jeudi 25 juillet 2019

Parasite


Je l'ai vu hier dans les meilleures conditions possibles. Cinéma. VOST. Et bien je ne comprends pas. Je ne comprends pas cette pluie de louanges. Je trouve l'ensemble tellement prévisible, pas fin, dénué du talent qui irradiait dans Memories of murder, Mother voire The Host...  

Le film est d'abord sur le plan de la mise en scène assez quelconque si l'on excepte le segment de la découverte des sous-sols de la maison (très Dariargentesque époque Phenomena) et la scène d'inondation dans le quartier où vit la famille Shameless - Quand on a vu la série avec William H Macy on peut trouver à juste titre au point de départ narratif de Parasite comme des airs de déjà vu. La scène introductive est d'ailleurs emblématique de ce que sera le film. On est clairement dans une bouffonnerie où les personnages sont aussi caricaturaux que les Groseille dans la Vie est un long fleuve tranquille. On est dans le parfait archétype du théâtre de boulevard avec beaucoup de provocation, de la vulgarité assumée, des dialogues interminables et où les personnages sont tellement campés dans une posture qu'ils semblent assurés de ne pas évoluer ou si peu... D'ailleurs, dans leur trou à rats, ce qui ressort de cette famille c'est... la solidarité. Bien sûr ! On vit avec peu mais on vit sans accroc, avec une parfaite complicité de tous les instants. Pas une querelle, le parfait amour en famille... Etrange raccourci.

Une fois leur forfait imaginé en toute simplicité et l'intrusion "familiale" achevée en deux temps trois mouvements avec une facilité déconcertante (ils font chacun preuve d'un parfait sang froid, ne sont jamais mis en difficulté par leurs hôtes d'une naïveté confondante) ils ne vont plus faire qu'accentuer une trajectoire sans aucune alternative possible vers la thèse défendue par le film que je résume ici :

"Que vous partiez d'en bas, que vous profitiez brièvement d'un concours de circonstances pour vous élever socialement, vous restez ce que vous êtes, votre odeur / extraction vous trahira toujours, cette promotion n'est qu'une illusion, vous êtes et restez parmi celles et ceux qui vivent en bas..."

Dans Théorème, l'intrusion de la pièce rapportée bouscule les codes et transforme de l'intérieur la famille... Dans The Servant, on est pris dans une jeu de manipulation où les tenants et les aboutissants comme notre perception évoluent au gré de l'intrigue... Ici, le grain de sable qui peut faire point de bascule, c'est le retour improbable de l'ancienne intendante qui va on l'espère ouvrir une nouvelle perspective (on pense à un changement de paradigme, un retournement bienvenu vers un genre différent, l'horreur ?) et puis non... Ce basculement n'est là que pour révéler un petit secret de polichinelle et pour mieux ramener les anciens et les nouveaux employés vers leur condition commune de "gens du dessous", accentuant par là-même la pente narrative vers un dénouement où on va nous rappeler que c'est toujours les plus démunis qui payent les pots cassés... Et que c'est même leur sens de la solidarité qui les perdra : tout s'enraye en effet quand la famille Shameless se met d'accord pour aller donner à manger à l'ancienne intendante et son mari malade.

Pendant ce temps, on a essayé de nous faire croire que cette famille pleine aux as (dont le "chef" est forcément quelqu'un qui pour réussir dans les affaires a du savoir à tout le moins faire preuve de cynisme et de méchanceté pour s'élever socialement) est toute gentille, toute innocente, n'a aucune vie sociale, aucun autre moyen pour s'entourer de personnel que d'écouter un prof d'anglais débarqué de nulle part alors que curieusement la séquence finale les dépeint à nouveau comme ayant une vie mondaine et des relations (ce qui dans la vraie vie est à la source de tous les placements et choix de relations dans ces milieux où la cooptation, le réseau et l'entregent sont essentiels).

Cette même famille candide à l'excès qui rentrant du pique-nique raté sent l'odeur du père des Shameless mais pas celle des litres et des litres d'alcool ingurgités pendant tout le temps qu'aura duré l'aller-retour ??? Famille Shameless qui ouvre à l'ancienne intendante au risque de se griller totalement ???? Encore de bien étranges raccourcis narratifs.

Le drame final est tout aussi mal amené, bâclé, truffé de lourdeurs, d'allers-retours inutiles entre le bunker souterrain et la maison... Pour finir, ça n'en finit justement plus, le procès, le retour chez soi, la découverte de l'endroit où se terre le père (on s'en doute rapidement...). Décidément, interminable Parasite, bavard et pas vraiment drôle.

