jeudi 5 août 2021

Titane (Julia Ducournau). Sa chair est faible !


Dire que tout aurait pu commencer par un accident de toboggan, de pédalo, de saut à la perche  ? Imaginant le film à suivre, j'avais vu venir le navet XXL... Et bien non. C'est pas terrible, c'est même assez raté mais c'est pas la bouse annoncée partout. Un peu de nuance que diable. Ma séance a été plutôt attentive (je n'ai regardé ma montre qu'à 2 reprises). C'est vrai que le film n'est pas aimable, pas plus qu'il n'est fin (il a la grâce épaisse de Lindon à l'écran pour reprendre le bon mot de mon copain Sly). On s'ennuie souvent, on ressent bien trop peu de choses pour les personnages principaux mais tout n'est pas à jeter. Loin de là. Trop de musiques par exemple mais une ambition et un travail sur l'image qui vont avec qu'on peut légitimement saluer. Je pense aussi à quelques séquences réussies (la note d'humour pendant le massacre pour désamorcer, la naissance d'une tendresse entre les 2 personnages principaux, entre leurs 2 solitudes d'abord figées). Et puis les thématiques même confuses qui suscitent l'intérêt (le genre ondoyant, ondulant, l'identité flottante, l'inné ou l'acquis, l'homme et la machine, les effets du temps sur le corps, le baiser pour aimer ou réanimer. L'amour filial, l'amour tout court) avec des saillies visuelles bienvenues, des moments  comme hors du temps, suspendus (la danse de l ex tueuse en série et néo fiston enrubanné sur le camion de pompier). Par ailleurs je trouve que Julia Ducournau a quand même sa propre signature, son univers à elle contrairement à ce que j'ai pu lire (elle ferait du sous-Cronenberg ou du simili-Tsukamoto). Bon mais ça ne fait pas non plus un film abouti et j'en viens à ce qui ne fonctionne pas selon moi. Dans Truismes (Darrieussecq) ou La Mouche (Cronenberg), la puissance du processus de transformation vient de ce qu'elle est organique, presque documentée et qu'elle s'inscrit dans un souci de réalisme et dans un monde qui nous est familier. C'est ce qui fait qu'on peut s'identifier, avoir peur, parce qu'on connaît ce monde qui se reflète à l'écran ou sur la page. C'est le nôtre. Or l'erreur ici je crois est que le monde est volontairement théorisé, abstraitisé (ce lieu interlope de gogo dance sur des voitures à pistons, cette co-location dans un improbable palace rococo, cette caserne de pompiers tout droit sortie du cerveau d'un enfant de 5 ans avec ses Big Jims et ses camions Playmobil grandeur nature...). La rencontre d'un corps en mutation avec des idées et des lieux vidés de leurs substances, sans ancrage ni cohérence fait qu'on finit par ne plus croire à grand chose surtout lorsque le film essaye de remettre des mots et du réalisme dans la bouche (le discours de la mère incrédule à Adrien, Le "Je t'aime" d'Adrien à son père d'adoption, les vains mots du commandant à son équipe) et dans les intentions (le jeune pompier qui s'herculopoirise juste le temps de finir zigouillé ni vu ni connu) de personnages plus efficaces dans pareil contexte quand ils ne disent rien. Tout tombe à plat et c'est bien normal. Puisque rien n'existe. Il aurait fallu que tout l'univers autour soit familier, que même les incroyables invraisemblances (elle passe entre les mailles de tous les filets de la raison et devient le fils du pompier de service par quelques ellipses et tours de passe-passe pour le moins faiblards) soient triturées, confrontées (hallucination collective ?) pour que le spectateur puisse enfin rentrer dans le film. Si 2 monstruosités  sont mises en valeur sur un fonds déjà difforme, rien ne peut ressortir hélas : On est ton sur ton. Le spectateur se coupe du film, l'absence d'un cordon ombilical en cause entre les personnages et le monde qui les a enfantés. En l'état malgré des idées intéressantes, il manque donc à Titane l'essentiel : de la chair. Et en matière d'interrogation sur le vivant, sur la transformation du vivant, c'est quand même le comble !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire