dimanche 30 juin 2013

The Dark Knight rises. Simples mortels, triste fin


Batman Begins annonçait la couleur, pas mal mais rien d'extraordinaire, en tout cas rien qui fasse oublier le Batman de Burton. Fable politique d'une rare noirceur, The Dark Knight était plus ambitieux, contenait quelques beaux moments mais n'en restait pas moins bancal et trop long. Ce troisième volet est de loin le plus mauvais. Je ne reviens pas sur les longueurs, les étranges ellipses, les invraisemblances du scénario, les rebondissements improbables (surtout vers la fin) car le vrai problème est ailleurs.

Il vient de l'obsession de Nolan à vouloir à tout prix ancrer son histoire dans un réel post traumatisme 11 septembre, il procède de cette fausse bonne idée d'un Gotham City transformé en hologramme de notre monde actuel... Car à trop vouloir nous rendre familier cet univers, Nolan évacue la magie noire de Batman pour n'accoucher que de trivialités comme nous en servent les chaines d'info à longueur de journée. Exemple le plus frappant : les fameux 2 affrontements Batman/Bane qui pris au pied de la lettre deviennent deux ridicules combats à mains nues entre deux simples mortels... Si l'on prend en compte les entraînements de forçat de Christian Bale suant au fonds d'une cellule pour revenir au top, on est alors en plein dans l'imagerie et les ressorts dramatiques d'un Rocky 3 L'oeil du tigre... C'est dire comme est alors loin de l'univers morbide et fantasmagorique du super-héros.

Parce qu'enfin, il ne faut pas oublier ce que raconte vraiment Batman et d'où provient cette fascination morbide qu'il exerce. Batman incarne la tentative désespérée de l'Homme conquérant, revenu victorieusement de tous ses combats, ayant vaincu par son ingéniosité tous ses adversaires, tous sauf un, littéralement surhumain, le fléau le plus destructeur qui soit : je veux bien sûr parler de la grande faucheuse. Sous les traits de Jack Nicholson, le Joker ricanant en fut sa plus belle personnification à l'écran. Et ce n'est évidemment pas un hasard si Tim Burton est le seul à avoir su restituer cette atmosphère cauchemardesque unique, le parfum si vénéneux de la mort au travail au-dessus de nos têtes. Nolan s'est une fois de plus trompé de combat. Ca commence à faire beaucoup... 

samedi 29 juin 2013

The Bay. Barry Levinson. Sanglant le rêve d'Icare


Derrière une apparence brute et modeste, The Bay est un puits de références : Les dents de la mer, Alien, Piranhas, Diary of the dead. Entres autres... Déjà agréable en soi de se savoir en si bonne compagnie (Steven Spielberg, Ridley Scott, Joe Dante, George A Romero).

Mais parlons du film. Ce qui saute aux yeux, c'est la parfaite osmose entre le fonds (entreprise privée de révélation d'un secret d'Etat autour d'un scandale écolo-sanitaire sur le mode Wikileaks) et la forme (le found footage).

Car plus qu'un énième film d'horreur, The Bay est d'abord un terrifiant pamphlet politique au sens le plus noble du terme. Son message ? Icare s'est brûlé les ailes pour avoir trop fait l'autruche. La culture du chiffre à tout prix (il en va de l'argent comme de l'audience) entraîne la culture intensive (de poulets élevés au fertilisants comme de l'image galopante, vidée de sens, noyant l'information, la vraie, comme personne) et partant les excès qui ne manqueront pas de se produire dans la vie réelle par notre faute, par négligence coupable.

Sur un mode clinique, le film détaille le cauchemardesque concours de circonstances à l'origine de la catastrophe. Le nucléaire, la chaleur, les farines animales, les courants marins... Aussi exceptionnel que l'apparition de la vie sur Terre ? c'est son génie que de nous dire tout bas : si le Big Bang a eu lieu, alors La nuit des vers géants est pour bientôt mes amis... La grande frayeur provoquée vient en réalité de ce sentiment diffus qu'un jour ou l'autre, la réalité finit toujours par dépasser la fiction.



S'exprime aussi en filigrane la recherche individuelle d'un bonheur matériel à travers une constellation de témoignages déconnectés les uns des autres (tous ces gens sous le chaud soleil d'un 4 juillet profitant en famille de leurs vacances, de moments de détente). Un puzzle constitué d'autant de preuves d'un bien-être égoïste qu'on veut afficher à tout prix (comme sur Facebook). C'est la juxtaposition de ces moments du passé, sorte de "babelisation" de nos vies, émanant de personnes inconscientes, parfois lâches (quand elle filment d'autres personnes agonisantes sans jamais leur venir en aide) qui va donner corps à la négligence que j'évoquais plus haut, qui va également créer le Big Picture. Car ces jeunes écervelés, au moment précis où leur obsolescence s'incarne sur un écran, ne se doutent pas que l'horreur est là, qu'elle leur pend au nez, qu'ils sont sans le savoir déjà morts.

Il faut alors un créateur, Barry Levinson, pour poser un regard d'une acuité folle depuis le plafond d'un lieu d'élevage sur la batterie de poulets que nous sommes, gavés de nos rêves d'Icare et de nos déjections qui finiront par avoir notre peau. Ces cris stridents de volailles sont évidemment les nôtres (comme ceux, effrayants que l'héroïne finit par entendre dans la nuit). Car le plus terrible dans The Bay, c'est l'idée qu'elle couve en son sein (qu'elle cache comme le requin longtemps invisible dans le film de Spielberg) jusque dans sa structure : ce mal créé par les aveugles que nous sommes et qui pourrait bien un jour ou l'autre faire son trou dans nos entrailles. Jusqu'ici un avertissement sans frais.

