mercredi 7 août 2019

Midsommar. Ari Aster


Autant le dire d'emblée, Midsommar a beaucoup à donner. Il est généreux dans ce qu'il nous propose de penser avec lui. Il est aussi pénétrant pour les images qu'il imprime durablement en nous. De quoi hanter nos nuits pour un sacré bout de temps... Il prophétise ce que ce monde est en train de devenir. Sous prétexte de vouloir retrouver un lien immémoriel - supposément rompu par notre faute - avec la nature, le cosmos ou l'au-delà, il décrypte comment l'enfer est toujours pavé des meilleures intentions. A vouloir suivre un chemin qu'impose l'encombrant passé, le poids de traditions ancestrales, on finit haché menu par les protocoles, les folklores, les processions, l'application rigide, aveugle et un peu ubuesque de préceptes d'un autre temps conduisant nécessairement à l'intolérance la plus abjecte, à une forme d'inhumanité si vous préférez, où chacun disparaît derrière le masque, le costume, le rôle qui lui est assigné dans cette vaste mascarade à visée "lobotomystique".

La partie américaine est une entrée en matière savoureuse. Elle nous fait entrer par la lorgnette du film indépendant américain. Mieux, du film d'auteur, du drame intimiste. On commence quelque part entre Woody Allen, les Frères Farrely et Larry Clarke. mais l'horreur n'a eu besoin de personne, elle s'est invitée comme souvent, sans prévenir... Lui veut casser, elle est amoureuse. Lui veut partir avec ses potes en Suède. Elle est angoissée, a peur d'être quittée ou que sa soeur borderline déconne... Mais elle est combattive, elle est forte, ce qui la rend d'ailleurs un chouia antipathique aux prémices de l'histoire. Un chagrin d'amour se profile et paf c'est le drame atroce, inacceptable, qui se produit sous nos yeux. Tous les ingrédients sont alors en place pour accoucher d'un grand film.

Toute la lente immersion dans l'horreur qui va suivre dès lors qu'on débarque en terre inconnue pour les héros, est, c'est ma réserve principale, bien trop longue. D'abord parce qu'une fois les vieux tombés comme des merdes de yak de la falaise, on est déjà affranchi sur ce qu'il adviendra des pièces rapportées made in US. Or la réaction de ces petits héros-fétus de paille à beaucoup d'égard est  hors de propos. Même dans le cadre d'une tradition européenne séculaire obscure et fascinante pour un américain (découvrir les Encierros de Pampelune, ok passe encore !!!), il y a trop de repères à l'heure de la mondialisation, un bon sens, des lois, des prisons, des suicides légaux ou non qu'on encadre et cette histoire de limite d'âge, pour que ne résiste pas longtemps l'indignation et la révolte même pour le cerveau de jeunes américains sous l'emprise d'acides ou de cannabis... On n'est quand même pas invité au coeur de l'Amazonie pour voir mourir une civilisation restée miraculeusement préservée des ravages du progrès. Dans pareil cas (la Suède, le copain de fac qui nous a invité, les familles respectives forcément au courant, les réseaux sociaux etc.), on est poli, on se serre les coudes, on fait front et on s'arrache dignement sans demander son reste... Question de stratégie à mettre en place. Il n'est de bonne compagnie qui ne se quitte, même fasciné par les restes d'un cerveau du troisième âge étalés sur une roche plate. Or ici rien ne se produit et c'est l'attention du spectateur qui décroche immanquablement. Face au malaise ressenti dans mon fauteuil de spectateur, je me dis que cette bande de petits inconscients n'est en fait imprimée sur la pellicule que pour parachever un seul but : permettre au programme Midsommar de se dérouler tranquillement, sans accroc, de façon linéaire jusqu'à un dénouement attendu. Et c'est précisément la faiblesse de ce tunnel qui commence à la mort de ces deux "périmés" selon les croyances locales : on pense d'ailleurs à Children of the Corn et sa limite d'âge rédhibitoire ou aux Révoltés de l'an 2000 et sa société insulaire fondée par des enfants allergiques à l'âge adulte et à tout ce qui l'incarne.

