jeudi 17 février 2022

Cry Macho

La dernière image ? Ces trois silhouettes s'éloignant de dos sur une route Mexicaine perdue. Un vieil homme, un poussin tombé du nid et au milieu un coq alerte, sûr de lui...   

Tout est dans le titre. Ce macho capable de sentiments... Mais qu'est-ce qu'un macho ? le film interroge finement, intelligemment entre les lignes sur le féminisme d'aujourd'hui, son sectarisme, la féminisation rêvée de nos sociétés, la perte de repère du masculin accusé peut-être à tort d'être à l'origine de tous les maux de nos sociétés modernes... La violence, les injustices, le réchauffement climatique. Ne dit-on pas que "la folie des hommes" est la cause de tous nos malheurs ?   

Tout est dans les 3 personnages principaux. Trois mâles. Un homme d'âge mûr, un jeune homme en quête de modèle et un coq de combat. Le coq ? Quoi d'autre qu'un mâle dominant trouvant sa place aux côtés d'autres mâles. Ici, le masculin se cherche une place, un rôle, une utilité, c'est une évidence... 

Tout est dans le choix de l'époque. Pourquoi choisir la fin des années 70 ? Une période post-libération sexuelle. Les femmes prennent alors leur indépendance. Le corps doit exulter. Les modèles traditionnels ont vécu. La famille à l'ancienne, c'est fini. Les femmes sont-elles opprimées ? On ne le dirait pas... Elle sont déjà puissantes, font autorité. Le schéma culturel de l'hacienda a même toutes les apparences d'un matriarcat. Les derniers vrais Cowboys  eux sont sur le départ (à l'époque, John Wayne entre dans ses 70 ans) mais ils résistent. Peut-être parce qu'ils ont encore des choses à transmettre. Ce fameux "masculin" à travers eux.

Tout est dans le choix d'un personnage vieillissant qui vous raconte forcément que le masculin ce sont avant tout des repères, un esprit, jamais une force coercitive... On a tendance à confondre la testostérone, la domination physique qui va avec et le masculin comme pôle d'équilibre pour les générations d'après nous, comme socle de valeurs à transmettre. 

Tout est enfin dans cette histoire d'amour touchante. Tout peut recommencer tout peu renaître même le temps d'un claquement de doigts... Famille recomposée où l homme retrouve naturellement sa place. Son utilité. 

Le féminisme rappelle que le féminin serait en péril ? Ici le danger est surtout incarné par cette mère omnipotente qui veut jouer tous les rôles, s'entourer de toutes les figures d'hommes (et de pères ?) possibles. Pour combler ce qu'elle n'apporte pas. Ce qu'elle ne sait pas apporter. Par définition. Elle incarne ce pouvoir despotique unilatéral. Le danger nous dit Clint est là, dans ce déséquilibre au sein d'un foyer et de ce qui construit nos enfants... Si l'on bannit le masculin pour ne garder que le féminin, si l'on rompt cet équilibre naturel,  le risque est grand de perdre un peu de l'essentiel dans ce qui nous construira. Preuve en est cette rencontre entre deux veuvages qui donne naissance à du vertueux. De l'amour. 

Cry Macho n'est pas le plus grand film de Clint Eastwood certes (pas mal de défauts) mais il est attachant et à l'instar de La Mule il est une fable fort intéressante sur les valeurs qui se transmettent par le féminin oui mais par le masculin et pas forcément par les liens du sang... Une fable douce-amère dont on peut toujours tirer de beaux enseignements pour soi spectateur. Une fable dont le titre pourrait être : le vieil homme, le coq et l'orphelin...      

mercredi 16 février 2022

Dune

La dernière image ? Les séquences de télépathie meurtrière dans la libellule qui permettent au fils et à sa mère de s'en sortir alors qu'ils sont pris au piège... Ce passage est assez saisissant et réussi. Ou comment retourner l'esprit de ses adversaires contre eux-mêmes.      

Le cinéma de Denis Villeneuve ne m'a jamais convaincu et ça ne commencera pas avec Dune. Ici tout est normalement question de faire ressentir, de créer une connexion (une forme de télépathie ?) entre le spectateur et l'univers du film comme entre une mère et son fils, comme entre le présent du héros et son futur en gestation... Mais ce miracle hélas n'arrive jamais. Exemple emblématique :  des visions précoces du héros à sa première rencontre avec sa femme des sables, le spectateur que je suis reste de glace et la fameuse rencontre lorsqu'elle finit par avoir lieu accouche d'une souris... Un comble !