L'autre raison d'avoir peur, c'est cette intuition que le cinéma en certaines circonstances peut être un art prophétique. Le réalisme féroce est un de ses langages. Barry Levinson nous ouvre les yeux en nous susurrant comme l'un des personnages du film "On n'imagine pas le cauchemar là dessous". Et oui, mes amis, l'apocalypse est dans nos assiettes, dans l'eau que nous buvons. Parce qu'elle est en marche, qu'elle est silencieuse et qu'elle touchera tout le monde. Même ce bébé de l'avant dernier plan qui dort paisiblement dans son couffin.

Il faut vraiment voir ce film. Terrifiant mais revigorant. Parce qu'il nous parle vrai. Sans chichis. C'est aussi ce qu'on attend du cinéma.

jeudi 20 juin 2013

Twixt. Deux deuils, cut et fin


Ce qui touche dans Twixt, c'est ce parfum mélancolique qu'il exhale - quand on sait que Coppola cherche à remonter le temps, jusque dans ces périodes reculées, bénies où le génie jaillissait de lui comme le pétrôle d'un puits texan, jusqu'aux Jardins de Pierre et la mort de son fils dans un accident de hors-bord... Alors oui, le film émeut dans sa dimension psychanalytique, dans ce travail de deuil qu'il essaye d'accomplir pour libérer les forces motrices d'un créateur au point mort.

Mais si l'on fait abstraction de tout cela, il faut bien reconnaître que même si Twixt sort habilement des sentiers battus, fort d'un scénario malin, il ne réinvente en rien le cinéma comme mise en abyme du processus de création. Il se pose en facilitateur de deuils (doublement, celui du personnage principal et celui du réalisateur) mais pas en faiseur de miracle. Un attachant petit polar horrifico-métaphysique diablement futé en somme. Rien de plus.

Passion. Intacte. Brian De Palma.


On pourrait revenir sur l'épilogue que j'ai trouvé un peu facile... Mais l'essentiel est ailleurs pour moi. Il y a dans ce film une perfection de la forme qui épouse idéalement une trame à la fois cruelle et ludique où les apparences comme les femmes sont reines. Quand Martin Scorsese ou Ridley Scott se momifient à vue d'oeil, happés par un académisme de plus en plus corseté, voilà que les Coppola, Herzog, Friedkin et maintenant De Palma ont trouvé la clé des champs. Une revigorante école buissonnière dont ils sont désormais les plus beaux représentants en leurs qualités d'ex enfants prodigues du 7ème art. 

Débarrassé de la pression des grands studios, du résultat à tout prix, De Palma réaffirme ici une passion et une liberté de ton intactes. Et cette flamme pour un certain cinéma nous éclaire, mais mieux encore, elle nous réchauffe. Car De Palma ne fait pas que rendre hommage, il est redevenu lui-même. Son style inimitable est retrouvé, un langage cinématographique qui prend racine en toute modestie dans un cinéma qui fut trop longtemps rejeté, celui d'Alfred Hitchcock, celui de Dario Argento. Mais il a grandi avec son temps, et on sait maintenant qu'il continue de s'enrichir au contact des Almodovar (le travail sur l'image et le choix de Noomi Rapace, visage terriblement "novida" en attestent), Lynch ou Verhoeven. Oui, le grand Brian est toujours dans la place. Il est même plus que jamais lui-même. Pas besoin de lifting, ce film est sa cure de jouvence. Mais c'est aussi la nôtre.

lundi 17 juin 2013

Fenêtre sur cour. Et sur le monde d'aujourd'hui.


On peut prendre le problème dans tous les sens, pour qui doit faire un tiercé des meilleurs films d'Hitchcock, Fenêtre sur cour est forcément dedans... La plus éblouissante démonstration qui soit autour de la thématique du voyeurisme, de ses effets secondaires sur la capacité humaine d'action et de décision (en amour comme au coeur d'une enquête policière). Car ce personnage principal immobilisé n'est pas seulement la mise en abyme de la position du spectateur que nous sommes, c'est aussi l'incarnation d'une dépendance physique, de l'impuissance d'un homme, spectateur de sa propre vie et qui pour oublier se drogue à celle des autres.... Un film visionnaire en ce qu'il préfigure notre société actuelle, entièrement vouée au culte de l'image si bien promue par l'avilissant royaume de la toute puissante télé.

Star Trek Into Darkness. Mais sans la magie.


Quand le fameux thème musical commence enfin, que retentit le célèbre "Espace, frontière de l'infini... explorer de nouveaux mondes étranges, découvrir de nouvelles vies, d'autres civilisations... avancer vers l'inconnu...", j'ai enfin le frisson et je me dis que ça va démarrer... Le problème c'est que ça arrive juste avant que les lumières ne se rallument.

Non objectivement, c'est tout juste pas mal, très calibré, mais hautement dispensable. Le premier volet avait le mérite de nous plonger dans une psychologie assez fine des personnages, d'en saisir la complexité, on était dans la genèse et ce seul voyage (tout intérieur, prosaïquement dans le temps) valait le coup. Maintenant que les personnages sont campés, le deuxième volet reste en surface, ne fait que déployer une intrigue spatiale à la James Bond, avec un super méchant et des clins d'oeil appuyés à l'actualité (l'acte terroriste symbolisé par ces "bombes humaines", Ben Laden, Fukushima et son sacrifice nécessaire...) mais il n'en manque pas moins l'essentiel, d'être transporté, d'"avancer fièrement vers l'inconnu". Or le terrain n'est ici que trop connu, balisé. D'où l'absence de magie que profusion d'effets spéciaux ne compensera jamais. Autant essayer de vider l'océan à la petite cuillère...