Car ce qui fait le sel d'une narration à mes yeux, c'est le grain de sable, un rouage qui se grippe dans la belle machine,  un changement imperceptible de paradigme ou de point de vue... Et le dérèglement, c'est justement la vie, non ?  Il n'y a rien de moins trépidant qu'un programme qui se déroule sans anicroche jusqu'à un dénouement attendu. C'est la raison pour laquelle me semble-t-il le film paraît si long. On ne me dira pas que pas une personne de cette communauté (je pense à ses plus jeunes membres) n'aurait pu avoir l'envie de s'extraire de la masse informe, de se prendre d'affection (l'une des jeunes femmes éprises, un jeune rebelle cachant bien son jeu au sein de la communauté) et de vouloir sauver l'un des invités par amour ou esprit chevaleresque ? L'amour inspiré ou l'impérieux désir de désobéissance peuvent faire faire des choses insensées. Entre nous, Je n'ai pas non plus goûté les gros plans insistants sur la bouillie de visages déchiquetés. On s'éloigne de la poésie ambiante et l'on se rapproche de la complaisance d'un Gaspar Noé lorsqu'il reste planté avec sa caméra sur un visage se réduisant à l'état de miettes sanguinolentes sous les coups répétés d'un extincteur... Mais passons sur ce qui peut légitimement énerver ou décevoir...

Heureusement le film se veut film d'épouvante et drame mais aussi souvent comédie assumée qui propose des moments vraiment hilarants, ce qui est aussi rare que précieux (je pense ici à l'incapacité d'un Xavier Nolan autre jeune réalisateur porté aux nues ces dernières années, à saupoudrer ses histoires pesantes d'un humour ou d'une distance toujours salutaires). Restent particulièrement en mémoire la scène où le spectateur comprend que l'héroïne est invitée en Suède à contre-coeur par le petit ami et ses acolytes ou à cette scène d'"accouplement" mémorable dont  je ne dévoile rien ici...

Enfin et c'est le dernier point : La mise en scène, et ses intentions comme l'utilisation prodigieuse de la musique. Il y a du Stanley Kubrick dans cette approche qui vient avec la forme idéalement épouser le fond. La forme ? Un film de genre au climat d'épouvante mais qui fait surgir le malaise, la peur ou l'effroi en plein soleil, dans la lumière crue la plus rassurante et un décor on ne peut plus apaisant - qui peut d'ailleurs évoquer une forme d'Eden immaculé. La forme toujours ? Un voyage sans retour au coeur d'un trip hallucinatoire dont les prouesses visuelles viennent accompagner puissamment la montée d'acide vécue par l'héroïne jusqu'à son grand rire communicatif du dernier plan. Car ce long cauchemar n'en était-il pas justement un, tout simplement ? Dès lors qu'elle a consenti à prendre cette drogue à leur arrivée, ne sombre-t-elle pas dans cet état qui va l'amener à exorciser son passé (à la façon des initiés de l'Ayahuasca se libérant à travers son expérience de toutes les pesanteurs et douleurs du passé). Ainsi le bad trip naît-il au moment elle ne se sent pas bien, qu'elle se lève et marche, inquiète, pour mieux se laisser porter au fil d'une aventure qui fait dès lors office de chemin de rédemption pour parachever le deuil, le faire, brûler le passé, revivre enfin... Raison pour laquelle elle apercevrait à un moment fugace sa maman, raison pour laquelle dans cette cahute au chapeau pointu on croirait deviner juste avant sa mise à feu la silhouette de ses parents parmi les empaillés du jour... Son rire final, c'est donc la libération et le début de sa descente vers un futur qu'on lui souhaite plus heureux, plus harmonieux, plus apaisé.

C'est ainsi que j'apprécie le plus ce film. Comme une fable, une réflexion, une parabole sur le deuil, et doublée, à travers le chemin semé d'embûches de la personne en souffrance forcément fragilisée, d'une critique sans fard de toutes les formes d'embrigadement auquel sont livrés les plus manipulables en de pareilles circonstances. Le clin d'oeil intelligent à une oeuvre telle que The Wicker Man est révélateur de cette volonté me semble-t-il.

Pour conclure et résumer mon sentiment : Quelques longueurs liées à un problème de déroulement trop linéaire de l'intrigue une fois sur place, quelques facilités aussi (l'insistance et une possible complaisance à disséquer les chairs sanguinolentes), mais il reste dans ma mémoire et dans l'ensemble un bien beau film ambitieux, au matériau complexe, truffé d'idées innovantes et qui peut autoriser plusieurs visionnages pour en apprécier toute la richesse.







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