Alors voilà. J'ai compris. Prenez un film sympathique du calibre de la Soupe aux choux (je repense ému à la séquence interminable d'inspection de la culotte dans la cuisine, ou celle de la fille sur les toilettes qui débordent pendant l'inondation, voire de la scène de caresses dans le salon sous le nez des Shameless alors qu'un enfant se trouve juste en face dans le jardin sous un déluge torrentiel, quoi de plus logique), tournez-le en Corée du Sud et vous verrez, à Cannes, on criera au chef-d'oeuvre.  Etrange époque...

lundi 8 juillet 2019

Get Out. Jordan Peele

J'en avais tellement entendu parler. Très souvent, c'est la déception qui prédomine (je me rappelle de Usual Suspects qu'on m'avait tellement survendu. Plus récemment The Guilty, assez quelconque exercice de style dans la veine de la série Calls). Probablement grâce au fait qu'il se termine sur une note légère, qu'il n'est pas dénué d'un humour salvateur (le copain du héros est là pour irriguer le film de cette fraîcheur bienvenue), j'ai plutôt apprécié. Comme je suis sensible au choix des musiques (particulièrement celle qui accompagne le chemin à l'aller puis le générique de fin), au ton décalé, à l'originalité de la pensée qui s'incarne à l'écran, au jeu des acteurs (tous épatants, notamment dans cette capacité à changer du tout au tout leurs expressions de visage au gré du poison qui baigne leurs âmes). Ainsi que la mise en scène mais pas immédiatement. La première partie est plutôt quelconque de ce point de vue. C'est quand les enjeux dramatiques prennent une dimension aigüe que le travail sur le son, l'image et le rythme devient bluffant.

Mais à y repenser, le métier d'origine de Jordan Peele (humoriste) est forcément pour beaucoup dans l'angle d'attaque, genre et sujet confondus (l'épouvante et le racisme ordinaire)... Un merveilleux sketch ne commencerait pas autrement : "tu sais pas ? j'ai découvert que ma copine blanche avant moi sortait déjà qu'avec des blacks... Trop chelou qu'elle m'ait rien dit... Surtout quand elle m'a précisé que son père ne jurait que par Obama... Ca cache quelque chose moi je dis. C'est comme le gars raciste qui dit qu'il a de très bons amis musulmans...". Même accroche de sketch avec la réflexion sur le Noir traître à ses origines qui parlerait comme un Blanc... "J'ai été chez les parents de ma copine blanche justement. Son pote black d'enfance, laisse tomber mec, il parle comme un blanc, il sert la main comme un blanc... C'est un bounty mec. Noir dehors blanc dedans". C'est d'ailleurs le deuxième postulat du film. Des Blancs racistes sur les bords veulent entrer littéralement dans la peau de jeunes noirs... Jordan Peele a pris ce postulat au pied de la lettre. S'ajoute à toutes ces observations le vécu et le nécessaire ajustement qu'a dû élaborer Peele dans sa jeunesse en sa qualité d'enfant né d'une double culture, pour se confronter et à la communauté noire américaine et dans le même temps à celle de sa famille blanche héritière d'une tradition possiblement WASP. Une histoire d'ajustement et de codes à intégrer qui transpire et donne au film une certaine authenticité.

La genèse devient dès lors plus lisible. Il est question par le biais d'une problématique vécue de l'intérieur par Jordan Peele de donner à comprendre comment l'on s'adapte aux convenances sociales et comment l'on choisit les masques de circonstance en société. Le film ne dit pas autre chose. Repas, présentation aux parents, beaucoup de non dit et la pièce rapportée devant lutter avec tout ce qui s'agite en lui dont un passé traumatique, une culpabilité liée à sa mère.. Et derrière son histoire c'est l'histoire de tous les descendants d'esclaves qui flotte, qui pèse sur ses frêles épaules et qui l'entraîne vers le fond de son "gouffre de l'oubli". En filigrane ce qui se joue dans cette famille et ce décor "sudiste" dont on imagine autour des champs de coton à perte de vue, c'est évidemment l'esclavage encore frais dans les esprits nords-américains.

Voilà ce que je retiens si je ne peux pas faire la fine bouche : un talent singulier pour allier épouvante, distanciation par un humour bienvenu, message politique sur les handicaps avec lesquels les membres d'une communauté doivent composer sur le chemin de leurs épopées individuelles...

