mercredi 22 novembre 2023

Dheepan. La comédie romantique ultime

 

Une déflagration finale

Née d'un coup de foudre

En guise de sacrifice, le signe

Sans calcul, sans retour,

Que voici la comédie romantique ultime.

Voulez-vous des preuves ?

Happy end, bonheur conjugal

Et cerise sur le gâteau

Un beau bambin à la clé.

Le genre de dénouement

Qui fleure bon celui de Taxi Driver

Tout va mal finir, c'est sûr,

la folie du personnage principal

Le perdra forcément,

L'entraînera par le fond...

Et puis non ! Parce qu'il croit

Suffisamment fort à cette jeune femme, 

A leur histoire, à l'histoire du film…

C'est que Dheepan opère une vivisection en live

De "trois personnages en quête d'acteurs".

Au delà d'un sujet d'actualité brûlant

- l'intégration du nouveau venu dans une enclave,

pays dans le pays  -, l'entrée en matière nous familiarise

avec trois acteurs se cherchant, apprenant

Leur nouveau texte, incarnant

Les rôles respectifs qu'on leur assigne…

Le spectateur s'identifie d'autant mieux  

Que tous trois deviennent ses yeux, ses "deep eyes". 

Et comme souvent dans pareille situation,

La magie n'opère que lorsqu'ils finiront

Par y croire eux-même, lorsque de leurs tréfonds

L'amour surgira tout seul du genre tout-puissant,

Matriciel. Enseignement sacré. Tout est là.

S'enrouler à 3 autour d'un même thème,

Y faire naître du sentiment malgré 
 
l'austérité, le déracinement,

La discrétion et la pudeur.

Juste de quoi étouffer l'émotion

Assez longtemps pour qu'émerge

des ténèbres le bouquet final

Démentiel, organique,

Un feu d'artifices surgi des tripes,

Vécu de l'intérieur, à fleur de peau,

Au niveau quantique de nos poils dressés !

mercredi 15 novembre 2023

Brazil 1985. L'évasion ? Un art de vivre

 

Brazil, déploie tes ailes
Envole-nous,
Vole-moi dans les plumes,
Extraie de nos matières
Le fragile de l'argile
A ta manière, enjouée,
A ta façon, agile,
Les échos mélancoliques
A l'étouffée, de nos Bossas.
Ton baiser sur ma joue ?
Un battement de cils pour m'évader.
Rêveur aux anges, m'immergeant,
Me laissant porter sous ton zèle,
Ou comment échapper aux griffes
De ces vies "prospectus"
Par ta vision tendre et chaude,
Ode à la résistance, sur un mode vivace,
Face au monstre invisible, implacable
Tapi au coin de chaque petite rue 
De la grande cité étouffante :
Boa constrictor qui fait les yeux doux
Pour mieux nous réduire au silence éternel.

lundi 13 novembre 2023

The Killer. David Fincher. Son nom est personne


La dernière image ? Le divin face à face Fassbinder / Swinton dans un restaurant cossu où ne subsistent que le superflu, les apparences, les plaisirs de la table pour oublier, de petits expédients de circonstances dans un cadre aussi fastueux que glacial. Sorte de purgatoire avant l'heure. Qui juge ? Qui est jugé ? Fabuleux moment où chacun devient le miroir de l'autre, où la mort imminente de l'un préfigure déjà celle à venir de l'autre, où l'un fait siennes les pensées de l'autre, où l'Ours de l'histoire (le destin) sussure au chasseur devenu chassé : "Il n'y a pas de fumée sans feu, tout ce qui arrive, ne l'aurais-tu pas un peu cherché après tout ?"

The Killer comme souvent avec Fincher est en avance sur son temps. Il prend les devants et à rebours  un genre immortalisé par Melville dans Le Samouraï. Point Blank et Boorman ne sont pas loin non plus d'ailleurs avec un Lee Marvin tirant le fil d'Ariane pour remonter jusqu'à sa cible éparpillée sur le globe dans un mouvement artistique qui tend vers l'abstration, l'immatériel, l'écume d'une idée de vengeance. Transfiguration géniale de la lutte des classes où l'ouvrier revanchard découvre que l'exploitant n'a pas forcément de visage dans une société de la dématérialisation, de l'internationalisation, de la  mondialisation, de la bulle spéculative prête à chaque nouvelle seconde à éclater au bord des lèvres d'un tueur silencieux. Qui parle si peu. Qui pense si fort. Aussi fort que ses petits rituels censés conjurer le sort.

