lundi 8 juillet 2019

Get Out. Jordan Peele

J'en avais tellement entendu parler. Très souvent, c'est la déception qui prédomine (je me rappelle de Usual Suspects qu'on m'avait tellement survendu. Plus récemment The Guilty, assez quelconque exercice de style dans la veine de la série Calls). Probablement grâce au fait qu'il se termine sur une note légère, qu'il n'est pas dénué d'un humour salvateur (le copain du héros est là pour irriguer le film de cette fraîcheur bienvenue), j'ai plutôt apprécié. Comme je suis sensible au choix des musiques (particulièrement celle qui accompagne le chemin à l'aller puis le générique de fin), au ton décalé, à l'originalité de la pensée qui s'incarne à l'écran, au jeu des acteurs (tous épatants, notamment dans cette capacité à changer du tout au tout leurs expressions de visage au gré du poison qui baigne leurs âmes). Ainsi que la mise en scène mais pas immédiatement. La première partie est plutôt quelconque de ce point de vue. C'est quand les enjeux dramatiques prennent une dimension aigüe que le travail sur le son, l'image et le rythme devient bluffant.

Mais à y repenser, le métier d'origine de Jordan Peele (humoriste) est forcément pour beaucoup dans l'angle d'attaque, genre et sujet confondus (l'épouvante et le racisme ordinaire)... Un merveilleux sketch ne commencerait pas autrement : "tu sais pas ? j'ai découvert que ma copine blanche avant moi sortait déjà qu'avec des blacks... Trop chelou qu'elle m'ait rien dit... Surtout quand elle m'a précisé que son père ne jurait que par Obama... Ca cache quelque chose moi je dis. C'est comme le gars raciste qui dit qu'il a de très bons amis musulmans...". Même accroche de sketch avec la réflexion sur le Noir traître à ses origines qui parlerait comme un Blanc... "J'ai été chez les parents de ma copine blanche justement. Son pote black d'enfance, laisse tomber mec, il parle comme un blanc, il sert la main comme un blanc... C'est un bounty mec. Noir dehors blanc dedans". C'est d'ailleurs le deuxième postulat du film. Des Blancs racistes sur les bords veulent entrer littéralement dans la peau de jeunes noirs... Jordan Peele a pris ce postulat au pied de la lettre. S'ajoute à toutes ces observations le vécu et le nécessaire ajustement qu'a dû élaborer Peele dans sa jeunesse en sa qualité d'enfant né d'une double culture, pour se confronter et à la communauté noire américaine et dans le même temps à celle de sa famille blanche héritière d'une tradition possiblement WASP. Une histoire d'ajustement et de codes à intégrer qui transpire et donne au film une certaine authenticité.

La genèse devient dès lors plus lisible. Il est question par le biais d'une problématique vécue de l'intérieur par Jordan Peele de donner à comprendre comment l'on s'adapte aux convenances sociales et comment l'on choisit les masques de circonstance en société. Le film ne dit pas autre chose. Repas, présentation aux parents, beaucoup de non dit et la pièce rapportée devant lutter avec tout ce qui s'agite en lui dont un passé traumatique, une culpabilité liée à sa mère.. Et derrière son histoire c'est l'histoire de tous les descendants d'esclaves qui flotte, qui pèse sur ses frêles épaules et qui l'entraîne vers le fond de son "gouffre de l'oubli". En filigrane ce qui se joue dans cette famille et ce décor "sudiste" dont on imagine autour des champs de coton à perte de vue, c'est évidemment l'esclavage encore frais dans les esprits nords-américains.

Voilà ce que je retiens si je ne peux pas faire la fine bouche : un talent singulier pour allier épouvante, distanciation par un humour bienvenu, message politique sur les handicaps avec lesquels les membres d'une communauté doivent composer sur le chemin de leurs épopées individuelles...

En revanche, si l'on veut être honnête, le film n'est pas exempt de gros défauts qui agacent et affaiblissent son impact. Défauts qui selon moi proviennent d'une difficulté à choisir entre fable  fantastique et chronique plus terre à terre d'un scabreux fait divers. Cette dernière option semble privilégiée à travers les diverses révélations et oblige donc à une certaine cohérence des éléments de narration or il s'avère que le projet diabolique en gestation est surtout construit sur du sable. D'abord si l'on dissèque la façon d'opérer de ces prédateurs agissant sur le mode familial et même communautaire, il y a trop de choses qui clochent. La séquence d'introduction, déjà, pas bien crédible (masque + étranglement arrière + phrase lourdement soulignée sur la présence d'un noir mal vécue dans un quartier blanc, ça fait beaucoup...). Dans un tel contexte, la famille Frankenstein devrait aller chercher et enlever des gens que personne n'attend plus nulle part. Des SDF, des gens à la marge, des laissés pour compte, des originaux (comme dans Wolfen). Le fait de choisir des cibles (ici un photographe) avec une vie sociale est peu crédible. On s'expose à connaître leurs meilleurs amis qui pourront dès lors tranquillement mener l'enquête dès la disparition constatée !!! Même faiblesse lorsqu'on laisse le héros appeler son pote à de nombreuses reprises pour dire ses doutes et lui mettre "des rats dans la tête"... Tu faisais disparaître le téléphone dès le début et basta ou tu faisais en sorte qu'il n'y ait pas de réseau sur place... Elle pouvait même lui vendre le truc "On se fait un week-end sans portable. Week-end detox", bref...  De même qu'il semblait plus aisé dans cette lecture réaliste de le droguer dès le premier repas plutôt que de passer par une hypothétique séance d'hypnose à base de tasse et de cuillère en comptant sur le fait qu'il ait envie de fumer une cigarette au coeur de la nuit... Mouais. Et s'agissant de ces employés de maison, pourquoi en faire des employés puisque leurs pensées sont désormais celles de Papy et Mamie Whitee ? Autant les présenter comme un couple ami de la famille ? Et côté expérimentations à la Frankenstein pour finir, c'est franchement too much. Difficile d'adhérer à cette idée de vente aux enchères suivie de décapsulage de calotte crânienne... D'ailleurs, le film passe trop rapidement sur la genèse du projet "dingo-agula" de la petite famille barrée tout comme il enchaîne limite bâclage le dénouement jusqu'au happy end. On sent que ça intéresse moins Jordan Peele. L'arrivée du copain en voiture de police (malgré le clin d'oeil final à La nuit des Morts-Vivants et à la bavure policière contre les noirs banalisée aux US ces dernières années) pour finir est de ce tonneau-là... Comment est-il arrivé par lui-même ? Que fait-il au volant de cette voiture de police tout seul ? On ne s'embarrasse pas d'explications et c'est un peu dommage tout de même...

Bon mais voilà, au final, je passerai sur cette erreur d'appréciation et d'arbitrage entre réalisme et onirisme et je ne retiendrai que l'essentiel et le positif à mes yeux : un film d'horreur original, non dénué d'humour et et qui a quelque chose à dire, et bien, ça faisait sacrément longtemps.

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