samedi 15 juin 2013

La Folie Almayer. A la façon de


Enfin ! preuve est faite qu'il ne suffit pas de coller du Tristan et Isolde sur des images pour les sublimer. Boorman et Von Trier ont su le faire, Chantal Akerman beaucoup moins... Ensuite, je n'apprends rien à personne en disant que la meilleure façon de souligner un glissement progressif vers la folie c'est encore de la détacher d'un cadre à faire exister (la forêt, le fleuve, d'autres personnages, le rythme de la narration...). C'est ce contraste qui met en valeur l'échappée folle. Or ici, tout est enchevêtré. Chaque plan s'étale en langueur autour de cette seule idée. Tout transpire la folie Almayer, les interminables plans, les dialogues récités de façon désincarnée, les visages (é)vidés de sens, les postures molles... De belles images bien traumatiques ne suffisent pas à faire un grand film. Conrad doit bien se marrer de là où il est ! Il vient de comprendre l'esprit fin et malin de l'indémodable pub Canada Dry. A la façon de...

Robocop. Métaphore filée d'un Verhoeven qui refuse de perdre son âme...



Un film où le personnage principal se fait dégommer au bout de 10 minutes, y a guère que Police Fédérale Los Angeles (William Friedkin) qu'avait osé avant !

Dans ce film futuriste en forme de fable politique où la loi du plus fort est toujours la meilleure, le seul héros capable de sauver le monde est un zombie à qui on efface la mémoire et qu'on reprogramme pour mieux l'enfermer dans une prison d'acier, dans un carcan de bien-pensance à l'américaine : c'est que Robocop est le pur produit d'une forme de puritanisme jusqu'à ce qu'il se "réveille" de ce cauchemar à la façon d'un Sam Lowry dans Brazil pour finir par retrouver son libre-arbitre et défourailler à gogo... Jouissif.

Egalement une sacrée métaphore autour de la chrysalide... A l'époque Verhoeven n'est-il pas cette chenille qui doit payer de sa vie d'avant (le réalisateur du génial et ambigu Le quatrième homme) pour devenir un papillon de studio, bien sous tous rapports ? Il accouchera comme ça, l'air de rien, de quelques bijoux outre-atlantique (Basic Instinct, Total Recall, Starship Troopers), sans jamais y laisser son âme. C'était quoi déjà l'accroche du film ? Part Man. Part Director. All Genious.

Barbara. Et une révélation, une : Nina Hoss


Le dernier plan, un simple échange de regard entre les deux personnages principaux réunis au chevet d'un malade, est tout simplement sublime.

Pour le reste, c'est un délicieux et langoureux va et vient entre cruauté du contexte historique (très bien rendu ce début des années 80 dans un trou paumé en Allemagne de l'Est) et délicatesse de ce personnage fascinant (incarné par une révélation, Nina Hoss, incroyable actrice), aridité de l'intrigue et grandeur des sentiments suscités qui rend le tout extrêmement appréciable.


Seul reproche qu'on ne pourra pas manquer de lui faire : un (trop) grand académisme.

vendredi 14 juin 2013

Rome Saison 2. Une certaine idée de la perfection.


Une très grande série injustement arrêtée après seulement 2 saisons. Pour moi, la référence absolue du genre. Important également de préciser que la saison 2 atteint une forme de perfection, c'est un sommet d'écriture, de rythme, de tension dramatique, de progression de l'action.

Une fois n'est pas coutume en matière de série et le mot ne me semble pas galvaudé, cette saison 2 se hisse au rang de chef-d'oeuvre.

jeudi 13 juin 2013

38 Témoins. 38 fois dommage...



Depuis sa belle trilogie, j'ai toujours envie d'aimer les films de Lucas Belvaux. Ici encore, on sent indéniablement une sincérité, une conviction, un point de vue, mais le gros problème est ailleurs : le ton général est trop sérieux, les dialogues trop écrits, les non-dits complètement inexistants. Reste cette désagréable impression de se voir administrer une leçon de savoir vivre par le menu... Et comble de platitude, même la reconstitution du crime ne fait ni chaud ni froid. Pourtant les intentions étaient là. C'est pour ça que je n'ai qu'un seul mot : dommage.

Adieu Berthe ou l'enterrement de Mémé. Un enterrement première classe


Ah les préjugés... J'y suis allé à reculons et ce film est vraiment un petit miracle de délicatesse, d'humour, d'intelligence et contrairement aux apparences très loin d'être un joli moment tout léger qu'on oubliera vite... C'est tout le contraire : un remède de cheval à nos angoisses sur les fins dernières, les petites lâchetés entre amis, l'épilogue douloureux d'une belle histoire... Toute la magie du cinéma est là. Pour nous redonner la foi.

Un enterrement première classe, comme on voudrait en faire plus souvent !

mardi 11 juin 2013

Aguirre. La colère des Dieux. Apprendre l'humilité



J'avais été subjugué par The Lost Patrol de John Ford, le premier à développer cette belle idée autour d'un ennemi invisible qui décime un par un tous les membres d'une patrouille de soldats perdus dans le désert. Biblique l'inspiration !

Aguirre est têtu quand il explore. Ivre de ses rêves d'or et de renommée, il se laisse ronger sous l'armure par la convoitise et l'orgueil démesuré du monstre d'arrogance qu'il est. Se voyant déjà régner sans partage sur l'Eldorado, il voudrait être Dieu en toute simplicité. Un Dieu dont il va réveiller la colère à mesure qu'il descend ce long fleuve de mystère. Symboliquement le cours de son existence. Aguirre la traverse en devenant de plus en plus lent, de plus en plus lourd (la gravité le visse littéralement à ce radeau de la méduse), de plus en plus fou... Un fragile équilibre qui bascule définitivement dès lors qu'Aguirre se retrouve seul, abandonné de tous, encerclé par une forêt aussi muette qu'impénétrable. Comme face à lui-même. L'occasion d'ouvrir enfin les yeux et de courber l'échine. Respectueusement. On ne se présente jamais devant Dieu autrement que nu comme les vers en gestation dans nos entrailles. Pas même un pantalon, Aguirre n'emmènera rien avec lui...

