jeudi 29 octobre 2015

Near Death Experience


Drôle (façon de parler) mais en regardant l'affiche j'ai d'abord pensé au Vélo de Ghislain Lambert parce que ce Houellebecq a comme ça la dégaine d'un Benoît Poelvoorde sous anxiolytique. Et c'est d'ailleurs le premier choc en découvrant le film. Michel Houellebecq, une voix, un texte, un corps, un visage, une présence. Tout cela. Il incarne littéralement le film à lui tout seul. Révélation sur un voyage au bout de soi-même qui tient sur les frêles épaules d'un seul homme.

Alors oui certains n'aimeront pas, c'est sûr, y verront comme moi des facilités ici et là (l'humour potache pas toujours bienvenu) mais franchement que le courant passe chaque fois que cette voix résonne sur une ombre portée ressemblant à la silhouette torturée d'un Nosferatu en plein jour, ou sur ce moment de questionnaire de call center récité platement, comme un robot, alors que la caméra s'enroule autour d'un fourmi torturée, le cul écrasé sur le bout d'un bâton... La magie opère souvent comme cela sur des musiques divinement choisies, l'émotion passe avec force chaque fois que l'on ressent les enjeux finalement existentiels du film... Puisqu'on est ici quelque part entre Gerry et Into the wild, mais là où ces derniers rataient complètement leur coup (trop théorique et stylisé dans un cas, trop puéril et adolescent dans l'autre), Near Death Expérience par sa poésie tour à tour désespérée, loufoque, par sa simplicité aussi parvient à montrer que la vie c'est aussi retrouver ces moments simples où l'on communie de nouveau avec le présent, le vrai moment présent. C'est peut-être là, dans cet éloge d'une lenteur délectable retrouvée, que se niche l'espoir jamais vaincu.

Pour prendre une dernière comparaison, le parallèle est assez évident avec Tree of life, cette tentative trop désincarnée de Malick de vouloir poétiser la vie, ou de chercher à percer les petits secrets si bien gardés de la beauté du monde. Là où ce dernier péchait notamment dans le choix d'acteurs bien trop "gravures de mode" et dans des voix off finalement assez creuses, Delepine et Kervern ont l'idée géniale de faire du visage si imparfait de leur personnage principal un paysage à lui tout seul, un territoire grouillant de poésie éclairée. Ils mettent surtout dans sa bouche des mots savamment choisis, de la matière littéraire quoi, de la vraie... C'est un des miracles du film qui parvient à nous donner le sentiment d'être un lecteur et de voir les visions de l'auteur, du narrateur s'incarner sur l'écran. Alors je vois venir certains qui me rétorqueront que c'est alors le Tree of Life du pauvre en somme... Et bien je crois que je verrais plutôt ça comme un compliment à vrai dire. Une fausse ambition dans le désert mais une vraie humilité appréciable. Near Death Expérience en regorge.

La dernière séquence, sublime, rappelle combien Houellebecq aura follement incarné 1h30 durant le spleen Baudelairien, cette petite tortue achevant à son rythme une course vitale contre la précipitation, contre toutes les vitesses mauvaises conseillères, puis qui franchissant la ligne fait sa confession détachée, sereine, libre, profonde, nous livrant le fameux secret du bonheur terrestre contenu dans le poème Elévation.

Comme ce dernier envol par delà l'asphalte brûlant d'une route de montagne. Encore ! Encore !

Elévation




Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,

Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par delà le soleil, par delà les éthers,
Par delà les confins des sphères étoilées,



Mon esprit, tu te meus avec agilité,
Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde,
Tu sillonnes gaiement l'immensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.



Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides;
Va te purifier dans l'air supérieur,
Et bois, comme une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides.



Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse
S'élancer vers les champs lumineux et sereins; 



Celui dont les pensers, comme des alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
- Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes!




     Charles Baudelaire


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire