mardi 29 septembre 2015

Shokuzaï. Celles qui voulaient se souvenir / oublier. Kyoshi Kurosawa


Ce qui devient rapidement fascinant dans les 2 volets de Shokuzaï, ce n'est pas tant la sécheresse de la narration, la précision chirurgicale de la mise en scène ou même la forme éclatée de récit horrifique en hommage impeccablement fidèle à une certaine tradition, c'est surtout le non-dit, le hors champ et pour finir l'intuition profonde que chaque histoire n'est en fait qu'une des multiples projections mentales de l'héroïne face à l'impérieuse nécessité de faire le deuil, de tourner la page… Raison pour laquelle c'est son passé à elle qui vient hanter l'écran lors de la révélation finale au cours de laquelle on comprend bien que chaque morceau d'histoire qui a précédé est un bout fantasmé, déformé, de son histoire à elle. Pas un hasard. Qu'on s'en souvienne ou pas, vertigineux, ça oui, Shokuzaï l'est assurément. Thriller mental sur le deuil dont Kurosawa est passé maître depuis si longtemps.

lundi 28 septembre 2015

Dheepan. Jacques Audiard


J'affirme haut et fort que nous tenons avec Dheepan la comédie romantique ultime ! Des preuves matérielles ? Ces deux personnages se connaissaient-ils avant de se rencontrer ? non. Va-t-il tout faire pour essayer de la retenir lorsqu'elle planifie un départ pour la Grande-Bretagne ? Ô que oui. Enfin, quel est le véritable déclencheur de la déflagration finale ? Et bien ça m'a tout l'air d'un coup de foudre, d'un authentique sacrifice, pas de ces fleurs qu'on achète à des vendeurs à la sauvette ressemblant au héros, non je parle de la preuve d'amour ultime, sans retour, celle qui débouchera forcément sur un happy end avec du bonheur conjugal - du vrai de vrai - et un beau bambin à la clé. Le fruit authentique de leur amour. Le genre de dénouement qui fleure bon (de façon contemporaine côté enjeux) celui de Taxi Driver… Vous suivez mon regard ? Tout va mal finir, c'est sûr, la folie du personnage principal va l'entraîner vers le fond et puis non parce qu'il croit peut-être suffisamment fort à cette jeune femme, à leur histoire, à l'histoire du film tout simplement… Car  Dheepan, sans le vouloir peut aussi se regarder comme cela, comme la vivisection en live de "trois personnages en quête d'acteurs". Au delà d'un sujet d'actualité brûlant, l'entrée en matière nous donne à nous familiariser avec trois acteurs cherchant tant bien que mal à apprendre leur nouveau texte, à incarner les rôles respectifs qu'on leur a assignés… Et comme souvent dans pareille situation, la magie n'opère que lorsqu'ils finiront par y croire eux-même, lorsque des tréfonds l'amour surgira tout seul. Enseignement sacré. Tout est là.

Je tiens d'ailleurs à rappeler à tous ses détracteurs qu'Audiard a le bon goût de nous pondre un casting qui respire, qui oxygène nos neurones à l'heure où les sempiternels mêmes noms noircissent les affiches des mêmes films français. Insupportable. Rien que pour ça, on devrait lui dire merci ou lui filer une palme de l'intelligence, de l'humilité voire des deux…  On s'identifiera d'autant plus à ce personnage qu'il déboule comme nous dans cet univers tout moche, tout neuf. Nous sommes le personnage. Il est alors nos yeux le bien nommé "Deep eye". Joli stratagème là encore pour nous prendre habilement par la main. Et je précise au passage qu'au rayon "banlieues quoi de neuf ?", La Haine peut aller se rhabiller fissa fissa. On vient de passer dans une autre dimension question réalité crue de la cage d'immeuble d'une zone de non droit. Par le biais de la satire sociale et surtout politique (tout le décor et la désarticulation de la fourmilière à l'écran), Dheepan est assurément le versant hexagonal de ce que fut The Wire à Baltimore. Fine et forte comparaison qu'il tient sur la distance.

Alors voilà, malgré de menus défauts, les quelques fausses pistes abandonnées en route (l'ancien colonel et ses injonctions comme autant d'éructations vaines), les petites facilités scénaristiques - fort excusables à mon sens - pour nous amener l'air de rien au règlement de compte chez le patriarche un peu attardé, Dheepan est pour moi le film le plus abouti de Jacques Audiard, le mieux débarrassé de ses petits tics énervants d'auteur qui calcule, évalue, le plus nuancé aussi côté personnages grâce à une authenticité recherchée et trouvée derrière le genre tout puissant, matriciel.