Ce film est une école de la vie. Indispensable pour apprendre l'humilité.

lundi 10 juin 2013

Full Metal Jacket. Stanley Kubrick. Libre sous un casque.


Full Metal Jacket n'est pas un film de guerre à proprement parler. Le contexte et le genre sont un terreau fertile pour démontrer qu'aucune formation, aucune arme, aucune méthode, aussi élaborées soient-elle, ne sauraient préparer au caractère imprévisible de la guerre. En matière de cruauté, l'imagination de l'Homme est sans limites. Et la deuxième partie du film le prouve. Une jeune femme au visage juvénile va méticuleusement tailler en pièces une section surentraînée de Marines. Invisible, impossible à localiser, elle leur fait, ainsi qu'à nous, l'effet d'une mine anti-personnelle. Pire, d'une bombe à fragmentation.

Tout le film nous dit cette absurdité, mais il dit tellement plus. La guerre est le prétexte mais la réflexion va au-delà : une dénonciation scrupuleuse de toutes les formes d'embrigadement, d'avilissement des êtres par la religion, de toute foi plantée avec avidité dans un crâne mou pour uniformiser, couper ce qui dépasse... Un austère couvre-chef pour emblème. Il faut se rappeler que la fille de Stanley Kubrick a été happée très jeune dans le mouvement sectaire et qu'un des longs combats de ses parents a été d'essayer de lui ouvrir (grand) les yeux sur cet emprisonnement.

Entre les lignes de front, Kubrick dénonce les mouvements sectaires, les marchands d'espoir à la petite semaine, qui profitent de la faiblesse, de la détresse, de la crédulité d'êtres fragilisés pour mieux penser à leur place. L'un des personnages clés de la première partie incarne l'un de ces rats de laboratoire qui va y laisser sa peau (et pas que la sienne). La jeune femme de la seconde partie est ce cobaye nourri au sang qui exécute froidement son programme de mort.

Voilà le message universel de Full Metal Jacket : Seule la vie donne et reprend quand elle le décide. Rien ne nous prépare à l'inacceptable. Encore moins à l'imprévisible. Aucune croyance d'aucune sorte ne saurait le faire. C'est comme ça, iI faut simplement accepter notre sort et repartir à chaque nouvelle aube en chantonnant, comme si de rien n'était, mais libres sous nos casques...

dimanche 9 juin 2013

Blade Runner. Ridley Scott. Cantique de la mauvaise herbe


Qu'est-ce qui fait de ce film un miracle, un intemporel chef-d'oeuvre ? D'abord l'histoire dont la paternité revient au non moins immortel Philip K. Dick. Son univers reconnaissable entre mille n'a jamais été aussi parfaitement retranscrit à l'écran. Ensuite le duel au sommet Harrison Ford / Rutger Hauer, le premier livrant peut-être son interprétation la plus profonde, la plus ambigüe, la plus nuancée de sa carrière. Enfin et surtout le traitement : Blade Runner est un bijou SF scintillant dans un écrin de film noir dont toutes les balises sont allumées : détective privé traînant sa mauvaise conscience dans une cité épileptique, femmes fatales blondes et brunes, faux semblants (Qui est pur - entendez honnête -, qui ne l'est pas ?), noirceur et complexité des chaînes de responsabilité dans une enquête à tiroirs comme dans Le Grand Sommeil...

Voilà ce qui est le plus vivifiant : on pense à Raymond Chandler, à Jim Thompson, et pourtant Blade Runner s'achève au sommet d'une tour futuriste avec l'extinction d'un robot à notre image, paradoxalement sensible à la beauté du monde et qui dans un dernier geste fragile de compassion révèle un libre arbitre et une humanité à des années lumière de celles du héros soudainement devenu anti-héros, déterminé dans ses choix, corrompu jusqu'à l'âme, oublieux du matériau précieux (humain) dont il est fait mais qui n'en demeurera pas moins le survivant...

L'imparfaite humanité est cette mauvaise herbe qui résiste à tout. Les êtres purs sont quant à eux périssables. Fabuleux point d'orgue.

Hilton Ruiz. RIP. Tribute to a genious.




J'ai rencontré cette jeune femme, délicieuse et qui le savait trop ou si peu, c'est idem, toujours le déséquilibre qui fait que 2 végétaux se rapprochent un jour ou l'autre. La nature, l'humidité du sol, la pente, le vent, le destin.

Elle était d'autant plus "admirable" à mes yeux qu'elle incarnait cet idéal de femme artiste. Pianiste, entière, passionnée.

Et il m'arrive parfois de repenser à ces moments, gracieux, où nous nous faisions écouter des morceaux. A tour de rôle. Une précision s'imposant à ce stade : je ne suis que mélomane, mon oreille et mon âme sont mes seules boussoles.

Ce jour-là, je lui fais écouter quelques passages chéris de l'album Trust d'Hilton Ruiz,  rythmique identifiable, sud-américaine. Hilton y cherche comme un chien affamé entre les notes, et trouve de nouveaux espaces de vie là où d'autres ont abandonné depuis longtemps. 

