lundi 28 septembre 2015

Dheepan. Jacques Audiard


J'affirme haut et fort que nous tenons avec Dheepan la comédie romantique ultime ! Des preuves matérielles ? Ces deux personnages se connaissaient-ils avant de se rencontrer ? non. Va-t-il tout faire pour essayer de la retenir lorsqu'elle planifie un départ pour la Grande-Bretagne ? Ô que oui. Enfin, quel est le véritable déclencheur de la déflagration finale ? Et bien ça m'a tout l'air d'un coup de foudre, d'un authentique sacrifice, pas de ces fleurs qu'on achète à des vendeurs à la sauvette ressemblant au héros, non je parle de la preuve d'amour ultime, sans retour, celle qui débouchera forcément sur un happy end avec du bonheur conjugal - du vrai de vrai - et un beau bambin à la clé. Le fruit authentique de leur amour. Le genre de dénouement qui fleure bon (de façon contemporaine côté enjeux) celui de Taxi Driver… Vous suivez mon regard ? Tout va mal finir, c'est sûr, la folie du personnage principal va l'entraîner vers le fond et puis non parce qu'il croit peut-être suffisamment fort à cette jeune femme, à leur histoire, à l'histoire du film tout simplement… Car  Dheepan, sans le vouloir peut aussi se regarder comme cela, comme la vivisection en live de "trois personnages en quête d'acteurs". Au delà d'un sujet d'actualité brûlant, l'entrée en matière nous donne à nous familiariser avec trois acteurs cherchant tant bien que mal à apprendre leur nouveau texte, à incarner les rôles respectifs qu'on leur a assignés… Et comme souvent dans pareille situation, la magie n'opère que lorsqu'ils finiront par y croire eux-même, lorsque des tréfonds l'amour surgira tout seul. Enseignement sacré. Tout est là.

Je tiens d'ailleurs à rappeler à tous ses détracteurs qu'Audiard a le bon goût de nous pondre un casting qui respire, qui oxygène nos neurones à l'heure où les sempiternels mêmes noms noircissent les affiches des mêmes films français. Insupportable. Rien que pour ça, on devrait lui dire merci ou lui filer une palme de l'intelligence, de l'humilité voire des deux…  On s'identifiera d'autant plus à ce personnage qu'il déboule comme nous dans cet univers tout moche, tout neuf. Nous sommes le personnage. Il est alors nos yeux le bien nommé "Deep eye". Joli stratagème là encore pour nous prendre habilement par la main. Et je précise au passage qu'au rayon "banlieues quoi de neuf ?", La Haine peut aller se rhabiller fissa fissa. On vient de passer dans une autre dimension question réalité crue de la cage d'immeuble d'une zone de non droit. Par le biais de la satire sociale et surtout politique (tout le décor et la désarticulation de la fourmilière à l'écran), Dheepan est assurément le versant hexagonal de ce que fut The Wire à Baltimore. Fine et forte comparaison qu'il tient sur la distance.

Alors voilà, malgré de menus défauts, les quelques fausses pistes abandonnées en route (l'ancien colonel et ses injonctions comme autant d'éructations vaines), les petites facilités scénaristiques - fort excusables à mon sens - pour nous amener l'air de rien au règlement de compte chez le patriarche un peu attardé, Dheepan est pour moi le film le plus abouti de Jacques Audiard, le mieux débarrassé de ses petits tics énervants d'auteur qui calcule, évalue, le plus nuancé aussi côté personnages grâce à une authenticité recherchée et trouvée derrière le genre tout puissant, matriciel.

Ces trois acteurs rafraîchissants l'ont probablement bien aidé dans cette entreprise de simplification des enjeux pour aller vers l'essentiel… La puissance d'une histoire d'amour singulière entre deux (et même trois) âmes égarées, sans jamais se départir harmonieusement d'autres genres (le film noir, la fable politique et même la comédie sociale). Parce que le moteur encore une fois ce sont ces 3 personnages qui existent terriblement.

Je précise enfin pour celles et ceux qui ont stigmatisé un manque d'émotion que le film pour moi ne fait justement que s'enrouler autour de ce thème, de la naissance du sentiment amoureux chez des personnages détruits par l'existence. Une double peine si l'on veut. Leur passé traumatique s'ajoutant à une culture de la discrétion et de la pudeur. De quoi étouffer l'émotion jusqu'au bouquet final. C'est pourquoi non, il ne s'agît à mes yeux pas d'un film lambda ou mineur de son auteur comme j'ai pu l'entendre ici ou là, mais plutôt sa pièce maîtresse, d'une richesse et d'une amplitude thématique immense et qui fera date.

Cette réussite l'est aussi probablement grâce à une mise en scène absolument démente, organique - je pense à cette merveilleuse séquence finale vécue de l'intérieur, à fleur de peau de héros, au niveau presque quantique des poils dressés de ses avants bras, de nos avants bras  ! C'est là que tu te rappelles que de langage il est aussi furieusement question dans Dheepan et que chez Audiard le cinéma en est vraiment devenu un. Chapeau l'artiste !

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