Il y a probablement une première raison à cela qui dédouane le réalisateur : l'oeuvre originale qui est selon moi "datée". Je pense à ces pratiques familières d'un autre temps comme ces textes lus par des orateurs sur des parchemins (mais que vient faire le papier dans un monde où technologie et télépathie sont à leur apogée ?). Je pense aussi à ces pactes scellés par des sceaux à la cire.... Mélange pas heureux d'époques et de coutumes... L'oeuvre est par ailleurs prise un peu trop au pied de la lettre par Denis Villeneuve. Car l'impression qui domine est de voir se déployer à l'écran une sorte de pseudo Lawrence d'Arabie (L'aristo de service devient l'élu et le chef d'une horde de bédouins, de touaregs prêts à donner leur vie face à l'envahisseur) luttant pour des opprimés dans une métaphore filée bien lourde. Les épices (ressources naturelles dont regorgent les sols de cette planète) font l'objet des convoitises de multinationales obsédées par le profit se faisant du blé sur le dos et les vies de ces malheureux autochtones. D'où mon constat sans appel : Dune a irrémédiablement vieilli. Lynch était d'ailleurs malgré un résultat décevant parvenu à mettre son grain de folie, son univers bien à lui dans l'adaptation de Dune quand Denis Villeneuve n'apporte aucune magie personnelle et se contente d'exposer de façon très scolaire. D'où une forme léthargique et monochrome (j'avais le souvenir de couleurs et de contrastes beaucoup plus vifs et tranchés chez Lynch), avec la curieuse impression d'entrer dans un monde en 2 dimensions : une histoire qui se déroule de façon prévisible. Aucun développement de ce genre initiatique ne nous est d'ailleurs épargné : Le combat d'intronisation dans la horde des sables pauvrement filmé.  Impossible de rêver, de s'évader... Revoyons Brazil toutes affaires cessantes. La matière du film devrait être une matière à rêver. Tout ici est pourtant étrangement linéaire, démonstratif, explicatif, bavard, je retrouve au passage les incommensurables défauts d'un Game of Thrones où ça bavassait interminablement pour peaufiner des trahisons en escadrille...

Le côté grandiose et complexe (seulement en apparence) de toutes ces manigances au sommet finit éparpillé comme un château de cartes par le déclenchement d'une guerre à travers la seule trouvaille scénaristique qu'ait trouvé l'auteur : une simple menace sur la vie de la femme du médecin de famille... Difficile de faire plus trivial. Faut le faire quand on voit de quelle façon la peur et la fidélité sont par exemple testées sur le héros, mises à l'épreuve, lorsque sa main glisse dans une boîte étrange, réceptacle de toutes les peurs... Ils sont tous télépathes mais le coup de l'odieux chantage, personne ne l'a vu venir... Bref tout est trop fragile sur le plan de l'intrigue et trop platement apprêté, exposé à l'écran.. Je m'attendais à rêver, Et bien le rêve on l'attendra... 

Bac Nord

La dernière image ? Cette progression, dans un sanctuaire aux allures de ruche, enchevêtrement de capsules par une succession de trous dans les cloisons qui permet aux policiers de rejoindre le coeur de la planque. Belle séquence. Réussie.

Un certain cinéma français croit depuis longtemps (d'où lui vient cette conviction ?) que la puissance du spectacle va passer par des excès, des regards vides, des hurlements, des postillons s'échappant furieusement d'une bouche déformée, par des coups de tête ou de poings dans les murs à se faire péter les jointures, puis par des lèvres rendues molles sous l'effet de puissants anxiolytiques... La preuve par le visible ? C'est une erreur. Ici tout le dernier segment carcéral joue vraiment là-dessus et franchement c'est too much. Beaucoup de bruit pour rien.

Par ailleurs, il faut se rappeler que début des années 2000 (2002  exactement), HBO nous livrait The Shield... Quelques coéquipiers jouent avec le feu, l'éthique, la hiérarchie, s'affranchit des règles pour faire le bien tout en se rinçant au passage... Au moins, leur ambiguïté à l'époque était salutaire, assumée et rendait les personnages intéressants, trempés dans ce clair-obscur qui nous fait réfléchir sur nos propre actes et douter de nous mêmes, de nos valeurs et ce qu'on est prêt à faire ou pas pour les défendre ... En France il faut attendre 20 ans pour voir un truc à l'écriture bancale (l'intrigue tient sur une demi-page), aux dialogues lourdingues, voir le jour... Avec en plus contrairement à son modèle de référence des personnages trop gentillets dans leurs convictions pour ne pas se dire que le film défend une thèse : aucune bavure ou méchanceté, juste un vrai sens du devoir contrecarré par les ambitions d'une hiérarchie qui vous lâche à la première embuscade...

j'ajoute que 2 personnages sur 3 sont à peine ébauchés : vous avez le beau gosse qui fume des joints et dont l'indic est une bonne copine... Le deuxième qui est un peu plus inquiet pour lui et sa famille depuis qu'il est papa... Quant au troisième, on ne sait même pas où il vit... 4 personnages (en incluant la femme du deuxième) et puis c'est tout. Une petite fête après la saisie de drogues et ensuite la punition... Un dernier message à l'écran pour dire que ce qu'on vient de voir est une histoire vraie. Ca fait bien peu au final... Trop peu.

   

samedi 12 février 2022

The Father

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La dernière image ? Franchement aucune en particulier... Je trouve ce film d'autant plus navrant qu'il est pourvu des meilleures intentions. Mais cela n'excuse rien. Sans âme, sans vision. La preuve qu'il faut un auteur, un réalisateur, un regard derrière la caméra. Amour qui n'était pas exempt de petits défauts parvenait à rendre le huis-clos fascinant ... Haneke a toujours quelque chose à dire, et il a un regard. Ici, c'est le néant.

Peut-être ce texte a-t-il un sens au théâtre, peut-être que la direction artistique apporte quelque chose de particulier, de fort sur les planches dans une confrontation directe avec l'acteur couvant de son jeu la maladie du souvenir, récitant sur le bout des doigts l'amnésie, le trou de mémoire ? Mais au cinéma, il y faut du cinéma. Or il n'y a pas de cinéma ici. De simples champs / contrechamps, aucun point de vue. Un caméra posée, des acteurs qui jouent leur texte et l'on récite visuellement le scénario. La petite musique est insupportable. On reste totalement extérieur à ce que vit cet homme. Pourtant on voit ce qu'il voit ... Des visages qui changent, des lieux qui se confondent... Des souvenirs de son autre fille victime d'un accident... Mais rien de rien... A part ici ou là un petit message subliminal  sur cet infirmier qui le maltraiterait ? Pour le reste, tout ce qu'on essaye de raconter, Lynch le fait divinement dans tous ses films (l'inconscient, la mémoire fissurée) et ces derniers respirent le cinéma, sont le cinéma...

Dans un autre genre mais sur un traitement finalement très proche, je trouve le Je veux juste en finir de Kauffman malgré ses défauts bien plus intéressant, bien plus profond.   

dimanche 6 février 2022

La ballade de Buster Scruggs

La dernière image ? Forcément ce moment de flottement. Le personnage campé par  Liam Neeson vient de jeter une grosse pierre dans la rivière en contrebas et croise en revenant le regard de son ex poule aux oeufs d'or... Il en sourit gêné. Moment d'une force extraordinaire.

Les frères Coen sont justement à mes yeux de plus en plus forts. Il y a ici un souffle, une hauteur de vue, une fantastique osmose entre la forme (sublime travail sur l'image, le son, le cadre, le rythme, le jeu des acteurs) et le fonds, le message à délivrer. Or, s'agissant de message, l'esprit de cette ballade de Buster Scruggs dépasse le cadre du film à sketches censé rendre hommage aux westerns de toutes époques, c'est un recueil de fables. Il était une fable dans l'Ouest, voilà le titre rêvé de ce morceau d'anthologie "en 6 coups". Procédons fable par fable...    


La ballade de Buster Scruggs

Ce petit chef d'oeuvre ramassé sur l'essentiel n'atteint pas des sommets que dans le traitement de l'image, dans le rythme, dans l'interprétation... Il va puiser ses racines dans les tréfonds de ce qu'on a adoré du genre... Le duel. Le moment de vérité où s'éprouve l'immortalité. L'invincibilité. Mais la règle est la même pour tous les hommes. Un jour ou l'autre, vous tombez sur plus fort que vous, au poker, au chant... Il y a d'ailleurs dans cette première fable quelque chose de profond qui raconte les temps immémoriaux qui virent naître la Folk de ces histoires vécues, racontées dans les saloons de ces villes champignons. des morceaux de bravoure rapportés et qui devinrent des ballades. L'âme des Etats-Unis s'y reflète à coup sûr comme s'y contemplent en pensée autant de paysages flamboyants où il ne pleut jamais.

Par ici, un petit gringalet bavard peut vous clouer le bec en moins de temps qu'il n'en faut pour dire "Pas besoin de compter". Buster Scruggs semble se nourrir du respect qu'on lui manque en permanence lorsqu'on écorche son nom ou son surnom. "Je suis un pied tendre ? Vous allez voir ce que vous allez voir". Mais lorsqu'un joueur d'harmonica sorti de nulle part, lui fait baisser sa garde à coups de flatteries. vante ses immenses qualités, il ne voit pas venir le danger... Comme dans Le lièvre et la Tortue, Buster Scruggs s'enivre de ses victoires récentes, passées. Il est ce lièvre qui vient de faire un trop long somme. Qui s'est cru trop fort. Il ne faut jamais se reposer sur ses lauriers... D'ailleurs son adversaire tire pendant la réponse de Buster Scruggs juste après avoir lâché "Veux-tu que je compte". Il est ce renard faisant lâcher au Corbeau Scruggs son fromage, son statut, dont il s'empare. Mais n'est-ce pas la loi du Poker ? savoir cacher son jeu jusqu'à dernier moment ? La rapidité avec laquelle le duel accouche d'un vainqueur est d'ailleurs un clin d'oeil génial aux interminables préliminaires des scènes finales chez Sergio Leone.      

Moralité ? Méfiez-vous des apparences. Qui est fort, qui est faible ? Le viril ou l'asperge ? Le taiseux ou le bavard ? Le dépravé ou le vertueux ? Et surtout sachez rester humble en toutes circonstances, gardez l'oeil ouvert (et le bon).


Près d'Algodones

L'harmonica de la fin du premier volet fait idéalement le lien avec le début de cette seconde fable. Le début rappelle de ce fait étrangement la séquence inaugurale d'Il était une fois dans l'Ouest dans une petite gare perdue au milieu de nulle part. Il est ici question d'une banque. Là encore le travail sur l'image et celui sur le son sont prodigieux. 

L'on prolonge habilement la morale de la première fable. "Ne sous-estimez jamais votre adversaire" nous murmure le conteur. Ce petit banquier sans défense n'est pas celui que vous croyez. Il a l'air normal dans son petit costume mais c'est en fait un cinglé complet. Il est ce David psychotique débordant d'idées et de ressources (les armes dissimulées sous le comptoir, les récipients en cuivre pour dévier les balles...) pour abattre Goliath.

Et méfiez-vous car la justice par ici, en ces temps reculés, se donne sans prévenir, sans réfléchir, sans vérifier. Elle est aussi expéditive que le coup de feu parti sans prévenir de la première fable. Personne ne prendra le temps d'analyser, de comprendre. Le personnage principal est rapidement dépassé. 

La fable dit aussi merveilleusement que ce qui est une chance aujourd'hui peut précipiter votre perte demain. Exemple avec ce cheval, ce fidèle compagnon complètement amorphe. Dans la scène inaugurale il ne moufte pas quand les coups de feu pleuvent autour du puits. Un canasson sous anxiolytique. Même chose lors de la pendaison expédiée sous l'arbre du jugement... Mais cette fois, son apathie, sa mollesse devient une aubaine, une chance inouïe pour son cavalier. qui peut ainsi s'en sortir miraculeusement. Mais évidemment, dès qu'il s'agit de décamper face à la patrouille lancée aux trousses d'un voleur de bétail, on devine que la chance est devenue malédiction. D'abord confié à la justice par le petit banquier (et donc épargné) puis sauvé par l'arrivée impromptue des Comanches, il bénéficie d'un troisième coup du destin avec le gardien de troupeau en apparence plein de bonnes intentions à son égard... Mais la fable rappelle brutalement, avec ironie, qu'il ne faut pas trop "tirer sur la corde", ne pas trop compter sur sa chance... Chacun a un intérêt à faire ce qu'il fait. Le gardien de bétail n'est peut-être pas le sauveur qu'on imaginait. C'est alors que le destin revient cruellement frapper à la porte du supplicié.

Je fais ici une parenthèse sur tout le segment de la première pendaison qui aurait fait l'objet d'un épisode probablement extraordinaire chez Alfred Hitchcock présente (je repense à l'épisode avec le serpent ou celui avec le pistolet chargé entre les mains d'un enfant... une idée étirée de façon géniale pour un suspense étouffant).            

S'agissant de la placidité du héros, ce dernier m'a étrangement rappelé The Barberl'homme qui n'était pas là. C'est le sentiment qui domine : le destin se charge de tout et lui est balloté, sans réaction. Il est spectateur. Il n'anticipe rien. Dans ce deuxième volet, on est d'ailleurs encore chez Sergio Leone et l'on pense à ces pendaisons avortées de justesse dans Le bon, la brute et le truand... Touco en mauvaise posture et rêvant d'une intervention divine... Ne compter que sur les autres... Est-ce bien raisonnable ? Ici le personnage est peut-être tellement sûr de s'en sortir une fois de plus (n'adresse-t-il pas un génial "Première fois ?" à son voisin de planche de salut ?) qu'il a le temps de plonger dans le regard d'une jeune femme dans la foule et d'y projeter des aventures charnelles pour après-demain... 

Moralité ? La chance va et vient... Le destin est imprévisible. Il revient toujours frapper au moment le plus improbable. Soyez sûr de vos forces (bien choisir sa monture) avant de jouer avec le feu. Evaluez bien vos risques. 


