mardi 28 février 2023

Coupez !

La dernière image ? C'est ce final sympathique et cette pyramide humaine qu'on appelle Castells en Catalogne... Cette péripétie qui rappelle l'idée collective que sert et nourrit un film. J'aime bien cette image qui m'a rappelé quelques improvisations du même acabit lorsqu'au sein d'une assoce video, il fallait trouver les idées pour réussir un travelling quand on n'avait qu'un fauteuil roulant dans les couloirs souterrains de l'école ;)  

Côté construction narrative, l'idée du 2 temps est également intéressante... Réflexion sur la fiction dans la fiction, le cadre puis l'envers du décor qui vient éclairer de façon ludique l'ensemble tout en rendant hommage aux premières amours pour les mouvements de caméra à deux balles et trois idées tissées de bric et de broc. Il y a aussi un peu des vies des personnages qui viennent éclairer les choix artistiques et états du moment des uns et des autres.

Mais il manque dans l'ensemble ce qui fait le prix de Soyez sympas, rembobinez par exemple. Ou des Fabelmans sûrement (je ne l'ai pas vu encore) C'est à dire, une âme, c'est à dire de pouvoir raconter de l'intérieur le pourquoi de cette folie, de cette passion qui vous anime, les raisons profondes qui poussent à raconter des choses par le truchement d'un film. Coupez ! en reste à la bonne blague, à la pirouette (je veux ken, avez vous des z'obbies, le pastiche par l'acteur principal de la diction énervante de Cassel... La gastro du perch'man, l'alcoolisme de l'acteur secondaire en surpoids, les deux comédiens à remplacer in extremis...), Ces contraintes qu'il faut intégrer et franchir pour aller au bout du projet malgré tout... Métaphore "premier degré" et donc aisée de nos vies en construction. Et il manque surtout pour finir toutes les références (de ce genre de film) et discrets hommages qui auraient pu rattacher le film (de la première partie) à quelque chose d'essentiel... la filiation même lors d'un pastiche est vitale. C'est un coeur qui bat et vous permet de vibrer à l'unisson. Ici point de pouls hélas. Rien d'étonnant avec des zombies vous me direz...

dimanche 26 février 2023

La nuit du 12

La dernière image ? Ces deux gars paumés au portail (comme deux enfants) quand il s'agit de savoir qui va annoncer à la maman de la victime que sa fille est décédée la nuit d'avant... D'un réalisme et d'un force peu commune.  

Sinon voilà un film intéressant qui lorgne intelligemment du côté de Zodiac et de ses déductions géniales vite réduites à néant par les circonvolutions d'une enquête qui ne cesse (comme les personnages) de faire sa mue, de changer de paradygme, d'effacer une vérité incontestable par une autre tout aussi séduisante...

La force réside dans une volonté d'être anti-spectaculaire louable, une application tranquille, rassurante pour désosser les mécanismes d'une enquête, de sa résolution, en lui gardant les tics bienvenus je trouve du fim d'auteur à la française. De la réflexion, de l élégance, un goût pour les silences, pour laisser le temps au personnage et au spectateur de faire connaissance. Tout ce dispositif tout en humilité, simplicité, patiemment déployé est vraiment appréciable. 

Ce que je reproche davantage au film, c'est cette petite musique d'une époque probablement qui veut (comme le répète un des personnages) qu'un genre soit en cause, que l'"Homme" quel que soit son visage (celui du meurtrier est d'ailleurs mangé par l'obscurité) soit un prédateur en puissance, que le problème de nos sociétés serait incontestablement le "masculin", qu'il prenne les traits du petit copain ou de l'aventure de passage... Ce message subliminal relègue soudain la magie, le mystère du film au rang de "film à message" un peu lourdingue je trouve. Ca en limite sacrément la portée. Après tout, ce qui retient l'attention quand les lumières se sont éteintes c'est justement comme pour Zodiac qu'on peut finir par se perdre dans les méandres de ses interprétations, qu'on peut même y laisser la raison... C'est l'effet qu'ont ces enquêtes insolubles sur le héros qui fascine je trouve, pas la nature des interrogations, et conclusions qu'on pourra en tirer sur les (vains) maux de l'époque ou sur le "Masculin" qui poserait question... Dans Gone Girl, David Fincher par exemple toujours à contre-courant pose un regard passionnant sur le mariage via le prisme d'un personnage féminin déviant et a la manœuvre pour en tordre le mythe et les principes fondateurs... Génie et ambiguité quand vous nous tenez !    

mercredi 15 février 2023

Knock at the cabin. Deuil pour deuil.