Devant cet enchevêtrement de sons plus rapprochés les uns que les autres, comme étranglés, je réalise soudain à quel point le conservatoire de musique (dont elle est issue) peut formater les esprits jusqu'à l'aveuglement des sens... Et arrive fatalement le moment redouté, le fameux Déclic de Manara où naît imperceptiblement le Mépris façon Godard : la demoiselle m'assène alors "Attend, mais il joue atrocement ton pianiste, il est même pas dans le rythme".

Depuis ce jour maudit, je me suis promis de défendre mes oreilles et Hilton Ruiz avec ;-)






Que dieu te bless Ô Hilton Ruiz...




               



samedi 8 juin 2013

The Raid. Navet martial


Comment peut-on ne serait-ce qu’évoquer le Breaking News de Johnny To, Assaut de John Carpenter ou même Piège de cristal de John Mc Tiernan ? Qui aurait autant de m… dans les yeux ?

The Raid est aussi programmatique qu’un jeu video abrutissant, Le huis clos et la pseudo ambiance fantastique ne sont que les prétextes vains pour dérouler de la castagne à haut risque (pour les cascadeurs). Pim, pam, poum. Comme l’étaient déjà Ong Bak et surtout le désastreux Born To Fight..

Les gens sont facilement impressionnables et ne font plus la différence entre un film d’action inspiré et une vulgaire exhibition assommante… Il n'y a ici aucune vision, aucune ambition autre que chorégraphique. On est purement et simplement dans ce qu’on pourra appeler une forme nouvelle de propagande, de pornographie de la violence où chaque coup de poignard, chaque filet de sang, chaque impact, chaque râle est léché, étiré, offert sans retenue.

A défaut d’être autre chose qu’un enchaînement de cascades sans supplément d’âme, The Raid est pour sa complaisance à vouloir tout montrer un spectacle au mieux vain, au pire putassier…

Profit. Godfather de la (bonne) série TV




Interrompu prématurément (première saison écourtée, incomplète) car probablement en avance sur son temps, Profit est un monument de la série TV qui retrouve aujourd'hui tout son sens...

Des années avant la crise mondiale aigüe que nous connaissons, brillamment exploitées il y a peu dans Margin CallProfit contenait en germe, déjà, cette idée géniale qu'un dirigeant de grande société peut non seulement être un salaud, un authentique imposteur, mais pire, un serial killer (au sens propre comme au figuré)... Une limpide démonstration pour une série plus que jamais d'actualité depuis le scandale Madoff et celui des subprimes.

Pour ne prendre que ces deux exemples, Mad Men ou Dexter sont à leur façon des enfants de Profit... hélas sorti 20 ans trop tôt. A redécouvrir !

vendredi 7 juin 2013

Kathryn Bigelow. De Near Dark à The Hurt Locker. Hommage




Kathryn Bigelow est enfin reconnue pour l'immense talent qui fut toujours le sien grâce au brillant The Hurt Locker (multi récompensé aux Oscars à juste titre).

Mise en scène fabuleuse, point de vue d'une intelligence rare sur un conflit aux contours pour le moins troubles (dès lors que l'adversaire, invisible, se fond dans la population civile), et à plus forte raison sur un métier dans lequel l'adversaire (la mine) est justement insaisissable, peut surgir n'importe où, n'importe quand, sans prévenir. Métaphore puissante pour un film beaucoup plus politique qu'il n'y paraît.

Voilà pourquoi The Hurt Locker, à l'instar de Full Metal Jacket, est un immense film de guerre qui n'en est pas un. Il en prolonge d'ailleurs la seconde partie qui soulignait à merveille l'absurdité de la préparation à des situations qui par définition sont imprévisibles.



Mais c'est oublier que Kathryn Bigelow a brillamment commencé sa carrière en réalisant Near Dark, premier grand film de vampires de l'ère moderne, avec une love story comme on en retrouvera dans la saga réchauffée Twilight...


Résolument rock and roll, Near Dark navigue entre western et road movie fantastique dans ces contrées reculées de l'Etat d'Oklahoma où l'oisiveté côtoie l'ennui. L'irruption de ces vampires en bande organisée va réveiller la torpeur ambiante d'un de ces patelins gangrénés, transformant l'inaccessible grand rêve américain en petit cauchemar bien présent et dont la déflagration va permettre l'éclosion d'une grande histoire d'amour. Rarement personnages principaux m'auront autant marqué dans ma jeunesse. Mae et Caleb, deux magnifiques hors-la-loi et hors du temps, habités par l'esprit saint de Bonnie and Clyde.

Au fond, dès ce premier film, on devine que Kathryn Bigelow n'en restera pas là, qu'elle aura beaucoup à nous raconter par la suite...

Alien. Ridley Scott. La survie de l'espèce en jeu



C'est en assistant à la naissance de ma fille que j'ai compris comment avait germé l'idée d'Alien dans l'esprit de Ridley Scott. Pas que le spectacle ait été celui d'un film d'horreur, c'était au contraire un moment d'une beauté grandiose. C'est plutôt la façon dont le mystère de la vie m'est apparu avec une question fondamentale : cet amas joliment animé de cellules vivaces qui s'éjecte de lui-même comme d'une photocopieuse 3D est-il indépendant du moteur qui l'a fabriqué ? Utilise-t-il les enveloppes corporelles, les êtres vivants pour se maintenir "en vie", pour se survivre à lui-même ? Autrement dit ne sommes-nous que des "véhicules", des transmetteurs ?

Le secret d'un chef-d'oeuvre est souvent psychanalytique, niché dans l'inconscient collectif sans qu'on sache vraiment ce qui nous y subjugue si profondément, ce qui nous y terrifie autant. Il y a bien sûr dans Alien du génie à revendre, l'idée d'un huis-clos spatial et l'invisible menace qui renforce un univers puissamment singulier (cette navette aux allures de plate-forme pétrolière en perdition) ainsi qu'une lenteur paradoxalement délectable, comme une interminable gestation dans ce lieu clos et humide. Comme le ventre de l'au-delà.