Ticket repas

Cette fable est celle qui m'a le plus emballé. Je crois n'avoir jamais trouvé Liam Neeson aussi génial. Il est phénoménal. Qu'il parle, qu'il reste silencieux, il peut chanter éméché au coin du feu, observer avec gourmandise, sourire avec roublardise, il est immense... Le sourire d'un affairiste. D'un producteur de ciné ? D'un capitaliste en tout cas.

Car ici des tréfonds de l'âme humaine remonte un message philosophique, métaphysique, d'une puissance rare. L'hiver est là, peu généreuse est la terre. Le froid s'installe et les petites gens parties chercher fortune à l'entrée des mines du bout du monde, attendent le divertissement du vendredi soir. Comme nous devant Sébastien c'est fou.  Aujourd'hui la télévision. Hier le cinéma, avant-hier le théâtre. Etre au spectacle. Un spectacle qui remue l'âme au rythme des vers de Shakespeare ou de passages bibliques. Un spectacle sacré qui nourrit les âmes. leur permet de s'évader, se rassurer en découvrant cet homme tronc, sans âge, qui souffre à leur place, invoque les Dieux, les réenracine dans la grande Histoire. Il est ce qu'est chaque artiste, la catharsis des douleurs humaines, il est le Christ qui doit mourir pour les hommes, pour les libérer de leur peines immenses. 

Mais le génie ne paye plus comme avant... Il faut bien apporter à l'exploitant ce dont il a besoin. De l'alcool, des filles de joie, de quoi nourrir ses chevaux et remplir son ventre. Parenthèse : j'adore ce moment dans la maison close où l'acteur toujours sur scène se retrouve dans une chambre dos tourné à la scène / au lit. Il n'est alors plus le spectacle que pour moi qui regarde le film. Vertigineux.          

Cet homme tronc sur scène est un irremplaçable comédien. Il n'y en pas deux comme lui... Or tout ce que raconte cette fable c'est que le capitalisme vient aussi détruire ce que fut le spectacle, l'Art, ce qu'il avait de sanctuarisé. Un beau jour, la loi du marché s'en mêle, vous mettez en concurrence Louis Jouvet et un vulgaire poulet... Derrière cette démonstration, il est aisé de voir la machine en route (le poulet est une calculette vivante) qui va remplacer l'homme pour des raisons purement mercantiles, à la recherche de la  rentabilité. On y perd l'imperfection sacrée de l'homme pour des recettes garanties sur le papier. D'ailleurs ce remplacement de Hamlet par un numéro de cirque fait aussi penser de nos jours à la toute puissance sur le petit écran des jeux, des divertissements qui abêtissent au lieu de donner à réfléchir (Oubliés l'incarnation, la culture, le fonds)... La culture du chiffre est partout.

La séquence finale est fantastique, elle pose les prémisses de ce qui se prépare on l'imagine... L'acteur génial (métaphoriquement cet albatros dont les ailes invisibles permettent à son prochain de rêver, de comprendre le monde) devra puiser dans ses ressources à la recherche de l'idée pour trouver un moyen de s'évader (mais comment fera-t-il ?) ou celui de se débarrasser de son concurrent, un poulet de malheur. A coup de dents ? L'expression sur les visages des deux protagonistes lorsque Liam Neeson revient vers la caravane après avoir jeté d'un pont une pierre faisant à peu près le poids de son compagnon de route (qui serait évidemment incapable de nager) est un moment d'anthologie. Inoubliable. D'une intolérable cruauté. Personnellement je m'attendais à ce que Liam Neeson glisse et disparaisse dans les eaux glacées de la rivière laissant derrière lui les deux rivaux face à face dans cette caravane de l'horreur.                     

Je décèle pour finir dans cette histoire un regard passionnant sur la tendance actuelle de l'Homme occidental à se renier, à accorder plus d'importance à la protection de la vie animale (ses chats, ses chiens, protéger toutes les espèces... ) qu'à son prochain qui continue à mourir de faim ici et là sur la planète.   

Moralité ? Ne mettez pas du mercantile partout. N'oubliez surtout jamais qui nous sommes. Chaque homme est une parcelle de l'humanité. "A part of the world". Oubliez cela et vous faites entrer le loup dans la bergerie. Nous pourrions bien dès lors un jour y laisser notre âme...


Gorge dorée

Par ici, la nature est toute puissante. Elle nous précède. Les décors sont soudain plus familiers. C'est la campagne printanière et hospitalière de La petite maison dans la prairie. Sauf qu'il n'y a pas de maison par ici. Un orpailleur inspiré, avec assez d'expérience pour provoquer le destin, pense avoir repéré le filon de rêve. Il est vieux mais il a tout son temps. Il a l'air colérique mais il est méthodique. Il parle au ciel, à Monsieur Pépite à la nuit tombée comme un original, mais il a parfaitement les pieds sur terre, Il sait où il va, il sait ce qu'il fait. Pour réussir dans son entreprise, seul le temps, l'observation, la pratique, en un mot l'expérience fera toute la différence. L'homme sait aussi qu'il est peu de choses. Il a des valeurs, il respecte l'oiseau lorsqu'il ne lui subtilise qu'un oeuf en le remerciant.

