elle ne se sent pas bien, qu'elle se lève et marche, inquiète, pour mieux se laisser porter au fil d'une aventure qui fait dès lors office de chemin de rédemption pour parachever le deuil, le faire, brûler le passé, revivre enfin... Raison pour laquelle elle apercevrait à un moment fugace sa maman, raison pour laquelle dans cette cahute au chapeau pointu on croirait deviner juste avant sa mise à feu la silhouette de ses parents parmi les empaillés du jour... Son rire final, c'est donc la libération et le début de sa descente vers un futur qu'on lui souhaite plus heureux, plus harmonieux, plus apaisé.

C'est ainsi que j'apprécie le plus ce film. Comme une fable, une réflexion, une parabole sur le deuil, et doublée, à travers le chemin semé d'embûches de la personne en souffrance forcément fragilisée, d'une critique sans fard de toutes les formes d'embrigadement auquel sont livrés les plus manipulables en de pareilles circonstances. Le clin d'oeil intelligent à une oeuvre telle que The Wicker Man est révélateur de cette volonté me semble-t-il.

Pour conclure et résumer mon sentiment : Quelques longueurs liées à un problème de déroulement trop linéaire de l'intrigue une fois sur place, quelques facilités aussi (l'insistance et une possible complaisance à disséquer les chairs sanguinolentes), mais il reste dans ma mémoire et dans l'ensemble un bien beau film ambitieux, au matériau complexe, truffé d'idées innovantes et qui peut autoriser plusieurs visionnages pour en apprécier toute la richesse.







mardi 6 août 2019

The Rider. Chloé Zhao



Je découvre le cinéma de Chloé Zhao. Elle a un talent fou. Tout paraît simple, fait avec humilité, sans forcer le film à charrier son émotion vers le spectateur. Elle porte un regard puissamment attentif sur le monde, sur ses personnages qu'elle aime sans les juger, qu'elle explore sans intrusion ni indécence, mettant en scène une histoire aux accents universels qu'elle dramatise sans jamais chercher le sensationnalisme. Et puis elle réussit ce que peu ont réussi au cinéma : mêler matière documentaire (les personnages principaux sont incarnés par des acteurs qui ont traversé dans la vraie vie ces mêmes épreuves) et fiction avec ce sens inné du cadre et de la recherche visuelle qui vient raconter sans le dire tout ce que le mythe de l'Ouest américain, celui qui nous a tant fait rêver, a de crépusculaire, de presqu'oublié...

Je navigue avec le personnage principal dans cette recherche de sens perdu en rapport avec une passion qu'on ne peut plus exercer (le peintre devenu aveugle, le guitariste ou le sculpteur privé de ses deux mains...). Une passion qui dans le cas présent est éminemment liée aux codes de cette société patriarcale (le cowboy érigé en modèle absolu) où la jeunesse doit éprouver sa virilité, se mettre à l'épreuve face à la nature sauvage qu'on voudrait pouvoir dompter. Une jeunesse qui dans son sentiment d'invulnérabilité et de toute-puissance va chercher à domestiquer (le débourrage, symboliquement) ce qui ne le sera jamais : le mystère de cette mère nature qui reste inaccessible pour les mortels finissant à leurs dépends par comprendre qu'ils sont de papier ou de verre, aussi fragiles qu'un arbrisseau dans la tempête...

Sûrement quelques maladresses comme l'évocation trop directe de la perte de la maman (le recueillement sur la tombe, figure imposée) ou celle du western par l'accessoire pistolet qui ne s'imposait pas forcément - le western coulant dans le veines de ce film sans qu'on ait besoin de souligner quoi que ce soit. Mais que c'est beau, que la portée du film dépasse largement le cadre du drame d'un cowboy (Rodeo Boy en l'occurence) privé de sa raison de vivre et ramené à la nécessité de retrouver un chemin susceptible de lui donner encore un peu l'envie de se battre : être présent pour les siens, pour ceux qui sont restés : sa soeur et son père. Le voyage vaut le détour. D'autant que l'on sent à chaque plan l'odeur de la mélancolie la plus profonde, celle suscitée par une Amérique longtemps érigée en rêve sur grand écran et soudain en train de disparaître inexorablement sous nos yeux...