Ces trois acteurs rafraîchissants l'ont probablement bien aidé dans cette entreprise de simplification des enjeux pour aller vers l'essentiel… La puissance d'une histoire d'amour singulière entre deux (et même trois) âmes égarées, sans jamais se départir harmonieusement d'autres genres (le film noir, la fable politique et même la comédie sociale). Parce que le moteur encore une fois ce sont ces 3 personnages qui existent terriblement.

Je précise enfin pour celles et ceux qui ont stigmatisé un manque d'émotion que le film pour moi ne fait justement que s'enrouler autour de ce thème, de la naissance du sentiment amoureux chez des personnages détruits par l'existence. Une double peine si l'on veut. Leur passé traumatique s'ajoutant à une culture de la discrétion et de la pudeur. De quoi étouffer l'émotion jusqu'au bouquet final. C'est pourquoi non, il ne s'agît à mes yeux pas d'un film lambda ou mineur de son auteur comme j'ai pu l'entendre ici ou là, mais plutôt sa pièce maîtresse, d'une richesse et d'une amplitude thématique immense et qui fera date.

Cette réussite l'est aussi probablement grâce à une mise en scène absolument démente, organique - je pense à cette merveilleuse séquence finale vécue de l'intérieur, à fleur de peau de héros, au niveau presque quantique des poils dressés de ses avants bras, de nos avants bras  ! C'est là que tu te rappelles que de langage il est aussi furieusement question dans Dheepan et que chez Audiard le cinéma en est vraiment devenu un. Chapeau l'artiste !

The Affair Saison 1 & 2


Coup d'essai, coup de maître autour de la notion du point de vue et de son corolaire... la subjectivité !!! Là je parle surtout de la Saison 1. Sujet d'autant plus passionnant qu'on nous fait pénétrer l'intimité d'un couple d'amants pas si maudits (au moins au début)… Ne dit-on pas que les affaires de coeur sont la dernières chose dans laquelle fourrer son nez ? Quoi de plus obscur, irrationnel, irréductible à toute tentative de rationalisation ?

L'intelligence et l'originalité de The Affair Saison 1 vient d'abord de son traitement : une construction alternée offrant au compte gouttes deux témoignages (ou deux réalités fantasmées) centrés sur les mêmes moments et où par d'invisibles glissements, le vertige opère, avance, nous saisit, nous trahit, nous file entre les doigts comme le temps qui ne reviendra pas. Le père de famille victime de ses pulsions serait-il en fin de compte un sociopathe en puissance ? La jeune maîtresse endeuillée par la mort de son fils serait-elle aussi fragile et manipulable qu'elle en a l'air ? Question de point de vue. Est-on dans la tête de l'un ou sous la plume de l'autre ? Mystère...

Autant de questions stimulantes légitimées par le deuxième point fort de The Affair Saison 1 : les raisons de cette construction alternée. On comprend vite qu'au rayon "narration" il est quand même question de témoignages ou d'aveux circonstanciés si vous préférez… Qu'il y a donc autre chose à la clé, autre chose qu'une simple relation passionnelle en tout cas… Un peu comme chez Agatha Christie lorsqu'on doit rendre des comptes... "J'étais aux toilettes, d'ailleurs je mets au défi quiconque oserait jurer sur la bible qu'il n'a pas été réveillé par le bruit de la chasse à 5h33…"  Et cela transcende la lecture et la compréhension des enjeux de cette belle série parce que soudain la matière à l'écran on le sent pourra être mâchée, restituée, retournée in fine contre son ou ses acteurs principaux.

J'ajoute que venant de découvrir le début de la Saison 2, mon intérêt pour ces personnages objectivement passionnants ne fait que grandir. Et j'ai peut-être une explication s'agissant des différences qui sautent aux yeux lorsqu'une même scène nous est rapportée par une paire d'yeux différente. Peut-être a-t-on devant soi la réalité (fut-elle sublimée) d'un côté et de l'autre la matière du roman à succès de Noah en train de se mettre en place ? Puisqu'on découvre au cours de cette deuxième saison qu'il a effectivement fini par rencontrer le succès littéraire espéré dans ce qui peut être on l'imagine une subtile auto-fiction... Et l'épisode 9 de la Saison 2 est d'ailleurs tout simplement extraordinaire, au cours d'une tempête, Deux Ex Machina, tout droit sorte d'un best-seller.