Chaque trou fait écho à celui qu'on lui fera et qui ne lui touchera "rien d'important" pour reprendre ses mots. Faisant écho à l'or qu'il convoite. Seule chose importante à ses yeux.

Et de convoitise, il est évidemment question ici. Toute cette passion, cette science, cette énergie, ce courage, investis dans cette entreprise individuelle se trouvent menacés par un blanc bec qui n'a aucune notion de ce que c'est que la passion d'une vie, un sacerdoce. Il espère bien profiter de l'aubaine et du fruit de travail de l'orpailleur mais c'est mal connaître le vieil l'homme, la connaissance intime de son propre corps. Le jeune avorton va faire les frais de son inexpérience de la vie... 

La fosse étant évidemment le tombeau rêvé pour l'impudent, l'homme trop léger, pas assez scrupuleux...  C'est aussi le repaire de la bête, du fauve prêt à tout pour protéger son bien, ses petits, son or ! Le jeune puceau n'a évidemment aucune chance de s'en sortir. Car s'il y a une vertu que possède le vieil homme outre une volonté, une détermination hors normes, c'est la patience... Comme il sait le faire pour attendre le bon moment, la fameuse pépite d'une taille suffisante à ses yeux. Un monstre de patience.

Moralité ? On n'apprend pas au vieux singe, qui plus est un moine soldat, à faire la grimace...


La fille qui fut sonnée  

La plus longue fable, la plus construite, autour de personnages sacrément écrits, de leurs histoires personnelles. C'est le souffle des transhumances qui passe sur ces caravanes traversant les Etats-Unis d'un bout à l'autre. Passionnant morceau d'histoire. La jeune femme veut sauver son honneur et respecter l'engagement de son margoulin de frère.

Billy va vouloir trouver une solution, muni des intentions les plus louables. Mais Billy a le coeur tendre, des valeurs nobles, il est touchant et ne sait pas se montrer impitoyable lorsqu'il doit abattre le chien... Problème. le chien deviendra le grain de sable à l'origine du drame final.

Même sentence lorsqu'Arthur si taiseux d'ordinaire va à l'essentiel en expliquant sans détour à la jeune femme ce qui l'attend si les indiens venaient à prendre le dessus lors de l'attaque. Il ne se doute pas un instant que ses intentions (là encore nobles) auront des conséquence désastreuses.

Parenthèse sur Arthur : On imagine tellement John Wayne dans ce rôle... Hommage ? 

Evidemment, lorsqu'il revient accompagné du chien, il ne sait pas ce qu'il doit dire à Billy... Billy croira-t-il à son histoire ? Arthur ne voyant pas (dans l'esprit de Billy) d'un si mauvais oeil la mort de la jeune femme dès lors qu'elle permet in fine à son acolyte de rester à ses côtés...      

Moralité : L'enfer est décidément pavé des meilleures intentions. 


Les restes mortels

La plus cauchemardesque des fables. Dante est passé par là. Je pense au Septième sceau ou à  Jules Berry dans Les visiteurs du soir... Terriblement métaphorique, Ces deux chasseurs de primes peuvent rappeler des émissaires de Lucifer.  Ils sont là face à trois personnages qui semblent avoir quelques crimes sur la conscience sur le chemin vers le purgatoire (Fort Morgan) : le trappeur évoque une relation avec une femme qui s'est curieusement volatilisée, il considère les hommes comme des animaux. Des furets. Or il est trappeur, tout est dit... La veuve qui s'ignore et semble ne pas vouloir évoquer la mort de son mari, elle en parle au passé puis au présent, a probablement quelque chose à cacher. Enfin le joueur de Poker français qui évoque le jeu, son vice, des dettes de jeu qui sait envers Cipolsky ?  Tous trois sont potentiellement des cibles pour les 2 faucheurs de vie assis en face et qui attendent peut-être le bon moment pou les estourbir au détour d'une ballade distrayante (Ballad for the fallen ?).

Ce qui explique que tous les éléments de la fable (la ville de Fort Morgan, l'hôtel, le cocher qui ne s'arrête jamais à la nuit tombée) rappellent furieusement des histoires horrifiques où le Diable (un cavalier sans tête ?) vient se glisser dans vos draps pour vous ôter subrepticement la vie. Faustien, Freudien. Effrayant.

