vendredi 30 octobre 2015

Leviathan


Leviathan aurait vraiment mérité la Palme d'Or en 2014 ! Un morceau de bravoure, de tragédie Grecque ou plutôt Ukrainienne aux accents bibliques, où le drame inéluctable, fruit amer ou pourri de la victoire infâme du fort sur le faible, se noue sournoisement à l'abri des regards mais dans la lumière crue d'une justice aveuglée, aux ordres. La justice des hommes corrompus. Celle de Dieu n'est pas en reste et pour cause, "la vertu ne se décrète pas, n'exige aucune contrepartie, ton chemin de croix sera celui de la rédemption" susurre le croyant à l'incroyant jusqu'à ce que ce dernier courbe complètement l'échine et finisse comme ce squelette de baleine ou cette épave de bateau... Ironie du sort, sa maison sera finalement remplacée par... Une église. Habile façon de rappeler que les écrits saints sont aussi les premiers arguments commerciaux pour faire prospérer une foi dont les promoteurs (les mêmes qui détiennent le pouvoir) exploitent sans vergogne la fragilité d'hommes brisés. C'est ainsi que notre héros va payer sans broncher pour un crime qu'il n'a pas commis. L'enfer c'est parfois la religion. Tout dépend de ce qu'on en fait, de ce qu'on lui fait dire. La satire est l'une des redoutables armes de Leviathan, critique à peine voilée d'une religion d'Etat, d'une croyance érigée en cadre dogmatique qui va donner bonne conscience au bourreau lorsque le moment sera venu d'écraser le citoyen comme un vermisseau. C'est pourquoi derrière son ineffable noirceur le film réveille les consciences, nous ouvre les yeux, nous fait réaliser combien les donneurs de leçons, les chantres de la morale (religieuse en l'état) sont souvent les mauvais payeurs, parce que toujours du coté des puissants. Jamais des faibles... 

Du côté des influences, j'ai également pensé à la légende Arthurienne. Pas que pour ces décors grandioses qui finissent par nous convaincre que l'homme moderne est né quelques part sur les rives de la mer de Barents. Aussi pour le héros Kolia qui me rappelle cet Arthur de devoir ne voyant pas Guenièvre s'amouracher de Lancelot (pourtant son premier défenseur, l'avocat venu de Moscou) bien trop occupé qu'il est à préserver l'unité de son royaume : la maison héritée de plusieurs générations, les souvenirs, son sang. Sur cette terre du bout du monde on l'imagine bien s'écriant après le verre de trop "Une terre, un roi". Quel rôle pourrait alors jouer son fils, Mordred alias Roma, dans la décomposition du foyer familial ? Celui d'un adversaire en devenir ? L'un des responsables indirects de la tragédie à l'oeuvre ? Certainement et ces multiples grilles de lecture disent d'elles mêmes toute la grandeur du sujet, des sujets du film se débattant pour s'arracher au joug d'un destin malicieux, au sens de messager discret, invisible du "mal". Sorte de visiteur du soir indélicat et difficile à repousser comme lors de cette incursion nocturne et menaçante d'un maire aviné dans les retranchements de Kolia.

Alors certains auraient eu le malheur de comparer cet immense film à Winter Sleep ? Invraisemblable ! Leviathan se construit avant tout sur le réel, sur des personnages qui existent dans une géographie mais surtout dans une société, sous l'autorité d"une administration centralisée, tentaculaire (l'allusion du titre) dont les rouages létaux apparaissent rapidement. Des personnages y affrontent le vrai monde et ses vissicitudes, ses injustices comme une deuxième nature. Leviathan aborde d'ailleurs les grandes questions existentielles via le genre (toute la deuxième partie, la mort, le fil policier, le maquillage d'un meurtre froid, d'Etat, en meurtre passionnel, la reconstitution puis les conséquences sur la vie en morceaux de tous les personnages) alors que Winter Sleep malgré  l'intérêt philosophique et sociologique qu'il présente en reste sous la forme d'un huis clos au statut de pensum bavard sur les difficultés inaliénables du couple ou de la famille, le tout à travers le regard d'un homme embourgeoisé et perdu dans un projet littéraire d'état des lieux du théââââtre Turque, rien que ça  !!! Non, avec Leviathan, c'est bien le cinéma qui vient à notre rencontre, le vrai, total, à l'état brut et qui vous saisit à la gorge comme les goulées de Vodka coulant dans le gosier de personnages en sidération devant les coups durs, les vents contraires, mais qui tiennent debout, coûte que coûte, en essayant modestement de préserver ce qui subsiste en eux de dignité humaine. Un peu comme des roseaux qui plieraient sans rompre espérant sereinement le jour où le destin aura le bon goût de déraciner le chêne (le puissant, l'Etat, la religion) pour lui ôter un peu de son insolente superbe, de cette morgue hautaine et insultante qu'il étale depuis trop longtemps... 

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