mercredi 28 octobre 2015

Her. Spike Jonze



Her est avant tout une intéressante incursion dans la comédie romantique par le très subtil truchement de l'anticipation. Riche idée mais au fond pas si neuve puisque les vioques dans mon genre ont eu le plaisir d'y goûter avec Une créature de rêve ou Electric Dreams dans les années 80 puis avec l'excellent Denise au téléphone dans les années 90. Ce dernier creusait d'ailleurs intelligemment le thème du repli sur soi par la faute des nouvelles technologies dites de communication. Syndrome paradoxal. Et stigmatisait par là un refus d'engagement en matière de sentiments, pathologie des temps modernes.

Outre cet argument, j'apprécie dans Her le fait que s'agissant d'un film US le puritanisme tellement ricain y trouve une illustration charmante dans la dématérialisation du corps de l'autre. Ou comment rendre palpable l'horreur qu'on peut en certaines extrémités y exprimer pour tout ce qui ressemble de près ou de loin à des poils ou à des sécrétions corporelles ! Une dématérialisation qui commence dès lors que l'on applique à l'autre sa propre grille d'exigences. Exemple avec cette très jolie scène de rendez-vous à l'issue duquel elle lui demande d'utiliser sa langue pour le baiser mais pas trop, juste un peu, à moitié... On n'est évidemment déjà plus dans la rencontre amoureuse mais dans l'exposition de son cahier des charges amoureux, dans l'étape "tue l'amour" où nos conditions rêvées sont posées au partenaire... Autre illustration symptomatique de cette recherche effrénée d'une forme maladive de perfection (évidemment pas de ce monde) : ce jeu video où l'on campe une mère qui pour marquer des points doit nourrir intelligemment ses enfants et les déposer à l'école avant les autres parents... Tant que Spike Jonze explore cette réflexion sur une idéalisation forcément déceptive du rapport à l'autre, tant qu'il évoque l'air de rien les difficultés du rapport amoureux propres à notre époque, le film fait mouche, il est même souvent poétique grâce à ses échanges délicieux entre un homme plutôt discret, timide, et une voix chaude.

Le film est moins convaincant sur d'autres aspects, notamment sur la personnalisation de l'Ordinateur qui dans son phrasé comme dans le contenu de ses propositions semble trop souvent prisonnier de formules, d'incantations un peu vaines, ne se targuant que de préoccupations très, trop humaines "Je sais bien que je n'ai pas de corps" ou "on fait moins l'amour ces derniers temps...". Déclamations qui tombent à plat parce qu'on saute artificiellement l'étape de la conscience de soi, du questionnement métaphysique. D'autres scènes comme celle du pique-nique par exemple ne fonctionnent pas beaucoup plus ("et alors qu'est-ce que tu aimes chez Samantha ?", question posée par le couple d'amis ou "Tu te tapes ton ordi ?" réaction outrée de l'ex adulée) du fait de dialogues qui ont quelque chose de trop littéral... Ce sont des phrases qui pourraient se révéler drôles dans du théâtre de boulevard ou dans une vraie comédie burlesque mais qui fonctionnent beaucoup moins dans ce registre poético-réflexif fait de sentiments (vrais ou simulés d'ailleurs), de questionnements sur nos addictions, sur nos manques affectifs, et sur les solutions au rabais envisagées pour contourner une difficulté fondamentale à nous engager... Cela procède je crois d'un décalage pas toujours heureux entre l'univers et ce qu'on veut faire dire aux personnages.

Mais le vrai tournant raté du film me semble surtout se situer autour de la fameuse colère de Samantha ("Ta gueule" ose-t-elle même s'écrier). A partir de là, je rêve de basculer dans quelque chose de beaucoup plus angoissant. Du côté de ces atmosphères étranges où tout devient possible. Parce que le sentiment amoureux peut faire faire n'importe quoi. Précisément. Je me dis qu'on pourrait alors découvrir le vrai visage d'un gars inquiétant qui parle tout seul, qui cause aux arbres ou avec sa poupée gonflable... Cela pourrait révéler un personnage sous influence aussi effrayant que l'obsessionnel metteur en scène de ses fantasmes dans Le Voyeur. Mais on pourrait tout aussi bien montrer comment naît la relation abusive dans laquelle la voix va se révéler envahissante, pressante, manipulatrice, jouant avec plusieurs coups d'avance (des milliers peut-être) et pour cause, elle est un ordinateur... Elle peut alors apparaître comme menace multiple (une voix d'homme, d'enfant, un cri d'animal) et omniprésente, elle peut s'immiscer dans sa vie privée, dans ses choix, le faire chanter, elle pourrait même le mettre en concurrence avec l'un de ses fameux 641 autres amants (comme elle l'évoque vers la fin) mais rien de tout ça, on reste pour finir sagement dans une relation qui s'étiole (comme notre attention) pas vraiment de son fait à lui (le personnage central est d'ailleurs trop mou de ce point de vue) mais par sa volonté à elle de s'émanciper... S'émanciper de qui, de quoi ? Ce n'est pas clair... Pour aller où ? Ce n'est pas clair non plus. Cela affadit la seconde partie qui finit par ronronner malgré de belles idées comme le savoureux plan à 3 ou les vacances en amoureux à la montagne alors qu'il part tout seul !!!

Restera donc le beau message que véhicule le film sur ces vies par procuration que favorise un soit disant progrès (son métier à lui l'illustre bien d'ailleurs, écrire les histoires des autres, être la voix des autres) qui finit par nous renfermer sur nous mêmes plutôt que de nous ouvrir sur le monde. Mais  Denise au Téléphone ne le faisait-il pas mieux passer ce message parce que justement de façon plus cruelle, froide et cynique et sans pathos ? La naissance du sentiment amoureux dans Her, parce quelle a justement lieu, aurait probablement mérité d'être le point de départ d'une histoire beaucoup plus irrationnelle, inattendue, frissonnante, humaine comme seul l'amour sait en créer... C'est ce qu'on pourrait appeler le bug sentimental du film !


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