La dernière image ? La scène emblématique de la douche qui désamorce les rouages du genre, ou celle de la petite qui essaye d'échapper en vain aux griffes de l'"ogre" reprenant les codes familiers du conte...

Les grands films de huis-clos qui m'ont marqué reviennent facilement. La Corde et son couple homosexuel à l'honneur déjà, Evil Dead et sa cabane dans les bois, Les Oiseaux et sa maison calfeutrée, La nuit des morts vivants et sa cave irrespirable.

S'agissant de M Night Shymalan, je me rappelle évidemment de Signs. Mais je retiens surtout Le Sixième sens, j'y reviendrai.

Dans l'ensemble et pour commencer, je trouve difficile de critiquer un film qui contient plus de cinéma que tout se qui sort sur les écrans depuis belle lurette...

Côté mise en scène d'abord : science du hors champ, travail sur l'image, maîtrise formelle, inventivité visuelle, sens du rythme, infernal, nerveux, étouffant, alors que le réalisateur s'entête à contourner tous les "attendus" de ce genre de film, le revisitant de fond en comble, le révolutionnant pour ainsi dire. Des  personnages menaçants forcent l'entrée d'une maison, c'est pour mieux entourer les 3 héros de toute leur prévenance (pansement, conseil, pédagogie). Un sacrifice doit advenir c'est l'un des 4 qui trinque... Les codes semblent inversés et l'égoïsme supposé de la petite famille prend une dimension de plus en plus criante à mesure que le monde autour part en fumée. En cela, le film a déjà quelque chose de singulier à nous donner. Et tout don est par définition précieux. A chérir.

Côté acteurs, brochette franchement fantastique avec une mention spéciale pour Jonathan Groff cet acteur (déjà vu dans Mindhunter) qui va finir par y laisser sa vie en sacrifice :"Donne-moi la mort et je vous laisse la vie !" Ainsi que Dave Bautista tout en nuances, en vulnérabilité qui tranchent puissamment avec son imposant physique.

Mais je veux en venir au plus important. La thèse du film qui ferait la part belle aux illuminés de tout poil, nous expliquant que la fin du monde qui est là donnerait raison à ces "fous de Dieu" auxquels il manquerait une case ou deux... Je n'ai pas compris le film comme cela.

Reprenons les choses depuis leur commencement... La scène d'introduction. On est comme dans un rêve, au ralenti, dans les hautes herbes... Des gros plans, une lumière verticale mais diffuse. Quelque chose déjà nous dit que la réalité n'est pas forcément de ce monde. 

Avez-vous par ailleurs entendu parler de cette cabane vers laquelle on retourne en fermant les yeux lorsqu'il faut se retrouver ? S'échapper du réel ? Nous y voilà... La maison dans la forêt c’est le lieu où l’on se retrouve en pensée… Fermez les yeux et retournez dans cet endroit où vous vous sentez bien… La maison, le lac, les champs de fleurs, les sous-bois odorants, la route qui y mène est réchauffée par les rayons du soleil, on y chante à tue-tête. Mais les sauterelles du printemps ? Prisonnières d’une paroi de verre… En apparence elles sont en prise avec l’extérieur… Pourtant… Elles sont bien prisonnières du verre de ces bouteilles… Comme le spectateur que je suis.

Je parlais en préambule du Sixième sens (alors qu'on évoque souvent Signs comme référence principale, ce qui se justifie aussi) parce que le point de départ c'est évidemment l'agression (fatale) du psychologue divinement incarné par Bruce Willis. Ici il est également question d'une agression extrême dans le passé des deux personnages principaux ? Lequel d'ailleurs ? Eric ? Andrew ? Sont-ils interchangeables ? Le personnage victime des coups dans le passé survit-il ? En a-t-on la preuve ? La certitude ? Rien n'est moins sûr... Si l'on repense au Sixième sens,  le parallèle est éloquent, amène à s'interroger sur ce qui nous est donné à voir de ce monde étriqué, de ces personnages sortis de nulle part.

Alors quoi ? Une agression qui passe par des coups répétés sur le haut du crâne ? Comme dans le "présent", le personnage incarné par Eric lorsqu'il a ses difficultés à affronter la lumière vive ? Des séquelles déjà de coups violents reçus sur la tête... L'histoire se répèterait-elle ? Et pourquoi donc ces 4 cavaliers de l'apocalypse bienveillants se sacrifieraient-ils via des coups de boutoir assénés au même endroit, sur la tête, tout en haut ? Et quel heureux hasard ferait que l'un des illuminés soit justement l'agresseur surgi d'un passé traumatisant ? Une coïncidence ?