Ce qui fait mouche avec Fincher c'est cette certitude que le "killer" n'est pas qu'une série B bien troussée (trois ou quatre séquences déjà mémorables : l'introduction, le combat dans la pénombre, le restaurant, toute la séquence finale sans un coup de feu - résilience quand tu nous tiens). The Killer est une métaphore filée de la génération start-up avide de gros sous, de ces "killers in the corp" prêts à nous vendre du vent pour se remplir les poches... En France, dans les années 80, on avait déjà coutume de dire, "lui là, c'est un killer"... Valeur cardinale ! Comme si être un tueur et gagner beaucoup d'argent valaient mieux que d'avoir une colonne vertébrale, des valeurs, un cadre moral. Mais dans The Killer comme dans les affaires, pas de sentiments, loi du marché, les paradis fiscaux qui prévalent, qui font rêver, pas d'autre ancrage ici que le cloud, des miles en veux-tu en voilà dans tous les rêves jusqu'à rendre jalouse une hôtesse d'accueil de l'aéroport. Au programme ? Désincarcération, décorporation jusqu'au 77ème étage avec vue imprenable sur un nombril, chacun ici est seul, vit collé serré avec ses écrans, son chauffeur, ses places attitrées dans les beaux restaurants, ses voix de (ré)confort au bout de la ligne.... Le tout technologique boucle l'âme, libère l'égo pour une déconnexion progressive de chacune et chacun avec le réel... Et dans ce chaos millimétré, le personnage incarné par Fassbinder qui campe si bien l'obsolescence, l'absence à soi (ces paroles répétées a l'envi pour exécuter mécaniquement son programme de nettoyage), l'appât du gain sans jamais essayer de comprendre pourquoi il fait ce qu'il fait, commence à comprendre enfin une fois son heure passée, une fois l'erreur commise, dès que le grain de sable enraye sa belle machine. Il retrouve alors une forme d'enracinement, d'étincelle d'humanité, dès lors qu'il prend l'engagement (viscéral) auprès du frère de sa compagne de casser le cycle infernal à l'oeuvre. Cycle qui s'achèvera d'ailleurs sans la moindre effusion de sang. 

Ainsi, de déchets en postiches, de poubelles (nuimériques ou pas) en fausses identités, d'hacking en irruption bien physique dans une propriété cossue de Los Angeles, The Killer démontre comment le capitalisme a vidé de sa substance l'interaction fondamentale des êtres entre eux. C'est ainsi que la valeur d'une parole (cette promesse finale de la cheville ouvrière au grand patron) prend toute sa force car une poignée de main, un mot, un regard, valent signature en bas d'un contrat virtuel entre deux hommes qui se voient, s'écoutent et se comprennent enfin. L'obéissance s'est faite autonomie, la routine  de sang est devenu prise de conscience ouvrant la voie à de nouvelles habitudes. Sans coup de feu. Un engagement commun pacifique dont il ne reste aucune autre trace que ce dont nous, le spectateur, avons été les témoins privilégiés.

Il s'agit donc pour finir de revenir à l'essentiel. L'interaction de deux humains réinjectant le temps d'un échange au sommet d'une tour un peu d'humanité, dans ce monde arctique, désossé, où chacun finit par ne plus savoir qui est l'autre, quel est son nom, où plus personne ne sait où il habite, d'où il vient, ce qui le porte, quel est au fond le sens de sa présence au monde...

La forme et la narration, coupantes comme du rasoir, sans fioritures, brillantes, permettent à l'instar d'Un tueur sur la route (James Ellroy) d'entrer opportunément dans les pensées de ce tueur à gages. Opération rendue possible par cette séquence d'introduction qui ne fait pas que rendre brillamment hommage à Fenêtre sur cour  d'Hitchcock, qui éclaire notre monde où nous sommes tous à la merci d'un regard, d'une caméra, d'un hacker, d'une balle perdue... Nous sommes bien dans sa tête, écoutant sa musique, pour mieux entrer non pas en empathie (quoi que) mais en résonnance, en intelligence avec tout ce que la problématique de The Killer met en branle par la suite, pour lui, ses valeurs (quelles sont-elles ?) et la finalité supposée du capitalisme : pour mieux amasser, effaçons l'Homme, notre trace, qui sait  ?            

dimanche 5 novembre 2023

Le gouffre aux chimères


La dernière image ? Kirk Douglas s'élevant dans les airs pour rejoindre la sommet de sa pyramide rêvée et déclarer solennellement que la fête (The Big Carnival) est finie !

Tout est dans cette séquence qui prouve à quel point le génie s'exprime pleinement quand la forme (la mise en scène, le choix des comédiens) et le fonds (l'histoire, le découpage, le scénario) se répondent divinement.

Le Gouffre aux Chimères est un chef d'oeuvre d'une intelligence rare, il est surtout précurseur de cette prémonition de Wharol expliquant l'époque qui venait, la malédiction du quart d'heure de célébrité, l'emballement médiatique autour d'un évènement aussitôt chassé par un autre... Le désert puis Woodstock puis le désert... Et le Léo qu'on affame, qu'on maintient sous respirateur artificiel le temps que les "likes" aient atteint le sommet attendu... Quelle modernité !

Le portrait de ce journaliste à la recherche du scoop ultime et prêt à tout pour l'obtenir, trouvant dans le shériff un allié de circonstances pour en faire le Roi d'un jour. manipulant la future veuve qui doit rester éplorée pour le bien de "sa" narration, faisant à la pointe de sa plume la pluie et le beau temps, est d'un cynisme, d'une clairvoyance, d'une puissance sans pareil. C'est aussi au vitriol le miroir tendu à une Amérique peu ragoûtante qui risque, à mépriser toute morale, de finir par réveiller la colère des esprits du lieu qu'elle a profané.