jeudi 8 octobre 2015

Under the Skin. Jonathan Glazer


Je ne sais pas si l'une des scènes inaugurales (celle avec la fourmi) est un clin d'oeil à Phase IV mais je trouve que le film dans le choix de la musique et des visions délirantes ou de l'intro psychédélique qu'il propose emprunte beaucoup à l'univers d'un Saul Bass ou d'un Nicolas Roeg. Le film aurait d'ailleurs certainement pu s'intituler La femme qui venait d'ailleurs. Côté trip sensoriel, sens de l'épure et mise en scène très maniériste, Under the Skin est objectivement une réussite qui mérite le détour.

Le problème viendrait plutôt de tout ce qu'il ne dit pas. Laisser dans le flou une partie non négligeable de la narration constitue un risque évident. Celui de perdre son spectateur. Les ellipses et autres non dits peuvent évidemment fonctionner mais dans ce cas précis pas vraiment. Elle a tué une femme pour revêtir ses vêtements mais a t-elle tué une femme pour revêtir sa peau ? On n'en saura rien malgré une scène finale qui le laisse supposer. Fantasme-t-elle ou tue-t-elle vraiment les hommes qu'elle rencontre ? Et si oui, en reste-t-il trace quelque part ? Si elle est capable de causer autant de dégâts autour d'elle pourquoi paraît-elle si fragile à l'heure de se consumer dans la neige sous la menace d'un énième énergumène du sexe opposé...

Questionnement légitime que le spectateur est en droit de soulever quant aux volontés dernières du réalisateur : veut-il offrir une métaphore de la difficulté pour une femme d'affronter le regard des hommes tant qu'elle est vierge et "encore étrangère à son propre corps" ? La scène finale devient ainsi le conte dans la forêt qui la voit se faire dévorer toute crue par le "grand méchant loup"... Ou le réalisateur cherche-t-il à nous parler de la nature humaine, de la méchanceté propre à l'homme dès qu'il est question d'altérité ? Une altérité qui serait vécue comme une menace, jamais comme une chance ? On ne sait rien vraiment des desseins du personnage principal et ce faisant notre patience et notre attention finissent par s'étioler malgré une poésie indéniable, et un dispositif qui peut rappeler celui d'un grand plasticien voulant jeter ses saillies visuelles énigmatiques sur une grande toile blanche (comme lors de la scène d'ouverture) ou noire (comme lors des ingestions d'amants dans une sorte de liquide amniotique).

Under the Skin est donc un objet fascinant par beaucoup d'aspects mais se refuse dans le même temps à livrer des clés qui peuvent du coup le faire passer pour une petite arnaque joliment troussée. "Je n'en dis pas trop, c'est plus élégant, à vous de vous faire votre religion"… 

Pour prendre une comparaison qui me parle, quand Under the Skin s'organise autour d'un paraître glacial (toute la mise en place, visuellement), du refus de la rencontre des corps, de l'échange de salive, de l'effusion de sang, Trouble Everyday de Claire Denis se coltinait divinement l'orgie de chair et de sang pour satisfaire l'appétit d'ogresse de l'héroïne (dans Under the Skin on se demande d'ailleurs si elle tue pour se nourrir, aucune piste d'aucune sorte ne nous est livrée sur le sujet). Bref, il y avait dans le film de Claire Denis de l'organique, une sensualité viscérale et dangereuse autrement plus interpellante. Parce que les dégâts étaient visibles et causés par une Béatrice Dalle rarement aussi inquiétante. Pas un hasard d'ailleurs si le meilleur moment de Under the Skin est celui où la chair de l'héroïne "devient faible" c'est à dire après la tentative avortée d'amour physique.  Question de choix mais je préfère le parti pris de s'abandonner totalement à son sujet que de tourner indéfiniment autour… Reste qu' Under the Skin est une sacrée curiosité sur le plan visuel et sonore. Et sensoriel.

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