dimanche 13 mars 2016

Sorcerer. William Friedkin


Quelle extraordinaire séquence finale dans ce bourbier du bout du monde où le capitalisme continue d'acérer ses griffes, de se jouer de l'homme devenue quantité négligeable sur l'échiquier d'intérêts pharaoniques, où le grand capital aiguise encore et toujours l'appétit des affamés en agitant sous leurs yeux de biche une pitance dérisoire. Et puis ce mouvement de caméra un peu dingue par delà la forêt de toits de tôle d'un purgatoire à ciel ouvert redonne sa pleine mesure au film noir, revenant   convoquer les fantômes du passé qui ne nous ont jamais vraiment quitté...

Elle fait aussi écho à cette entrée en matière si moderne dans sa construction, si dissonante et qui déjà rappelle combien l'argent pour l'argent alimente le terrorisme aveugle, engendre des tueurs à gages, donne vie à des patrons véreux, stimule le grand banditisme... Rien que pour cette ouverture en "united colors of tranches de mort" (les effets néfastes de la mondialisation capitaliste y serait-elle déjà montrée du doigt ?) et ce final grandiose, Sorcerer est un immense film qui s'affranchit du Salaire de la peur de Clouzot pour en faire quelque chose de bien plus sombre, dantesque et politique.

Le coeur du film n'est pas en reste, convoquant le destin de 4 mercenaires en quête de rachat et qui cherchent une issue au purgatoire pour rejoindre le monde des vivants. Cette opportunité s'offre sous la forme d'un chemin de croix, traversée furieuse de fleuves en crue et de rivières de troncs au coeur d'une nature hostile et déchaînée. Des séquences dantesques qui longtemps restent en mémoire. 

S'il fallait peut-être trouver un défaut, ce serait la difficulté à créer du suspense avec les soubresauts de la machine folle quand la dynamite se résume à deux cageots pris dans le sable à l'arrière. Les champs contrechamps peinent à créer cette tension folle dans les moments de crise. Quelques effets spéciaux bien sentis auraient peut-être contribué à rendre la peur et le suspense encore plus palpables, mais à l'époque Sorcerer a forcément fait souffler un vent de modernité parce qu'on le sent encore souffler aujourd'hui, chaud, enveloppant...  Depuis la structure même du film, son coeur intact. Le charme agit toujours et je confesse m'être laissé ensorceler.

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