samedi 12 mars 2016

American Sniper. Clint Eastwood



Je vais essayer d'être objectif sur mon ressenti : même s'il est fort inégal, American Sniper sur le plan de la réalisation et du rendu à l'écran est d'abord très efficace avec même une cadence et une maestria dans les scènes de combats qui hissent le film au rang de grand spectacle sans jamais négliger une vraie cinéphilie dont quelques clins d'oeil bien sentis à de glorieux aînés (Full Metal Jacket en tête). Ce qu'il semble apporter de plus et de fascinant se situe surtout dans une critique habile et discrète de la propagande en temps de guerre et de son implacable méthode pour façonner, écraser les esprits.... Emballé c'est pesé !

Propagande initialement incarnée par le père qui lors d'un repas familial va figer dans l'esprit du fils le rêve un peu flou d'un gardien de troupeau qui ne cessera plus de l'habiter aveuglément jusqu'à la révélation artificielle qu'il en sera devenu un devant les terribles images du 11 Septembre. Ou comment l'aveuglement d'un homme (d'une nation ?) le pousse vers un combat sans vrai mobile profond.

Propagande dans le fait d'ériger un tueur au long cours (plusieurs centaines de victimes souvent civiles, soldats de plomb, improvisés, de pacotille) en légende : quoi de plus cynique !

Propagande dans le fait d'ériger son alter ego (celui qui au fond est pourtant chez lui, "envahi", occupé) en ennemi public insaisissable, Le Boucher... D'où cette scène  symptomatique du face-à-face qui rappelle furieusement Face Off. L'un n'étant jamais que le versant obscur ou lumineux de l'autre. Deux faces d'une même pièce. Dès lors qu'il tue son double on devine qu'il vient aussi de mourir un peu... Ce qui amène logiquement le retour du zombie exhibant ses cicatrices invisibles dès lors qu'elles sont morales. 

Propagande qui aura eu raison du cerveau de la Légende au point qu'il explique paisiblement chez son Psycombien les morts provoquées le hantent bien moins que les vies non sauvées de ses camarades... Retour à la problématique binaire de l'enfant toujours prisonnier des lunes manichéennes de son propre père et incapable de véritable empathie ou de complexité qui pourraient soudain nous le rendre sympathique. Mais c'est probablement le but recherché. J'insiste d'ailleurs sur l'antipathie manifeste qu'inspire le personnage tout au long du film, manquant cruellement de finesse d'analyse ou d'héroÏsme véritable (il est à l'origine de la bataille finale qui provoque indirectement la mort de beaucoup d'hommes dont nombre de ses compatriotes)... On le sent tout le temps jouet de ses obsessions, confortablement planqué derrière son viseur avec ses idées reçues.

Et l'on se reprend à penser à ces scènes où maladroitement, une femme, un enfant, un vieillard font preuve d'amateurisme, d'hésitation humaine au coeur de sa lunette... Et sa posture interroge soudain, met mal à l'aise. Le spectateur devenant comme lui spectateur et acteur assez lâche d'une scène qui met en jeu une morale et des choix éthiques profonds. La lunette rend-elle justice à ce qui se trame réellement sous ses/nos yeux ? N'est-elle pas au fond le miroir déformant de cette propagande à l'oeuvre - et habilement critiquée - durant tout le film ? N'est-elle pas de même une façon de nous interroger sur les vraies valeurs du tueur en planque confortablement dissimulé sur son toit à siroter un coca-cola en enfilant les victimes comme le High Score d'un First Person Shooter pendant que ses enfants naissent et grandissent dans un confort de carte postale à l'autre bout du monde ?

Le résultat ne donne finalement pas raison à cette analyse, question de tonalité peut-être de maladresses dans certains choix, dont une scène finale trop univoque ou trop intelligemment équivoque...  Mais l'intention semble être là, dans une volonté d'interroger silencieusement les manoeuvres d'une nation pour envoyer au charbon ses enfants, pour les traumatiser en fixant dans leur esprit une idéologie primaire censée les convaincre de s'engager, sans réflexion personnelle.. L'histoire du gardien de troupeau est là pour en attester. Une forme d'atavisme qui interdit toute réflexion salutaire chez le personnage principal qui finit de fait drogué à la violence comme le cowboy à l'adrénaline qui précède l'entrée dans l'arène calé sur le dos d'un taureau prêt à tout pour rester, contrairement  à lui, libre et sauvage.

Clint Eastwood filmerait-il dès lors la guerre comme les conséquences d'un embrigadement, d'un aveuglement qui culminent avec cet épilogue (à l'instar de l''affiche et du titre du film) rappelant que la seule légende qui vaille en pareil cas c'est toujours celle que le pays écrit avec le sang de sa jeunesse sur de belles images vendeuses d'un triste rêve américain.

C'est pour cela que malgré ses défauts de fabrication, American Sniper mérite amplement d'exister et devrait avec le temps retrouver son statut de film de guerre beaucoup plus ambigu qu'il n'y paraît au premier regard.

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