mardi 16 avril 2013

John Boorman. Cinéaste de l'innocence perdue

Comment je suis devenu cinéphile ? Je suis tombé dedans à 9 ans. Devant Excalibur et je ne remercierai jamais assez John Boorman pour cela.

Avec le recul, rien d'étonnant. Il y a au fil de son oeuvre une réflexion profonde qui se tisse d'elle-même, peut-être inconsciente, sur la magie de l'enfance et l'écueil de ses rêves brisés sur le rivage cynique de l'âge adulte. Les rêveurs contre la vie. Quelques films témoignent de cette dialectique à mes yeux omniprésente :

Point Blank. Le point de non retour.


Au premier regard, Point Blank un film noir formellement innovant, fabuleusement stylisé. Mais se devine par-delà la lisière du genre une réflexion sur la folie du monde moderne, sur les inquiétantes métamorphoses du capitalisme dont on se demande après coup ce qu'il est en train de devenir : Walker au départ est un simple employé, exploité qu'il est par un certain Reese... La façon qu'il a de tirer sur un fil (celui d'une bobine dont on ne verrait jamais le bout) fait émerger cette figure de monstre insaisissable et sans visage. Le plus grand criminel serait donc le système et pas les hommes qui le font tourner. Jolie métaphore..

Point Blank, c'est aussi l'histoire d'un être blessé, s'évertuant un peu vainement à défendre les valeurs qui l'ont porté un temps, pour réparer la double trahison - amicale et amoureuse - dont il a été victime. Sous les mots, derrière le décor, ce point de non retour devient alors perte de l'innocence, moment de bascule où l'on perd cette magie qui nous a fait roi. 

Excalibur


Excalibur est  en cela très proche de Point Blank malgré les apparences. Le roi Arthur est un enfant doté d'un talent pur, d'une capacité d'émerveillement intacte (lorsqu'il sort l'Epée sans efforts, c'est naturellement, parce que c'est alors un être pur). Lancelot incarne la même pureté (fidélité sans faille à son Roi) dans son immaculée armure. La chair, dans sa faiblesse, les conduiront tous deux, vers le déclin, et partant, une fin de l'insouciance, à partir du moment où Arthur réalise qu'il a été trahi par les siens : désillusions en cascade.

Dès lors, toute l'histoire devient celle d'un homme cherchant à retrouver désespérément cette enfance perdue, une flamme égarée... Incarnées tantôt par le Graal, tantôt par l'épée Excalibur, qui seuls, résistent au temps qui passe.

Hope and Glory. La guerre à 7 ans.    


Une évidence. Dans les souvenirs d'enfance évoqués par John Boorman, on ne fait que vivre un peu plus littéralement cette nostalgie d'une époque souillée par la folie des hommes dans un monde dont la magie subsiste à travers le regard d'un enfant. Pour ce qui constituera le fondement de l'univers d'un grand cinéaste.

Delivrance


Au-delà du fait divers revisité, du film d'horreur, on ne peut là encore que ressentir une thématique centrale : la naïveté d'hommes désireux de retrouver une parcelle intacte d'eux-même, intime eden, de découvrir le moogly qui sommeille en eux... L'état sauvage ou l'enfance de l'art.

Je retrouve d'ailleurs dans ce point de départ tous les signes d'une amitié idéalisée, celle de l'enfance comme dans Stand By me (Rob Reiner, 1987) : 4 copains débarrassés du poids des soucis du quotidien, de la tentation de la chair (absence de personnages féminins). Evidemment, leurs rêves pieux vont se heurter à la cruauté du monde adulte là encore, sous les traits de cette famille qui n'a plus rien d'innocent.

La forêt d'Emeraude


Pour ne pas laisser le monde moderne corrompre nos âmes, soyons pareils à ces "invisibles". La forêt amazonienne devenant ici l'enfance et sa magie intacte, de tout temps inviolée mais que des intérêts bassement matériels poussent l'homme moderne à vouloir dévorer à tout prix.. foulant au pied toute moralité, tout sens de la responsabilité et du respect de l'Autre.

Voilà ce qui m'a toujours fasciné en creux dans l'oeuvre de John Boorman. L'omniprésence d'une thématique, celle de l'innocence perdue, qui pourrait se résumer ainsi :

"A expulser les enfants de leurs rêves, les adultes les hébergent dans leurs cauchemars"
Abdel Afef Benotman






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