Moralité ? Mieux vaut avoir la conscience tranquille quand vient le jour ou plutôt le soir du jugement dernier... 

mercredi 2 février 2022

Je veux juste en finir

La dernière image ? c'est cet instant qui s'éternise bien au chaud dans la voiture alors que dehors s'abattent des tonnes et des tonnes de poudreuse en devenir. Cette atmosphère faussement rassurante et ouateuse hérissée de silences, d'une voix off résolue, de raclements d'essuie-glace et de crissements de roue dans la nuit... tout ceci me parle et ces images s'impriment en moi

Charlie Kaufmann a toujours eu ma tendresse et mon admiration. Il est sensible, intelligent et son univers me plaît. Je garde de très bons souvenirs de films comme Dans la peau de John Makovitch ou Adaptation. J'aime moins Eternel Sunshine of a spotless mind à l'esthétique trop toc, tape-à-l'oeil et publicitaire... Michel Gondry est  toujours plus inspiré quand il compose avec trois bouts de ficelle. je pense à Soyez sympa rembobinez !

Curieusement, la première sensation en découvrant Je veux juste en finir c'est que Kaufmann réalisateur réussit enfin à faire son Eternel Sunshine of a Spotless Mind mais sans la contrainte de la grosse production, du film mainstream, du blockbuster avec des acteurs bankables. C'est plus intimiste, ça semble beaucoup plus personnel avec de longs tunnels assumés : la voiture, la maison, la voiture, la cafeteria, l'établissement scolaire... Cette poésie douce, cette liberté dans le ton, le rythme et la structure sont à saluer : une vraie bouffée d'oxygène. Il assume cette forme sous anxiolytique, presque littéraire.  

Il est d'ailleurs important de souligner que l'acteur principal me rappelle beaucoup Philip Seymour Hoffman qu'on avait déjà vu chez Kaufmann réalisateur Ce qui m'a rendu émouvante la séance. Je me suis demandé si c'était conscient ou pas... Un hommage subliminal ? En tout cas, le film dans l'ensemble est plutôt touchant, il parle à notre intelligence, à nos émotions, il essaye de naviguer dans ce qu'on aurait pu faire de nos vies, dans ce qu'on a hélas échoué à en extraire de meilleur... L'éternelle ritournelle Kaufmannienne fait mouche. Avec en plus ce je ne sais quoi d'inquiétant ou d'horrifique (les parents pas nets comme dans The Visit, la cave qui semble dissimuler quelque chose de pas rassurant...), tout ce qui maintient l'attention du spectateur désireux de comprendre...

Et c'est là qu'est le hic. Car de tous ces mystères, il ne ressort rien de follement innovant ou radical. On devine assez vite de quoi il retourne... L'univers du film n'est rationnel qu'en apparence. Il devient facile à décrypter, celui des derniers instants d'un homme se repassant le film de sa propre histoire en la revisitant au gré des rendez-vous manqués, des espoirs déçus... Dès les interludes dans l'établissement scolaire, on comprend que le vieil homme de ménage n'est autre que le héros qui a vieilli. Une fois dans la maison, les décalages d'abord légers puis carrément délirants mettent un peu mal à l'aise devant l'incapacité de la jeune femme à s'inquiéter de toutes ses apparentes hallucinations devant des parents qui changent d'âge, d'époque, de visage, de chambre... Alors qu'elle panique brutalement quand son futur ex compagnon l'emmène pour un détour enneigé vers le lycée de sa jeunesse... Pas très cohérent. La scène finale au pupitre, c'est évidemment tout ce que cet homme aurait pu devenir s'il avait été soutenu par une femme aimante et croyant très fort en son talent...

Le point d'orgue avec ce final de comédie musicale (Oklahoma ?) peut néanmoins constituer un indice sur un meurtre commis (la jeune femme et son fiancé ?) dans le passé qui sera resté impunis... Avec ce quelqu'un qui observe en coin les deux tourtereaux. Les restes donnés aux cochons ou enterrés à la cave... Difficile à dire mais on peut l'envisager... Avec la complicité des parents ? Tout ceci remonterait à la surface à l'approche du jour dernier. Culpabilité sourde et écrasante. Plutôt que de simples regrets / remords. Mais trop peu d'éléments nous permettent d'étayer cette thèse. 

La matière rappelle finalement assez furieusement celle d'un The Father sorti récemment (sur la thématique d'Alzheimer). Ces personnages aux identités flottantes. Je me suis d'ailleurs dit que Je veux juste en finir se prêterait divinement à une adaptation pour le théâtre (dont est par exemple adapté The Father).

Et reste au final une impression mitigée malgré ce très beau numéro de comédie musicale sur les derniers instants. Impression mitigée parce que film longuet, dépressif et surtout prévisible... On attend on attend on espère et l'on se dit à la fin des fins : "bah oui quoi d'autre ?".