Quant à ces instruments de torture ne sont-ils dès lors pas une vision déformée de l'attirail du dentiste ou du chirurgien qui trifouille la matière grise de l'homme plongé dans un coma ? Tout ce qui permet d'opérer et d'ouvrir la boîte crânienne…

Les métiers des cavaliers (évoqués par chacun avec empathie) peuvent aussi évoquer le personnel intervenant autour d'un malade cloué sur un lit dans un coma profond depuis 13 longues années...  Une femme qui nourrit (aide qui apporte les repas), une autre qui soigne (infirmière qui prodigue les soins), le troisième, Leonard, d'après les informations qu'il nous donne a été barman (façon de justifier sa rencontre avec Redmond ? Façon de justifier sa présence dans le bar le soir de l'agression sur Andrew ?) mais il peut aussi bien incarner le docteur référent, le professeur… Celui qui peut décider de débrancher le patient avec l'accord du conjoint… MAIS IL N'Y A QUE LA FAMILLE ET ELLE SEULE QUI PEUT DECIDER. Il est aussi celui qui annonce à l'enfant qu'il "n'aime pas avoir à annoncer ce qui va arriver"... Discours typique du docteur annonçant à la famille une décision importante du corps médical. Un cas désespéré ? Je pourrais pousser le bouchon un peu plus loin en soulignant que l'inconscient s'exprime souvent jusque dans le choix des prénoms, des personnages...  Or Léonard à l'envers donne "Dr Anoel". Docteur en abréviation. On extrait aussi aisément de son patronyme les lettres formant "Noa/Noé" le guide d'avant l'apocalypse celui qui sélectionne et sauve des espèces, des vies,... La métaphore filée du médecin ? Mais oui ! En filigrane ce dernier peut comparer ses patients à des élèves dont il aurait la responsabilité... "Certains ont réussi nous dit-il , d'autres on échoué"... Entre les lignes certains sont en rémission d'autres n'ont pas survécu...

Andrew rappelle à Éric qu'il n'a plus les idées claires. Qu'il est fragilisé, qu'il mélange des choses. Qu'il est manipulé. Au point qu'Eric puisse imaginer par exemple Andrew victime d'O'Bannon dans le passé à sa place ? Possible.  Il se projette ainsi en lui pour mieux revivre la scène comme spectateur. Faisant face à Andrew. Au restaurant. Comme lorsque Leonard les installe ainsi dans la cabane. Face à face... Eric est naturellement ce patient possiblement cloué sur un lit comme on l'est sur une chaise et ligoté... Immobilisé ? L'engourdissement des jambes d'Andrew plus tard lorsqu'il se libère de ses liens fait écho à ce souvenir diffus d'un homme paralysé qui retrouverait brièvement les sensations vives de l'usage de ses jambes. Les distances sont d'ailleurs toutes courtes ici, l'univers clos. On ne voit jamais l'intérieur  des chambres. On ne peut que deviner des choses, comme depuis un lit d'hôpital où le seul univers est sa petite chambre aux draps blancs immaculés. Ceux qu'on glisse sur sa tête avant de tirer sa révérence par un coup sur le haut du crâne. Logique... Un malade ne connait vraiment de sa chambre que le lit, la porte (derrière laquelle on peut entendre des voix, deviner des silhouettes), la fenêtre et éventuellement la salle de bains où sont prodigués les soins (on la découvre bien ici dans une scène emblématique).

Evidemment dès lors ce qui revient en flashes back ce sont uniquement les moments les plus marquants de sa vie dans le positif (rencontre entre eux, avec leur fille adoptive) comme dans le négatif (Agression dans le café, premier repas avec les parents de l’un d’eux et la cruelle désillusion qui en découle).

Il faudrait nous dit-on sacrifier quelqu'un dans le "réel" du film... Or il est rapidement clair que le seul personnage autour duquel le destin du film se joue, celui dont il faudra faire le deuil pour les deux survivants (Wen et Andrew) c'est Éric et personne d'autre... C'est lui qui est assommé au début, qui a des migraines, qui souffre dans la lumière pénétrant de l'extérieur, qui comprend progressivement quelque chose d'essentiel... Que c'est en partant qu'il permettra à ceux qui lui survivent de reprendre le cours d'une vie plus normale. Une vie nouvelle. A New (Wen à l envers, trois lettres bien présentes aussi dans le prénom Andrew) life !

