mercredi 24 novembre 2010

Clint Eastwood. Rope burns. Million dollar Baby. FX Toole. Burbank. Malpaso.

To :

Malpaso Productions
(Production Company)
4000 Warner Blvd.
Bldg. 81
Burbank, CA 91522-0811
USA

Douala, le 1er octobre 2008

Dear Clint,

J'ai toujours cru aux signes et s'il est ici et maintenant besoin d'en apporter la preuve, il me suffira de vous faire écouter la petite musique d'une histoire singulière, étonnante à beaucoup d’égards, qui pourrait être la nôtre, celle de services rendus par procuration, de la naissance d'une communauté d'esprit vertueuse.


Tout commence en 2002, je vis alors à Paris et le hasard me fait découvrir une nouvelle extraordinaire, Million Dollar Baby, dans un recueil qui ne l’est pas moins – Rope Burns (FX Toole). J'en propose alors l’idée à un ami producteur justement à la recherche d’un écrit sur la boxe anglaise à adapter au cinéma. Mais je devais manquer d’aptitude à convaincre, son intérêt s’étant finalement porté sur une nouvelle de Tenessee Williams, Le Boxeur Manchot, qui n’aura d'ailleurs pas vu le jour.

Deux ans plus tard, votre Million Dollar Baby sortait outre atlantique puis dans le monde avec le succès qu’on lui connaît. Je me rappelle de la fierté ressentie, brièvement habité que je fus par le sentiment agréable d’avoir identifié le considérable potentiel cinématographique d'une nouvelle littéraire, en somme convaincu de posséder en la matière quelques qualités.

Et puis comme souvent, j’ai tout oublié, le temps a repris du service jusqu’à une fameuse après-midi, nous sommes en 2005, dans une période lugubre où la confiance m’avait lâchement abandonné - mon quotidien de l'époque est celui d'un cyclothymique qui s'ignore, naviguant d'un pôle à l'autre avec frénésie, hors de tout contrôle. Je travaille alors à l’édition de films en DVD pour le marché français. En ce jour mémorable, je me retrouve par hasard nez à nez avec l'ami producteur venu présenter un film. Il me dit immédiatement avoir beaucoup pensé à moi ces dernières années. Surpris, comme frappé d'aphasie, je lui demande pourquoi. Il m’invite alors à me retourner. Sur le mur dans mon dos s’étalait l’affiche de Million Dollar Baby. Une revigorante expérience avec le recul.


Nous sommes à présent début 2006. Je passe beaucoup de mon temps libre à exhumer des films plus ou moins connus qui ont en commun la malchance de ne pas exister en DVD, et qui pour certains n'ont jamais été exploités en salle ni même diffusés à la télévision. Véritable trésor pour tout cinéphile qui se respecte, ces pépites, une fois rassemblées, constituent le catalogue impressionnant de StudioCanal : plus de 5000 films dont 90% dort dans les cales poussiéreuses d’un entrepôt sous la forme de bobines essentiellement.

Au cours des premiers visionnages, vécus comme la périlleuse mission d'un aventurier de tant d'arches perdues, qui me procurent ce sentiment unique, celui d’être un pionnier, un chercheur d'or, je tombe sur ce qui est à mes yeux une merveille, un film injustement oublié dont je décide à dessein de faire l’apologie sur un site internet français (www.dvdrama.com) sous le pseudo Iker De La Vega. Mon but étant à la fois de le faire connaître et d’avoir un argument de poids auprès de ma hiérarchie pour le proposer à l’édition DVD. Ce film, c’était The Changeling (Peter Medak, 1980). Ma seule conviction, hélas, ne suffira pas, malgré l’article que je brandis furieusement, preuve inaltérable de l'existence d'un marché de niche, même de nichette confidentielle ! Je m’étais naturellement bien passé de dire que j’en étais l’auteur pour ce qui restera comme mes débuts réussis en schizophrénie.


Depuis octobre 2006, je vis en Afrique, plus précisément au Cameroun. Il y a peu, des ex-collègues m‘ont appelé, enthousiastes, pour m’expliquer que votre dernier projet portait le nom du film pour lequel je m’étais battu en interne 2 ans auparavant… J'étais abasourdi, The Changeling ! Après Million Dollar Baby, ça ne pouvait pas être une coïncidence. Par 2 fois. Avions-nous les mêmes coups de cœurs pour les mêmes objets cinématographiques ou littéraires dans un timing aussi parfaitement synchronisé ? Il fallait que je vous contacte, et que je vérifie d'abord l'information. Après quelques recherches, j’ai vite compris que les 2 films n’avaient en réalité rien en commun, et que votre The Changeling n'était pas du tout le remake de celui de Peter Medak, comme je l'avais secrètement espéré. Mais la surprise et le bénéfice étaient finalement ailleurs.


Cet effet d’annonce avait fait germer chez mes anciens patrons l'idée tellement rationnelle que le moment était venu pour eux, à la faveur de ce malentendu propice, d'éditer le film de 1980, l'opération pouvant désormais présenter quelques garanties sur le plan économique. The Changeling version 1980 a donc vu le jour en DVD grâce ce que je peux maintenant désigner comme votre indirecte et bienveillante intervention.

Je n’ai pu m’empêcher de voir dans tout ceci un peu de ce qui façonne les belles destinées, les jolies histoires. Beaucoup de hasard constructif. Comme si par 2 fois, vous m’aviez involontairement, inconsciemment redonné le courage et l’envie de croire en mes idées.

Voilà, je voulais qu’une trace de tout ceci, même dérisoire, subsiste quelque part entre Douala et Burbank ! Je vous l’ai dit, je crois aux signes.

Mes dernières pensées, respectueuses, admiratives surtout, s’adressent avant tout au blondin taiseux de la trilogie Leonienne qui a bercé ma jeunesse, immortels son détachement, son cynisme, son pessimisme sous vos traits. Mémorable aussi la fragile figure de John Mc Burney dans le génial The Beguiled (Don Siegel, 1971). Je remercie enfin le réalisateur de Play misty for me, High Plain Drifter, Outlaw Josey Wales, Unforgiven, Mystic River, Million Dollar Baby, Gran Torino, The Changeling, celui qui est aujourd'hui, à juste titre, reconnu pour l’immense talent qui fut toujours le sien.

Pour tout cela, merci et So long Blondy !