mercredi 22 mai 2013

Only God Forgives. Santa Sangre. Jodorowsky.


Voilà ce que j'ai écrit dans un mouvement d'humeur après une première séance dérangeante :

"
Quelle claque visuelle et sonore, quel inégalable sens de la mise en scène mais, mais, mais, mais un petit détail me chiffonne quand même... Où est passé ce fichu scénario Nicolas ? Je veux bien plonger corps et âme dans ton film, ressentir un peu d'émotion mais il m'aurait fallu quelques biscottes de plus sur cette fichue famille où l'on envie son frère aîné rêvant de meurtre, où l'on tue le père, où la mère émascule à l'envi... Une forêt de symboles passionnants certes, mais sur du papier glacé aussi beau soit-il ça ne me suffit pas. D'ailleurs, quel intérêt d'évoquer combats de boxe thaï, trafic de drogue, prostitution et proxénétisme, amour platonique et impuissance, passifs familiaux et liens du sang et j'en passe et des meilleures si on ne fait qu'effleurer tout ce beau linge pour rester dans de l'atmosphérique ascendant nébuleux ? Quant à Ryan Gosling, point faible du film ? je veux mon neveu, il ne faut pas confondre "à la dérive, en attente de quelque chose, quelque part" et inexpressif. Son regard nous charrie clairement des rafales toutes molles de vide intersidéral. Il en découle une difficulté à s'en approcher ne serait-ce qu'un tout petit peu... Tu vois, fan de la première heure, je suis resté sur ma faim. Mais allez rien que pour la mise en lumière et musique de Bangkok et de certains personnages, il faut quand même aller le voir. Nicolas, faut se reprendre mon vieux, pas le moment de mollir. Tu sais ce qu'on dit maintenant : ONLY FANS FORGIVE !"


Et puis je l'ai revu, et j'ai cette fois été emporté. Only God Forgives a quelque chose à dire. D''abord parce que les influences évidentes (le Jodorowsky de Santa Sangre, le Kubrick de Shining, le Lynch de Mulholland Drive ou de Sailor et Lula, j'ose même le Bunuel d'Un chien Andalou) n'ont rien d'un hasard et permettent de cerner les intentions secrètes du réalisateur lorsqu'il opte pour une forme cauchemardesque, onirique. Une plongée dans les tréfonds d'un subconscient. Celui du personnage principal. Le film peut alors dissiper son propre mystère sur ses fins dernières. Une lecture naturaliste en eut été la dramatique montée en puissance d'un Pusher II vers son apothéose mythologique : le fils tue le père. Mais Only God Forgives se place à dessein sur un autre terrain, plus incertain, dans les circonvolutions du cerveau de Julian, pour mieux éclairer le chemin qui le mènera d'insondables ténèbres, sa prison mentale et physique, vers la libération de son âme une fois le cordon définitivement coupé. Inépuisables et jouissives lectures !



J'ajoute ici des notes intéressantes sur Santa Sangre que je viens de revoir. Only God Forgives est dédié à Jodorowsky, pas un hasard. La parenté avec Santa Sangre est proprement hallucinante. Quelques idées familières dont ce dernier déborde :

Drame familial. Une mère est mutilée par son mari qui lui coupe les deux bras avant de se suicider. Le fils traumatisé, Fenix, en devient schizophrène et tombe sous l'empire de sa mère dès lors qu'elle est physiquement diminuée, devenant même son "bras vengeur" (il accomplira sous sa dictée quelques basses besognes). Elle exerce un contrôle tyrannique sur sa vie au point de lui intimer l'ordre de supprimer sa jeune fiancée sourde et muette Alma (avec laquelle il entretient une relation purement platonique). Il se retrouve alors face à un choix cornélien qui va lui ouvrir les yeux sur son absence d'identité, son statut de marionnette aux mains (paradoxalement les siennes) de cette mère castratrice. Il tranche en faveur d'Alma et tue sa mère. Libéré, ses dernières paroles sont aux policiers venus l'arrêter qui l'exhortent à mettre les mains en l'air : "My Hands, My Hands" alors qu'il contemple, soulagé, ses propres mains convaincu qu'elles sont enfin redevenues les siennes. 

Le film dans son ensemble fonctionne comme un long voyage au bout de la nuit dans l'esprit du héros qui comme son prénom l'indique, Fenix, peut avec le meurtre de sa mère renaître de ses cendres. Cela éclaire d'un jour différent Only God Forgives qui le rend dès lors moins prétentieux, plus attachant qu'on a pu le dire ou le le laisser croire. Parce que voilà une déclaration d'amour, un hommage sans réserves à Jodorowsky, jusqu'au bout des ongles et des mains de Julian (et de NWR qui sait par la même occasion rester lui-même) qui, on l'imagine, est pour quelque chose dans la mort de sa mère... Ce qui interroge sur la réalité du policier lorsqu'il supprime la mater. Est-ce le policier ou une projection mentale de Julian pour se libérer de toute culpabilité ? Dans le cas où une schizophrénie est en place chez Julian (avec cette lutte intérieure entre le gentil fils mutique et soumis d'un côté et le déchaînement de violence incarné par le mystérieux tueur) on peut imaginer que c'est sous cette identité que Julian finit par se libérer en tuant sa propre mère (ce qui accréditerait la thèse d'une parenté jusque-boutiste avec Santa Sangre). A cet effet la main de Julian tendue sur la nuque de sa fiancée à la sortie du restaurant est l'exact cliché renversé de la main du tueur plantant son arme dans la gorge de la mère de Julian. Un indice visuel qui peut aider dans notre compréhension du film.

Et pour revenir à ce qui est reproché au film, son caractère terriblement hermétique, une forme d'autisme dans l'absence d'émotions transmises, cet univers à la fois clos et anxiogène, tout est vrai lors d'une première vision d'un film qui ne se donne pas facilement. Une fois le parallèle établi avec Santa Sangre, le coeur d'Only God Forgives se met à battre, chaque porte, chaque zone d'ombre dans les cauchemars de Julian deviennent des trappes secrètes vers le film de Jodorowsky qui font remonter, circuler l'émotion recherchée par tout cinéphile en apportant des éclairages salutaires sur un film en forme de sentier lumineux de rédemption.

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