Mais l'idée fondamentale (évidemment inconsciente, presqu'abstraite) se situe plutôt selon moi dans la sexualisation du conflit et la féminisation de l'horreur. Nous avons d'un côté l'héroïne (Sigourney Weather), celle qui symboliquement porte et donne la vie. Et de l'autre un monstre, symboliquement cette vie changeante, 
protéiforme, qui entre et sort d'un corps quand bon lui semble et qui prolifère sans passer par les méthodes traditionnelles (pour ne pas dire voies naturelles) : un homme + une femme = une vie de plus. Avant de devenir l'Alien (ce papillon avec une gueule de pistolet à essence), le monstre est d'ailleurs encore dans un premier temps à l'état de chenille collant, une sorte d'araignée collante, obligeant des hommes à la soumission la plus totale, la plus silencieuse, dans le respect d'un rite sacré : le cunilingus qui permettra à la vie d'éclore (contre nature de notre point de vue) dans leurs ventres stériles, provoquant au passage leurs morts. On regarde alors Des utérus et des hommes.

Emerge ensuite la notion de combat suprême : la figure de la femme grande et forte, garante de la sauvegarde de l'espèce (et pour cause, elle est celle qui met au monde, Sigourney) se dresse face à cette autre forme de vie, déviante. A certains égards, cette autre forme de vie s'incarne d'ailleurs tout autant dans personnage du robot que dans celui de l'Alien.


L'affrontement devient donc sous nos yeux une lutte à mort pour sauver le genre humain... Une idée qui sera développée plus avant dans le deuxième opus où Sigourney devenue mère (rappelez-vous la petite orpheline qui lui octroie ce statut) affronte une autre reine mère dans un final hautement allégorique. 2 mères, 2 façons de mettre au monde, de donner la vie, face à face. C'est pourtant bien la mort qu'elles s'apprêtent à se donner.

Voilà le secret d'un chef-d'oeuvre. Quand The Descent évoque de façon souterraine le matriarcat en gestation et la guerre des sexes dans une société déboussolée, Alien ne traite  en filigrane que d'un sujet philosophique : rien de moins que la survie de l'espèce entre les mains pas si fragiles d'une femme. Inoubliable Alien dont l'affiche originelle - cet oeuf, la vie - prend tout son sens.

Fat City. Life is what happens in between rounds. John Huston. Stacy Keach. Jeff Bridges


John Huston, décidément, ton humanité nous prend de vitesse, nous déborde pour nous laisser sur le cul. Merci pour ce mémorable uppercut !

Fat City est l'un des quelques très grands films "sur la boxe", même si cette dernière occupe véritablement la fonction de décor, de toile de fonds sur laquelle se détache les silhouettes bien vivantes des grands oubliés du rêve américain. Car les vrais héros sont les personnages. Très, très hauts en couleur. Une galerie de gueules cabossées, avinées, qui dialoguent dans l'émotion de leurs voix éraillées (Stacy Keach objectivement phénoménal, Rien que pour lui, Fat City doit vous passer sous les yeux), dans leurs manques palpables et leurs espoirs envolés. On se croirait souvent dans un savoureux roman de James Crumley. Combattants à la dérive, perdants magnifiques, en amour comme en boxe. Au final, on a envie de tous les connaître, c'est dire combien tous ces personnages un peu dingos existent à l'écran. Truffé d'humour, étonnement charnel, Fat City n'en reste pas moins un portrait au vitriol d'une Amérique des illusions perdues.

"Life is what happens  in between rounds" dit d'ailleurs mieux que personne ce que raconte le film. La Boxe y est la métaphore la plus limpide de ce que sont nos vies. Après chaque nouveau combat, moment d'action intense où se décide  notre funeste sort, il faut retourner dans son coin, panser les plaies, se remobiliser, rassembler ses forces, et repartir au combat; encore et encore.

jeudi 6 juin 2013

Dark Star. John Carpenter. A quand le remake par Michel Gondry ?



Très fan de Carpenter, je sais rester honnête. Dark Star souffre d'un évident manque de moyens qui pourra laisser des spectateurs en chemin, mais son récital d'idées plus folles les unes que les autres, son univers claustro, ses personnages terriblement attachants et par-dessus tout cet humour dévastateur qui par la suite disparaîtra curieusement de l'univers du cinéaste (peut-être délesté de ses belles illusions de jeunesse) font oublier cette faiblesse dont il faut faire abstraction parce que c'est le destin de cette production fauchée que d'avoir lancé la carrière d'un immense réalisateur.

Et pour bien clarifier les choses, Dark Star est plus qu'une curiosité, c'est petit bijou SF d'humour potache et d'inventivité, que ne renierait sûrement pas de nos jours le Michel Gondry de Be Kind Rewind !

Et pendant qu'on y est, tiens, qu'est-ce qui empêcherait Gondry d'avoir l'envie et/ou l'idée de s'attaquer au remake de Dark Star en l'important dans son propre univers ? Qui de plus légitime pour le faire ? On lance une pétition, chiche ?



Soyez sympas rembobinez ! No need to be kind to rewind Mister Gondry. Great movie


Pourquoi c'est selon moi le meilleur film de Gondry ? Parce que pour la première fois, cet esprit fécond, à l'inventivité débordante faite de trompe-l'oeil, de bric et de broc, de miraculeux bouts de ficelle, épouse totalement le sujet du film et son délirant point de départ (les cassettes video deviennent illisibles obligeant les tenants du club à se montrer inventifs pour survivre...). S'ajoute évidemment à cela une dimension nostalgique à la fois d'un certain cinéma dont l'imperfection ou le manque de moyens faisaient précisément le génie (Dark Star de Carpenter pour n'en citer qu'un), et d'une époque aussi, nos chères années 80 qui virent naître les premiers clubs video et leur ambiance unique (sorte de temple du vendredi soir où l'on allait chercher goulûment sa came du samedi soir), ces épais boîtiers de plastique souple et leur odeur caractéristique.