En revanche, si l'on veut être honnête, le film n'est pas exempt de gros défauts qui agacent et affaiblissent son impact. Défauts qui selon moi proviennent d'une difficulté à choisir entre fable  fantastique et chronique plus terre à terre d'un scabreux fait divers. Cette dernière option semble privilégiée à travers les diverses révélations et oblige donc à une certaine cohérence des éléments de narration or il s'avère que le projet diabolique en gestation est surtout construit sur du sable. D'abord si l'on dissèque la façon d'opérer de ces prédateurs agissant sur le mode familial et même communautaire, il y a trop de choses qui clochent. La séquence d'introduction, déjà, pas bien crédible (masque + étranglement arrière + phrase lourdement soulignée sur la présence d'un noir mal vécue dans un quartier blanc, ça fait beaucoup...). Dans un tel contexte, la famille Frankenstein devrait aller chercher et enlever des gens que personne n'attend plus nulle part. Des SDF, des gens à la marge, des laissés pour compte, des originaux (comme dans Wolfen). Le fait de choisir des cibles (ici un photographe) avec une vie sociale est peu crédible. On s'expose à connaître leurs meilleurs amis qui pourront dès lors tranquillement mener l'enquête dès la disparition constatée !!! Même faiblesse lorsqu'on laisse le héros appeler son pote à de nombreuses reprises pour dire ses doutes et lui mettre "des rats dans la tête"... Tu faisais disparaître le téléphone dès le début et basta ou tu faisais en sorte qu'il n'y ait pas de réseau sur place... Elle pouvait même lui vendre le truc "On se fait un week-end sans portable. Week-end detox", bref...  De même qu'il semblait plus aisé dans cette lecture réaliste de le droguer dès le premier repas plutôt que de passer par une hypothétique séance d'hypnose à base de tasse et de cuillère en comptant sur le fait qu'il ait envie de fumer une cigarette au coeur de la nuit... Mouais. Et s'agissant de ces employés de maison, pourquoi en faire des employés puisque leurs pensées sont désormais celles de Papy et Mamie Whitee ? Autant les présenter comme un couple ami de la famille ? Et côté expérimentations à la Frankenstein pour finir, c'est franchement too much. Difficile d'adhérer à cette idée de vente aux enchères suivie de décapsulage de calotte crânienne... D'ailleurs, le film passe trop rapidement sur la genèse du projet "dingo-agula" de la petite famille barrée tout comme il enchaîne limite bâclage le dénouement jusqu'au happy end. On sent que ça intéresse moins Jordan Peele. L'arrivée du copain en voiture de police (malgré le clin d'oeil final à La nuit des Morts-Vivants et à la bavure policière contre les noirs banalisée aux US ces dernières années) pour finir est de ce tonneau-là... Comment est-il arrivé par lui-même ? Que fait-il au volant de cette voiture de police tout seul ? On ne s'embarrasse pas d'explications et c'est un peu dommage tout de même...

Bon mais voilà, au final, je passerai sur cette erreur d'appréciation et d'arbitrage entre réalisme et onirisme et je ne retiendrai que l'essentiel et le positif à mes yeux : un film d'horreur original, non dénué d'humour et et qui a quelque chose à dire, et bien, ça faisait sacrément longtemps.

mardi 2 juillet 2019

Le tailleur de Panama. John Boorman


Le résultat manque un peu de personnalité (surtout quand on connaît le génie visuel et musical de John Boorman). John Le Carré est d'ailleurs probablement pour beaucoup dans ce qui fait le sel de ce très intéressant Tailor of Panama.

Mais il reste que Pierce Brosnan a rarement été utilisé à contre emploi comme ici, que Geoffrey Rush confirme qu'il est le digne héritier de Peter Sellers (le temps d'un film), que Jamie Lee Curtis est aussi rare que j'ai de plaisir à la retrouver.

Et puis John Boorman a finalement le bon goût de s'aventurer dans un genre difficile à définir... On oscille entre comédie, satire politique, drame social, film d'espionnage... The Tailor of Panama est d'abord l'un des premiers films à  dépeindre si intelligemment la vie d'"expatriés" dont les centres d'intérêt varient à la marge (les soirées mondaines, le sexe, l'argent, les intrigues, les coulisses du pouvoir). Un monde d'apparat, de faux semblants où chaque expatrié peut dissimuler une vie antérieure peu glorieuse, des intentions peu louables... C'est pourquoi le film se présente rapidement comme la version la plus réaliste qui soit d'une aventure de James Bond... Pierce Brosnan (pas choisi par hasard) y dévoile ce qui pourrait bien être le vrai visage des espions occidentaux se révélant de véritables manipulateurs, capables de briller en société, de nourrir des intrigues à partir de rien, de vide intersidéral, créant de toutes pièces des informations confidentielles pour arriver cyniquement à leurs fins... Un prestidigitateur doublé d'un incorrigible érotomane. Voilà son personnage qui vit d'addictions en tous genres l'amenant par ondes de choc successives à provoquer sur un malentendu l'entrée en guerre d'une grande puissance et la mort d'innocents... C'est alors que le film devient un digne héritier de Docteur Folamour mais plus profond que son aîné : cette mélancolie qui baigne le film est possible grâce au personnage de Geoffrey Rush, à sa candeur, à son imparfaite humanité, à son idéalisme, à sa relation si singulière avec sa femme...

Voilà donc un film un peu convenu dans sa forme,  mais qui mérite amplement le détour pour ces quelques raisons, parvenant aisément à passer de la blague potache (la séquence dans un club homo) à des instants d'une noirceur insondable (le suicide de l'ami du tailleur). C'est toute la force et le prix de cet admirable Tailor of Panama.