Bref, pour moi The Affair est la série du moment, novatrice, vertigineuse, immersive et portée on ne le dit pas assez par des acteurs fantastiques. J'ai simplement quelques réserves sur le final de la Saison 2 qui m'a laissé un peu sur ma faim, en raison notamment de quelques facilités scénaristiques. Mais cela n'enlève rien à la force de l'ensemble.

Happy Valley


On pourra toujours trouver à redire sur certaines facilités de l'écriture pour mettre en place la terrible dramaturgie d'Happy Valley en ce qu'elle fait se télescoper "blang ! boom !" le monde extérieur, la justice froide de cette petite ville (en proie à un enlèvement crapuleux, fait divers somme toute courant) et les plaies intérieures les plus profondes !

N'empêche que le résultat est d'une force peu commune (cette scène sur la péniche mais aussi la séquence de la rixe dans une cave pour libérer la jeune fille enlevée) faisant émerger de vrais grands personnages divinement portés par des acteurs et actrices tout aussi épatants. Bref, en passant sur les petits défauts ici et là (flashes back appuyés notamment) ,  Happy Valley Saison 1 pour son réalisme et sa folle noirceur est à dévorer sans plus tarder.  

dimanche 27 septembre 2015

Banksy does New-York


Au-delà de l'intérêt de ne jamais savoir qui est vraiment Banksy, voilà un docu intéressant parce qu'il se calque sur le phénomène de la vague incontrôlée, irrésolue, de l'emballement médiatique et jamais rationnel autour d'un phénomène difficile à cerner surtout lorsqu'il est question d'"Art". Le marché de l'art deviendrait-il fou ? L'a-t-il toujours été ? Banksy does New-York montre qu'on peut aller jusqu'aux pires extrémités, jusqu'à découper des portes en tôle dans un quartier populaire pour la supposée valeur de l'objet graphité qui s'y trouve… Alors à quand des tatouages par Banksy pour un film d'horreur digne de ce nom ?  

samedi 26 septembre 2015

A la recherche de Vivian Maier


A voir indubitablement. Passionnante enquête pour nous découvrir par clichés successifs l'autoportrait d'une photographe aussi géniale que discrète et repliée sur ses obsessions, incapable en apparence de se tourner vers le monde extérieur pour lui offrir de son vivant ce qu'elle avait dans le ventre (symbolique ment ses cartons entassés). Le paradoxe vient de ce qu'on est précisément en train de découvrir son travail sur l'écran comme on pénètrerait son intimité… Un peu comme un viol en somme.Une plongée intérieure non consentie.  L'autre aspect fascinant de ce portrait est de découvrir progressivement une femme à la frontière d'une folie pas si douce. de la psychopathie la plus glaçante d'après les témoignages (souvent discordants d'ailleurs, la déformation du souvenir au travail) d'ex-enfants dont la "nounou (parfois) diabolique" avait eu la garde… Bref documentaire hautement utile et franchement passionnant. 

mercredi 23 septembre 2015

Le conte de la princesse Kaguya


Déchirant de beauté… La scène où les deux tourtereaux s'ébattent dans les cieux par-delà les herbes folles est tout simplement magique. Le miroir sans tain de l'amour fou, vierge, innocent. Le dessin rappelle d'ailleurs celui de Boucq (Pierre de Lune), il est délicat et stimule l'imagination. Bref un film qu'on peut découvrir disons dès 5, 6 ans, parce qu'il n'y a pas vraiment d'âge pour commencer l'apprentissage de ce qu'est le deuil et qui ne nous quitte jamais depuis la plus tendre enfance !

Les Combattants


Excellente surprise portée par un duo plus vrai que nature et des dialogues souvent au poil. Il y a une énergie, une décontraction, une folie douce et même une certaine poésie dans les bois jusqu'au climax fantastique (qui lui est presque de trop). Au final on retient un souffle de fraicheur au rayon Comédie Romantique puisque c'est bien ce dont il s'agit. On peut y aller les yeux fermés sans jamais craindre la fin du monde.