Quand le mariage de la folie créative la plus débridée et d'une forme sincère de Saudade est aussi réussi, on obtient ce que je considère comme étant l'une des plus belles et plus sincères déclarations d'amour au cinéma qui soit. Le genre de film qui vous emporte avec lui, puis qu'on rembobine et qu'on se remate seul ou en famille ou entres amis, avec une jubilation non feinte.

Possession(s). Eric Guirado. Regarder l'humanité au fond des yeux.



Le problème selon certains détracteurs c'est que "sur un tel sujet, il fallait oser s'approcher de la monstruosité. Chabrol le faisait. Guirado la fuit. (...) Même la folie semble être une notion trop métaphysique pour Guirado, qui s'en tient au simplisme gênant d'une histoire de jalousie minable" (Télérama). Alors que le talent du réalisateur est précisément là. C'est sa grande clairvoyance. Ce qui frappe dans Possession(s) c'est la nauséabonde humanité qui émerge dès lors qu'une situation propice vient réveiller les plus bas instincts de l'Homme. Voilà pourquoi le film met mal à l'aise, sans juger pour autant, il se contente de décortiquer l'irrémédiable. Froidement, mais brillamment.


Conclusion : il fallait justement oser la grande histoire de la jalousie, fuir à tout prix le mirage de la monstruosité, prétexte idéal pour ne pas regarder l'Humanité au fond des yeux, telle qu'elle est, dans son plus simple appareil... Et Guirado l'a parfaitement compris.

Le grand soir. Le très grand film surtout ! Le remède miracle contre la morosité ambiante.


En ces temps de crise où la vue baisse, où la prise de risque se raréfie, où chacun se laisse paralyser par l'anxiété, voilà une bouffée d'oxygène, une percée salutaire du Dieu Soleil dans le gris chaud de la couche nuageuse et qui nous murmure que d'autres choix de vie sont possibles. Si, si. Aux pires moments des nôtres.

J'ajoute qu'un film comme ça, on te dit qu'il est des Frères Dardenne ou d'Aki Kaurismaki, il te fait le strike au festival de Cannes, du double prix d'interprétation masculine au Grand Prix palmé... et ça juste avec la famélique scène du Poelvoorde "porté en triomphe jusqu'à la sortie" (dédicace Timsit de la grande époque) ou celle de la combustion pas spontanée de Dupontel  hurlant "Je suuuuuce".

Bref, tout ici est perfection. Humour pas capitonné pour un sou, dialogues de trop haute volée, et cerise sur le gâteau, 2 comédiens complètement habités (Poelvoorde hallucinant, son meilleur rôle pour moi même si Dupontel n'est pas en reste).

Merci Benoît. Merci Gustave. Merci Benoît. Merci Albert. Merci la vie. Puissent les Dieux du cinéma reconnaître un jour que voilà un (deux, quatre) de leurs plus beaux rejetons.

Bernie Bonvoisin, t'es plus tout seul comme plat de résistance mon pote...

dimanche 2 juin 2013

Brazil. Terry Gilliam. Evasion mode d'emploi.


C'est drôle, je viens de voir l'innommable Cosmopolis et c'est Brazil qui m'est immédiatement venu à l'esprit. Parce que Terry Giliam, lui, a toujours eu une exigence chevillée au corps : faire rêver le spectateur même lorsqu'il est immergé dans un univers âpre et anxiogène dominé par un état totalitaire - pas si dissemblable d'une certaine imagerie de notre grand méchant capitalisme et de ses effets collatéraux sur nos vies en carton. Un monstre invisible, implacable, tapi au coin de chaque petite rue de la grande cité étouffante, prêt à nous saisir à la gorge.

Terry Giliam a tout compris depuis longtemps : il nous dépeint un monde qui marche sur la tête, une société fantasmée et pourtant si semblable à celle qui nous entoure, sorte de boa constrictor qui sait faire les yeux doux pour mieux nous réduire au silence éternel...

Dans cet enfer si familier, Terry Gilliam affirme que le cinéma a plus que jamais vocation à nous faire réfléchir en voyageant... Quitter la terre ferme, nous évader, rallier le Brésil comme Sam Lowry, le temps d'une chanson. Brazil est ce merveilleux voyage.









Shutter Island. Pudding indigeste. Martin Scorsese.


Je trouve que ce cher Martin Scorsese n'y arrive plus depuis des années déjà... Shutter Island est un roman très efficace mais à l'écran, mamma mia... Tout sonne faux, toc, artificieux, pire, l'ensemble manque cruellement de finesse. Je pense notamment aux clins d'oeil appuyés à ses films chéris, aux références lourdingues à la tragique Histoire...

Son cinéma me fait l'effet d'un pudding indigeste dans lequel il continue de fourrer tous ses ingrédients maison dans une forme ultra conventionnelle. Du pré-maché. Chez moi ça ne passe plus. Je suis devenu allergique à son côté pataud, à cet académisme étouffant comme d'autres au gluten. Je vais vous dire, le meilleur dans ce film, c'est encore le roman.

Pour le dire plus simplement, il est grand temps que Martin Scorsese s'inspire des Coppola, Friedkin, De Palma et Herzog qui ces derniers temps retrouvent une vraie deuxième jeunesse (Twixt, BugPassion, Bad Lieutenant Escale à la Nouvelle Orléans...). Parce que sinon, à ce rythme là, je saurai hélas quoi répondre à la question soulevée par l'affiche du film "Someone is missing ?"...