Je reste persuadé sur ce thème universel, existentiel, qu'il est difficile de surpasser dans le drame fantastique ce que fut La vie est belle de Capra ou dans la comédie romantique un film comme Un jour sans fin beaucoup plus profond qu'il n'y paraît. Ce dernier ne raconte pas autre chose mais de façon plus légère, enlevée... Toute ma vie dépend de ce qu'il adviendra de notre relation ce jour précis, ce matin-là... Alors autant le vivre et le revivre sans fin pour accomplir ma destinée. Notre destinée.

mardi 1 février 2022

Tenet

La dernière image ? La seule qui sonne "vrai", où l'on sent la douleur et la mort qui vient... C'est ce paysage désolé au milieu d'un enchevêtrement de voies ferrées, comme des milliers de débuts d'histoires avec des trains qui vont et viennent et cet homme sous la torture et qui s'en remet à un signe du destin, une pilule peut-être... Mais de quelle couleur ?   

Evidemment le carré SATOR est un carré magique dont chacun essaye de percer les secrets, de déchiffrer la signification depuis sa découverte ici ou là. J'ai lu quelque part une interprétation intéressante amenant le sujet vers des références à l'Ancien Testament : 

« J’ai vu les Vivants : il y avait une roue à terre, à côté de chaque Vivant, pour leurs quatre visages. Ces roues et leurs éléments scintillaient comme de la chrysolithe ; toutes les quatre avaient même forme ; l’aspect de leurs éléments était tel que les roues paraissaient imbriquées l’une dans l’autre. Quand elles avançaient, elles allaient dans les quatre directions ; elles avançaient sans s’écarter » (Ez 1:15-

Il y est essentiellement question de mots écrits en latin. SATOR signifierait Semeur, TENET veut dire tenir / mener. OPERA c'est l'oeuvre, enfin ROTAS c'est la rotation de la roue, référence possible au cycle des saisons. Seul AREPO pourrait évoquer la charrue en vieux Gaullois, 

Une fois qu'on a dit ça, on n'est pas beaucoup plus avancé pour comprendre le film de Nolan.  Car qu'elle qu'en soit la signification, on a bien compris qu'il est question de pouvoir lire dans un sens l’histoire puis dans l’autre. L’histoire peut avoir plusieurs niveaux de lecture. Le point de départ peut se trouver n'importe où. Certains personnages peuvent se dédoubler. Dans cette approche, le film mérite probablement plusieurs visionnages. Mais le juge de paix restera toujours le même : qu'est ce que le film a fait naître en nous ? Quelles émotions a-t-il suscité ? Comme pour Inception, pas grand chose... Tout ici est trop carré, filmé comme un James Bond, avec beaucoup de bruit, de coups de feu, d'explosions, de complexité narrative inutile et finalement paradoxalement pas assez de mystère. On y perd complètement la magie du carré avec notamment des personnages archi caricaturaux (Sator en tête).

Restent les questions rigolotes qui demeurent côté intrigue ? Le petit jeu d'analyse vaut toujours  le détour. C'est ludique et stimulant. D'abord, on comprend vite qu'outre TENET, les mots SATOR (le méchant "semeur"), AREPO (un mystérieux homme qu'on ne voit jamais, ayant eu une relation avec Elisabeth dans le passé), OPERA (lieu emblématique d'introduction), ROTAS (lieu clé de l'aéroport où les premières rotations temporelles se font jour) ne sont pas fortuits. Il est clair ensuite que la lettre N est centrale dans le carré magique. Or N c'est évidemment Niel et on comprend vite dans le film que ce Niel sorti de nulle part, c'est l'enfant d'Elizabeth qui a grandi. D'ailleurs, dans le carré Sator, la lettre centrale N est entourée de 4 E. Comme Elisabeth.

En revanche cette déduction amène d'autres questions : Si 2 Elisabeth peuvent cohabiter quasiment dans la même scène, si Niel peut être dans la même dimension temporelle que lui-même à 8 ans (au moins 30 ans d'écart !!!), alors tout est possible... Est-ce que dès lors le fait qu'on ne voit jamais Sator en compagnie de son fils peut également interroger sur sa véritable identité ? ne serait-ce pas Niel ayant basculé du côté de la force obscure dans un lointain futur ? auquel cas la double mort de Niel (sacrificielle) & Sator (tué par Madame sa maman) prend une toute autre dimension... Freudienne.  

Dernière piste, la moins farfelue : tout commence et tout finit sur le timing de l'opéra et pour cause : c'est là que le protagoniste meurt vraiment au tout début et toutes ses tentatives mentalement pour conjurer le sort l'amène à créer ce monde chimérique dont il est de fait le chaînon central, l'architecte. Et dans le mot protagoniste, il y a le mot Opéra mais il y a aussi le mot Agonie.