mardi 4 janvier 2022

No Sudden move

La dernière image ? Le visage défait de Benicio Del Toro lorsqu'il comprend au bruit étrange de la bouteille de champagne qu'elle lui raconte autre chose qu'un simple bouchon qui saute... Sacrée façon de baisser pavillon quand il est trop tard.

Soderbergh continue de m'épater de loin en loin. Mes derniers coups de coeur ? Ma vie avec Liberace (il y est à son meilleur), The Informant (également fantastique) et plus récemment le faussement mineur Paranoïa.

No Sudden move a également beaucoup à donner. Le titre raconte déjà la fuite devant le courage, l'appât du gain qui étouffe l'homme incapable de s'arrêter à temps... C'est la photographie, l'instantané de ce moment où les promesses, les intentions parfois, ne sont jamais suivies des actes... Trop de blabla ces hommes-là !

Soderbergh a d'ailleurs l'intelligence de résumer mine de rien 70 ans d'immobilisme sur les questions environnementales.... Tout est si parfaitement résumé. Dès les années 50, une prise d'otage fait apparaître par petites touches le pot-aux-roses, un secret industriel convoité en haut lieu pour mieux étouffer l'affaire et permettre à l'industrie automobile florissante de continuer à polluer gaiement. Au diable les scrupules, déjà. 

Le sujet est au fond l'espionnage (même industriel). Sorte de Bureau des légendes vintage où à l'époque sans technologie, sans informatique, sans dématérialisation des échanges, on ne procède pas encore derrière un écran, on fait "à l'ancienne", on se confronte. Une bonne vieille tactique pour aller subtiliser un document physique dans un coffre qui ne l'est pas moins tout comme est palpable l'assurance vie de Curt récupérée dans une vieille valise chez une personne de confiance... Tout ici est lesté, prend son temps et sa place dans le paysage ou à l'arrière d'une berline, chaque geste vers l'intérieur de sa veste est scruté plutôt deux fois qu'une (la dématérialisation se produit alors dans un coffre, à l'intérieur d'une veste, dans le double fond d'une valise, derrière un sourire enjôleur) mais tout ce beau monde se côtoie pour le coup, se coltine l'autre. La confiance est en permanence jaugée, challengée, remise en cause... 

Car le film parle en creux de notre époque, de l'incommunicabilité avérée de nos jours, constatée entre groupes communautaires qui se coupent les uns des autres, entre minorités visibles ou non qui défendent non plus des intérêts particuliers au sein d'un groupe - qui les protège - mais des idéologies délétères... Alors qu'à l'époque, tout le monde se connaît, il y a des clans bien sûr, mais le policier et le truand se rencontrent, discutent, les mafieux de Harlem et de Little Italy se fréquentent, les hispanos et les noirs aussi, les juifs et les cathos, il y a un code, un alphabet commun connu sur le bout des doigts, un "respect" réciproque peut-être, avec le vice et la trahison toujours à portée de flingue... Mais on connaît les règles et ses risques. On sait comment se prémunir des mauvais coups. On parle, on peut même parfois sauver sa mise par le verbe, l'échange, la poignée de main. Même les personnages de Matt Damon et des deux héros surgis des bas fonds peuvent cohabiter et se comprendre l'espace de quelques minutes dans une rutilante salle de réunion...

Evidemment par contraste, le monde d'aujourd'hui paraît cloisonné, compartimenté, chacun vit dans un monde coupé de celui des autres et dans des certitudes qui semblent irréconciliables. Ce qui n'est jamais le cas dans No Sudden Move. Son intrigue est complexe, entrelacée de mystères, racontée par des personnages tarabiscotés, du clair obscur partout, une ambiguité salvatrice tout le temps. Le Grand Sommeil se sera penché avec bienveillance sur le berceau de No Sudden move.

Et puis je retiens toute cette précautionneuse, jusquauboutiste paranoïa de truands qui malgré plus d'un tour dans leur sac apparaissent soudain en culotte courte devant un joli minois qui leur récite l'amour par le menu (Curt mis à part)... Jouissif ! Ces gros durs qui ont tout prévu sont brutalement transformés en petits enfants sans défense. La secrétaire "polyandre" ou Vanessa Capelli la femme adultère et terriblement ambitieuse mènent la gent masculine pour le bout du... nez. Ce faisant, le film fait passer finement le message d'une société et une époque prétendument masculine, patriarcale vu d'ici et maintenant mais où les femmes déjà tirent parfaitement leur épingle du jeu sans l'aide de personne : le mythe de la femme fatale n'est pas une pure invention.

A saluer d'ailleurs la reconstitution méticuleuse d'une époque qui rappelle les grandes heures (Saison 1) de Mad Men (la présence de John Hamm n'y est probablement pas étrangère). Tout comme j'apprécie la présence d'acteurs fétiches (Matt Damon) ou de visages qu'on voit moins ces derniers temps... Brendan Fraser. Ray Liotta. Toujours un bonheur.

Pour finir, le seul qui semble en permanence faire les choix payants, c'est Curt, celui qui a l'oeil qui frise, l'intuition qui va le sauver au bon moment, sorte de vieux sage à qui on ne la fait pas et qui est déjà revenu de tout, lui qui n'abat ses cartes que pour mieux s'en tirer à l'instant fatidique... Ses valeurs peut-être ? Une préscience ? Sa méticuleuse méfiance ? On sent aussi le "bon gars", sorte d'Uggy les bons tuyaux qu'on préfère quand même avoir à côté ou devant soi dans une voiture parce qu'il lui arrive d'ôter des vies sans ciller.

Bref décidément un très grand film, une fois de plus.

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