samedi 29 juin 2013

The Bay. Barry Levinson. Sanglant le rêve d'Icare


Derrière une apparence brute et modeste, The Bay est un puits de références : Les dents de la mer, Alien, Piranhas, Diary of the dead. Entres autres... Déjà agréable en soi de se savoir en si bonne compagnie (Steven Spielberg, Ridley Scott, Joe Dante, George A Romero).

Mais parlons du film. Ce qui saute aux yeux, c'est la parfaite osmose entre le fonds (entreprise privée de révélation d'un secret d'Etat autour d'un scandale écolo-sanitaire sur le mode Wikileaks) et la forme (le found footage).

Car plus qu'un énième film d'horreur, The Bay est d'abord un terrifiant pamphlet politique au sens le plus noble du terme. Son message ? Icare s'est brûlé les ailes pour avoir trop fait l'autruche. La culture du chiffre à tout prix (il en va de l'argent comme de l'audience) entraîne la culture intensive (de poulets élevés au fertilisants comme de l'image galopante, vidée de sens, noyant l'information, la vraie, comme personne) et partant les excès qui ne manqueront pas de se produire dans la vie réelle par notre faute, par négligence coupable.

Sur un mode clinique, le film détaille le cauchemardesque concours de circonstances à l'origine de la catastrophe. Le nucléaire, la chaleur, les farines animales, les courants marins... Aussi exceptionnel que l'apparition de la vie sur Terre ? c'est son génie que de nous dire tout bas : si le Big Bang a eu lieu, alors La nuit des vers géants est pour bientôt mes amis... La grande frayeur provoquée vient en réalité de ce sentiment diffus qu'un jour ou l'autre, la réalité finit toujours par dépasser la fiction.



S'exprime aussi en filigrane la recherche individuelle d'un bonheur matériel à travers une constellation de témoignages déconnectés les uns des autres (tous ces gens sous le chaud soleil d'un 4 juillet profitant en famille de leurs vacances, de moments de détente). Un puzzle constitué d'autant de preuves d'un bien-être égoïste qu'on veut afficher à tout prix (comme sur Facebook). C'est la juxtaposition de ces moments du passé, sorte de "babelisation" de nos vies, émanant de personnes inconscientes, parfois lâches (quand elle filment d'autres personnes agonisantes sans jamais leur venir en aide) qui va donner corps à la négligence que j'évoquais plus haut, qui va également créer le Big Picture. Car ces jeunes écervelés, au moment précis où leur obsolescence s'incarne sur un écran, ne se doutent pas que l'horreur est là, qu'elle leur pend au nez, qu'ils sont sans le savoir déjà morts.

Il faut alors un créateur, Barry Levinson, pour poser un regard d'une acuité folle depuis le plafond d'un lieu d'élevage sur la batterie de poulets que nous sommes, gavés de nos rêves d'Icare et de nos déjections qui finiront par avoir notre peau. Ces cris stridents de volailles sont évidemment les nôtres (comme ceux, effrayants que l'héroïne finit par entendre dans la nuit). Car le plus terrible dans The Bay, c'est l'idée qu'elle couve en son sein (qu'elle cache comme le requin longtemps invisible dans le film de Spielberg) jusque dans sa structure : ce mal créé par les aveugles que nous sommes et qui pourrait bien un jour ou l'autre faire son trou dans nos entrailles. Jusqu'ici un avertissement sans frais.

L'autre raison d'avoir peur, c'est cette intuition que le cinéma en certaines circonstances peut être un art prophétique. Le réalisme féroce est un de ses langages. Barry Levinson nous ouvre les yeux en nous susurrant comme l'un des personnages du film "On n'imagine pas le cauchemar là dessous". Et oui, mes amis, l'apocalypse est dans nos assiettes, dans l'eau que nous buvons. Parce qu'elle est en marche, qu'elle est silencieuse et qu'elle touchera tout le monde. Même ce bébé de l'avant dernier plan qui dort paisiblement dans son couffin.

Il faut vraiment voir ce film. Terrifiant mais revigorant. Parce qu'il nous parle vrai. Sans chichis. C'est aussi ce qu'on attend du cinéma.

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