PS - Je viens de le revoir, on est en 2024. Voilà ce que je peux en dire avec le recul et après cette deuxième vision. Toujours aussi carton pâte d'entrée (mais c'est voulu vue la mise en scène intentionnelle prévue à l'intérieur du dispositif du film). Par ailleurs on sent bien les influences de Shining à Shock Corridor en passant par Les dix petits nègres...  Mais encore une fois, le film est trop long, les symboles bien trop appuyés, les flashs back lourds. Dès que le héros s'entête à voyager du côté de la falaise pour y rencontrer une femme imaginaire (???), le film s'enlise pour de bon. Et toute la séquence finale dans le Phare est bien trop explicative et bavarde... En matière de twist, n'est décidement pas Shyamalan qui veut... C'est pas nul, soit, mais disons que le passage à l'écran ne rend pas justice au livre. Indigeste, pas fin, c'est comme on voudra. Pour moi, c'est toujours Choucroutte Island.

Double énigme. The Dark Mirror. Robert Siodmak. From Dead Ringers to Basic Instinct.


Un film étonnant et moderne au point qu'il semble avoir colonisé l'imaginaire de Paul Verhoeven pour son Basic Instinct (la scène inaugurale, une évidence) et celui de David Cronenberg pour son Dead Ringers (cette folle idée autour de l'inextricable double maléfique).

Beaucoup moins standard et lambda qu'il n'y paraît. Rétrospectivement, c'était l'oeuvre audacieuse et visionnaire d'un Robert Siodmak au sommet. A ne louper sous aucun prétexte !




samedi 1 juin 2013

House by the river. Fritz Lang. House of the shining moon


Vraie redécouverte. Joyau de noirceur. Rarement film aura si bien tissé son univers sonore et visuel autour du processus mortifère de création (l'inspiration se farfouillant dans un passage à l'acte pour le moins morbide) et de la culpabilité démentielle qui en découle. Les décors s'y prêtent divinement : ce fleuve charriant des formes incertaines, le moindre branchage flottant entre deux eaux pouvant rappeler une dépouille emmaillotée surgie du passé. Et cette demeure austère, déjà hantée, maison d'écrivain sans inspiration dans un grand film qui n'en manque pas ...


Ce film aurait-il pu, de loin, de si loin, glisser quelques mots doux à l'oreille de Stephen King lorsqu'il rêvera secrètement quelques années plus tard d'un écrivain en mal d'inspiration dans une imposante demeure et hanté par une culpabilité sourde ? Ce serait bien, non ?    

Les Moissons du ciel. Le 7ème art à son apogée.


Terrence Malick au sommet de son art, Les moissons du ciel est un melodrame flamboyant qui réunit tout ce qu'un amoureux du cinéma peut en attendre :

Un art filmique incomparable s'appliquant aux fonderies incandescentes comme à des champs cultivables envahis par les criquets dans le soleil couchant. Une sublime histoire d'amants maudits guidés (contrairement à Badlands) par une ambition purement matérielle (la mythologie de la conquête de l'Ouest n'est jamais loin), ce qui donne à ce monument des allures de film noir (Assurance sur la mort, Le facteur sonne toujours 2 fois), la grâce infinie en plus.

Evil Dead 2. Dead by dawn. Best by far



Les gens finissent par oublier qu'Evil Dead finissait terriblement mal, aucun survivant mes amis, un héros pulvérisé au petit jour par une force obscure et incontrôlable. C'est pour cela que malgré des clins d'oeil et des touches d'humour bienvenues ici et là, Evil Dead impressionnait surtout par ce côté radical, tranchant, suicidaire et désespéré. Le dernier plan au petit matin renvoyait d'ailleurs au final tout aussi mélancolique et sombre de la Nuit des morts-vivants et le meurtre atroce du héros qu'on a tant supporté une heure et demi durant et qui finit désossé par des bouchers armés de gants et de crochets de circonstances... Et oui, les gens ont oublié : à la fin d'Evil Dead, Ash s'éteignait pour de bon et sans le moindre humour. C'était déjà puissant. Une légende était née. Mais c'était avant que ne germe l'idée géniale d'une suite d'un tout autre calibre.




Evil Dead 2 est le meilleur de la saga pas simplement parce qu'il ressuscite Ash et l'érige en figure mythologique de nos cinémas intérieurs. Mais surtout parce qu'il repart de l'instant précis où se terminait le premier (Littéralement. Le trait d'union le plus parfait qui soit entre deux films) tout en s'en détachant progressivement. C'est qu'il gagnait en générosité, en second degré, en citations, en capacité de partage avec son spectateur ce qu'il perdait en singularité, caractère anxiogène d'un premier opus recroquevillé sur lui-même et ses névroses adolescentes. Le face à face entre Ash et sa main dans le deuxième opus en est une belle illustration : en apparence voilà une mécanique minimaliste, outrancière, gore d'une séquence d'auto-mutilation dont le premier volet regorgeai. C'est en réalité pour moi l'un des plus beaux hommages rendu par le cinéma moderne à celui du muet ou à la grande époque du cartoon US... Voire au mime Marceau !

Evil Dead 2 est en cela le remède à son prédécesseur, une thérapie de choc pour son réalisateur. Et le dernier plan peut en témoigner. Précurseur, il laisse finement entrevoir les intentions d'un Sam Raimi rasséréné, assumant ses goûts éclectiques et qui bientôt se penchera avec bonheur (le sien et le nôtre) sur les destinées d'un autre super-héros...