On pourrait même penser que le revolver aurait vraiment été acheté dans le passé par Andrew suite à l'agression d'Eric (toujours dans le coma) pour assouvir une vengeance contre l'auteur du crime (O'Bannon) retrouver sa trace... Sa voiture... mais que symboliquement en ne l'utilisant finalement pas contre autrui, en ne la retournant que "symboliquement" contre Eric (on ne voit jamais le moment du coup de feu), Andrew s'est libéré métaphoriquement de sa rage, de sa haine, de sa soif de vengeance, pour mieux pouvoir tourner la page.

Le film n'est qu'un long apprentissage du deuil.

Treize ans de coma peut-être et la décision prise ce fameux jour de débrancher Eric ? Peu importe, ce qui marque c'est l'intuition qu'Eric le comprend subtilement par étapes malgré la résistance d'Andrew qui lui répète "tu n'as pas les idées claires, tu as reçu un choc, ne les écoute pas, reste avec nous". C'est Eric qui prenant conscience d'être le frein à la marche de "leur monde" pousse finalement Andrew à le "tuer", le débrancher, Andrew qui symboliquement accepte de lui dire au revoir, Eric acceptant finalement son sort. Partir, se faire oublier, pour les laisser (re)vivre. 

La dernière scène est bien celle d'une famille recomposée : Andrew et Wen au volant d'une voiture, recréant la scène de la chanson à trois, du bonheur arraché qu'on est prêt à revivre à deux (tentative répétée de refaire partir la musique du poste comme à la grande époque), qui plus est dans la voiture du responsable de leur malheur (O'Bannon), façon de laisser comprendre que le pardon est accordé, que le deuil est assumé, que la vie va pouvoir reprendre, que le monde en somme est sauvé. 

Un bien beau film.



 

vendredi 3 février 2023

The Batman. Du Seven réchauffé !


La dernière image ? Probalement l'entrée en matière plutôt réussie, réaliste, avec cet étrange relent du  Death Wish de Michael Winner avec Bronson... Un justicier dans la ville... Batman ne prétend d'ailleurs pas être autre chose... Et cette scène inaugurale sur un quai de métro désert le soir convoque immédiatement le film de Winner et le péril omniprésent d'une délinquance qui explose dans les grandes métropoles...  

je ne dis pas que The Batman est sans intérêt mais il est pour le moins sans grande personnalité. Et surtout terriblement daté dans tout ce qu'il propose. Je m'explique.

L'entrée en matière est sympathique, je le disais à l'instant. Gotham est poisseuse à souhait, ses hideuses effluves, son teint urbain décati, mousseux, la viscosité de sa pluie épaisse qui tombe en rideau... Tout ce qui la définit comme ville corrompue, bouffée de l'intérieur, s'élève comme une brume invasive de chaque plan.

La première heure n'est d'ailleurs pas si mal... Sorte de casse-tête dans lequel un mystérieux tueur lance un défi à l'intelligence de Batman. Ou mais on sent déjà beaucoup trop la parenté avec le Seven  de Fincher tourné près de 30 ans plus tôt !!! C'est dire le côté daté de ce Batman...

Ensuite, côté casting, je garde sincèrement une préférence pour Bale et surtout Keaton dans le rôle-titre. Le bas du visage de Keaton est ce qu'on fera de mieux dans l'histoire des Batman. Il est pour moi ce que Sean Connery est à James Bond. Quoi qu'on en dise... Je trouve par ailleurs que Turturro est un bien mauvais choix dans le rôle du "parrain"...  Trop sympathique, tellement associé aux frères Coen, à Spike Lee à l'univers de la comédie.   

Si on se penche un peu côté chorégraphie, la première baston et toutes les autres qui suivront (notamment la scène finale, suspendue) sont vraiment poussives, ratées, pas visuelles... je retrouve la lourdeur des chorés de combat chez Nolan par exemple, très bof. Je crois que ça vient de cette volonté de ré-ancrer encore et encore le personnage de Batman dans le quotidien, la vie monotone de tous les jours, avec ce côté fébrile, gauche, tristement humain... C'est affaire de dosage je crois et ici ça ne le fait pas. A mon goût.      

Mais ce qui achève de rendre le film indigeste (bien trop long quoi qu'il en soit) et surtout ridicule c'est ce retournement de l'intrigue après l'assassinat de Sieur Turturro. Dès lors, on est dans le pastiche intégral de Seven (on retrouve dans le méchant toute la fausse décontraction de Spacey dans le film de Fincher). De maladresse en maladresse, de recopiage en scènes téléphonées, le film s'achève dans une déception totale pour moi. Ca fait vraiment cinéma des années 90 réchauffé.